
La tropicalisation du monde de Xavier Ricard Lanata
Xavier Ricard Lanata, haut fonctionnaire qui fut chercheur et employé dans diverses Ong, a été conseiller à l’Agence française de développement au temps où Gaël Giraud (qui signe la préface de cet ouvrage) en était le chef économiste, connu pour son approche éthique peu commune du système économique. Cela se ressent dans la thèse stimulante que l’auteur propose dans ce bref essai. Le Nord et le Sud, pris comme un rapport de dominants à dominés dans l’histoire globale et non comme une simple position géographique, s’inversent et s’égalisent. Le Nord – les pays qui se sont affirmés comme développés – fait aujourd’hui l’objet du même processus de colonisation qu’il a autrefois imposé au Sud. La recherche de la rentabilité immédiate et l’endettement sans fin, au profit d’une valeur financière virtuelle, sont imposés à la société par une logique prédatrice que plus personne ne contrôle. Ainsi « l’Occident devient une colonie soumise aux appétits du capital, dont l’accumulation est devenue synonyme de croissance », selon une logique extractiviste qui touchait déjà les colonies, où la nature comme l’humain ne sont que ressources, suscitant des crises sociales, écologiques et politiques. À ce mal, l’auteur oppose une force équivalente : pour recréer le social dont l’humain a besoin et préserver le lieu qu’il habite, il faut s’inspirer des ontologies relationnelles qui, au Sud en résistance, ont ouvert une autre voie que le mode de pensée colonial qui a désormais conquis le monde. C’est ce qui survient déjà, lentement, avec la redéfinition de la notion de commun ou la question des droits de la nature. Aussi la force de la thèse de Xavier Ricard Lanata est-elle de décentrer l’analyse vers le psychique et les imaginaires – puisque la prédation a colonisé les esprits autant qu’elle est un modèle économique et politique –, sur des chemins tracés par des penseurs qui se situent à l’intersection des mondes, tel l’anthropologue américano-colombien Arturo Escobar. Le renversement radical des perspectives est peut-être en effet le seul moyen de lutter contre le faux sentiment de nécessité de l’existant qu’analysait Roberto Unger dans les années 1980, à mi-chemin entre les universités américaines et l’Amérique latine.