
Idéologie et théories raciales. De la crise averroïste au grand remplacement d'Abdelkrim Bouhout
Abdelkrim Bouhout distingue la xénophobie des théories raciales. Alors que la première rejette l’autre par commodité d’instinct, les secondes génèrent une « raciologie » avec son cortège de méthodes et techniques scientifiques. Pourquoi les théories raciales ont-elles été rationalisées en Europe ? Aux côtés de Taine et de Maurras, l’auteur fait de Renan, lecteur et fin connaisseur d’Averroès, l’une des figures majeures de l’idéologie dépuratoire, qui théorise le génie sémitique et indo-européen au détour de la philologie comparée, et vulgarise des théories raciales jusqu’alors réservées aux sphères savantes. Mais la crise averroïste, c’est-à-dire l’offensive de la scolastique contre l’aristotélisme arabe, est le véritable début d’une histoire des idées réactionnaires. Les théories raciales rationalisées en Europe au xixe siècle s’inscrivent en effet dans la continuité d’une longue tradition d’épuration des savoirs gréco-arabes, que l’auteur appelle « idéologie dépuratoire ». L’auteur en identifie trois lois : « loi de régression », rattachant tous les récits à une pensée réactionnaire ; « loi de décadence », dérivée d’une lecture pessimiste, voire eschatologique de l’histoire ; « loi de régénération du dépuré », soit la tentative de revitalisation d’un passé idéal en le dépurant du présent décadent. L’examen de l’offensive réactionnaire de Maurras et de l’Action française permet de les illustrer. Sur le plan méthodologique, l’auteur s’inspire de la déconstruction par Edward Saïd des « attitudes textuelles » orientalistes et de la méthode wébérienne des idéaux-types. Il identifie ainsi le laborantin (appariteur d’expériences sur l’incompatibilité entre les races), l’illusionniste (producteur de psychologies raciales), le ventriloque (déclamateur de mentalités raciales par le truchement d’une science consacrée, son pantin) et le majordome (gardien des formes traditionnelles de l’esprit national). La dernière partie de l’ouvrage déconstruit avec nuance trois ouvrages d’Alain Finkielkraut, de Renaud Camus et de Michel Houellebecq : en effet, ces « penseurs ressassent des idées dépuratoires sans adhérer aux théories raciales ». L’ouvrage d’Abdelkrim Bouhout met ainsi utilement en garde contre les tentations de mettre la race au centre des rapports entre cultures.