
Israël. Une démocratie fragile de Samy Cohen
Alors qu’Israël est plongé dans la plus sérieuse crise politique qu’il ait connue, le livre de Samy Cohen vient à son heure. L’auteur, directeur de recherche émérite du CERI, qui a publié déjà plusieurs ouvrages sur la situation dans ce pays, évoque cette démocratie qu’il qualifie lui-même de fragile. Constatant les évolutions préoccupantes qui affectent de nombreuses démocraties devenues populistes, voire « illibérales », il observe qu’aucune étude n’a été faite sur la situation en Israël, où pourtant « la question de la démocratie divise les Israéliens, enflammant les passions… Ses plus fervents partisans décrivent Israël comme la seule démocratie du Proche-Orient, tandis que d’autres vont jusqu’à nier son caractère démocratique et le qualifient d’ethnocratie ».
Samy Cohen estime pour sa part qu’Israël est une « démocratie qui n’appartient pas à la famille des démocraties libérales du monde occidental », en offrant un modèle à part, avec une double identité, juive et démocratique. Mais surtout, elle est fragile et réversible depuis que Benyamin Netanyahou, au pouvoir depuis douze ans, a laissé la droite nationaliste et religieuse développer une offensive antilibérale, mettant en cause l’action même des pouvoirs qui sont les contrepoids indispensables à l’exercice d’une vie pleinement démocratique. En 2017, le président Rivlin, pourtant lui-même issu du Likoud, mettait en garde le gouvernement contre ses tentatives de saper les piliers de la démocratie que sont la presse et la Cour suprême.
Après une période de mise en place et de consolidation des institutions démocratiques, la « revanche des religieux » s’affirme dès le début des années 1970 avec l’ascension des sionistes religieux et des juifs ultra-orthodoxes dont l’influence est grandissante. Celle-ci s’infiltre dans tous les rouages du pouvoir, y compris dans l’armée, réputée pourtant attachée à la laïcité. Ces mouvements demandent l’application de la Halakha, la loi religieuse ; ils considèrent qu’il n’y a pas de terres arabes en Palestine et que « l’héritage divin » conduit naturellement à la pérennisation de l’occupation, voire à l’annexion de la Cisjordanie. Jouant sur le laxisme des autorités, qu’elles soient de gauche ou de droite, la revanche des religieux a contribué au développement des colonies. Elle ne cache pas non plus son tropisme homophobe et misogyne. Dans le même temps, face au développement du terrorisme d’origine palestinienne, les normes morales se sont effritées, conduisant Tsahal à intervenir de façon « disproportionnée », selon le terme officiellement employé, notamment à Gaza.
Depuis 2009, selon l’auteur, « la démocratie n’a cessé de subir des assauts souvent violents » de la part de Benyamin Netanyahou associé à l’extrême droite, représentée par les partis sionistes religieux ou ultra-orthodoxes. Ainsi un clivage de plus en plus béant est-il apparu entre deux camps, l’un séculier et démocratique, l’autre nationaliste et religieux, qui entendrait limiter l’espace démocratique au nom de la défense de l’identité juive de l’État d’Israël et serait en train de devenir majoritaire.
Cet ouvrage, qui s’appuie sur une riche documentation, peut sembler sévère dans ses jugements. Mais il apparaît comme une lecture indispensable pour comprendre toute la complexité de la situation actuelle. La conclusion de l’auteur n’est guère optimiste : il estime que la démocratie israélienne « peut être remise en question ». Cette évolution est d’autant plus préoccupante que la politique intérieure israélienne a naturellement des conséquences sur sa politique étrangère et donc sur l’avenir du Moyen-Orient.