
Les frémissements du monde d’Andrew Solomon
Reportages (1988-2017) Trad. par Christine Vivier
Malgré la réputation de l’auteur, « journaliste et psychologue », on ouvre avec quelque appréhension un livre qui contient un choix de reportages réalisés durant vingt-cinq ans, dans des pays dont l’histoire, en général violente, a défrayé la chronique internationale durant des mois, voire des années. Que peut-il nous apprendre de plus ? La réponse est qu’il nous en apprend beaucoup et que le récit de reportage apparaît comme un complément indispensable de l’analyse politique pour comprendre ce qui s’est passé, en particulier après des événements tragiques. C’est le cas des reportages sur la Russie après 1989, de la Chine après Tienanmen, de l’Afrique du Sud après la fin de l’apartheid, du Rwanda après le génocide des Tutsi, de l’Afghanistan après le départ des talibans en 2002, de la Libye après Khadafi, de la Birmanie revenue à la démocratie en 2013 avec Aung San Suu Kyi… Ce n’est pas que ces récits soient idylliques sur des moments d’après-crise – on sait aussi maintenant comment, dans la plupart de ces pays, les printemps démocratiques ont été brisés par des reprises autoritaires, voire totalitaires –, mais le récit parvient à exprimer des traits culturels, des mœurs, des subjectivités, des empathies, des répulsions et même des haines qu’on n’avait pas perçues ou qu’on avait minimisées. Les artistes, qui avaient continué dans les temps sombres leur travail de création et de sape (en URSS ou en Chine), ne sont pas oubliés. L’auteur raconte aussi des voyages plus sereins dans des pays pacifiés et des aventures vécues dans des régions inédites (comme l’Antarctique). Au Ghana, où il est accusé d’avoir partagé le lit du président Mahama et d’avoir créé un lobby homosexuel pour le faire élire, il fait l’expérience de la virulente homophobie qui sévit en Afrique. Solomon a manifestement des dons de conteur qu’il met au service à la fois de la diversité et de l’unité humaines. Ayant la double nationalité britannique et américaine, il était des électeurs perdants, à la fois dans le vote sur le Brexit et celui qui a installé Trump à la présidence des États-Unis. L’occasion pour lui de quelques réflexions finales sur la montée universelle de la xénophobie – raison essentielle du résultat de ces élections, selon lui – et sur la possibilité de la citoyenneté, pour la consolidation de laquelle il estime que le réflexe de rétraction dans des frontières fermées est un contresens.