
Le désir de Velázquez attrapé par Picasso d’Adrien Le Bihan
Caprice
Nous sommes emportés par un récit qui semble s’égarer sans cesse en des excursus savants et drôles, mais qui nous ramènent toujours à la question de l’auteur : que représentent Les Ménines pour Picasso ?
Comme toujours avec Adrien Le Bihan, l’érudition se combine à l’espièglerie pour le grand bonheur du lecteur. Nous sommes emportés par un récit qui semble s’égarer sans cesse en des excursus savants et drôles, mais qui nous ramènent toujours à la question de l’auteur : que représentent Les Ménines, que Velázquez peint en 1656-1657, pour Picasso ? « Quatre tableaux emboîtés le constituent : l’infante Marguerite Marie (cinq ans), flanquée de ses deux suivantes ; un autoportrait, longtemps l’unique authentifié, de Velázquez au chevalet et à la palette ; un atelier du peintre ; une ébauche enfin de portrait en buste, dans un hypothétique miroir, du roi Philippe IV et de la reine Marianne. » Picasso, d’août à décembre 1957, soit trois siècles après l’exécution du tableau, peint cinquante-huit peintures à l’huile sur toile, dans sa villa La Californie, à Cannes. Il décompose l’œuvre, isolant l’infante, les suivantes ou les pigeons. Il ne copie pas, ne reproduit pas ; il part d’un tableau apprécié pour s’en libérer et ainsi le dépasser et l’inscrire dans sa propre production. Peu lui importe que Marguerite Marie soit promise dès sa naissance à son cousin Léopold de Habsbourg, qu’elle épousera et à qui elle donnera six enfants, avant de mourir, le laissant veuf bien que plus vieux qu’elle de onze ans. Pas plus qu’il ne lira ce que Claudel dit de ce tableau de Velázquez. Non, Picasso peint ce qu’il ressent d’espagnol en lui, se souvenant de son père, peintre sans succès, client régulier des bordels de Barcelone, d’où de nombreuses digressions étymologiques aux connotations sexuelles qui viennent éclairer à la fois l’œuvre de Velázquez et celle de Picasso. Ce qui nous vaut des notations langagières tant castillanes que marseillaises, pays natal de l’auteur… Celui-ci ne mentionne pas le long commentaire du tableau que Michel Foucault place au début des Mots et des choses ; il n’en a pas besoin pour révéler ce que Picasso y déniche et comment il utilise le jeu des miroirs, où le roi est présent sans être le sujet du tableau. Adrien Le Bihan exalte les fulgurances de l’œuvre, n’oubliant pas ce que Balthus dit de Picasso : « Il n’a jamais peint, dans sa fureur, que ce profond vertige du temps. » C’est ce temps qui passe de manière vertigineuse que tente de retenir Adrien Le Bihan, en évoquant son père, sa mère, Marseille, Madrid, la peinture, la sexualité, l’acharnement de Picasso à sans cesse créer, se renouveler, explorer d’autres formes…