
La francophonie institutionnelle sous la dir. de Christophe Traisnel et Marielle A. Payaud
50 ans
C’est à un passionnant voyage au sein des singularités institutionnelles des francophonies que les auteurs nous convient.
Les 12 et 13 décembre 2020 devait se tenir à Tunis le XVIIIe Sommet de la francophonie, qui n’a pas résisté à la crise sanitaire. Ces sommets biannuels constituent pour la francophonie le point d’orgue d’une histoire institutionnelle « au long cours », depuis la signature, le 20 mars 1970, de la convention portant création de l’Agence de coopération culturelle et technique. Depuis ce demi-siècle, la francophonie a pris une forme plus ouvertement politique à partir du sommet de Versailles en 1986 et surtout en 1997 à Hanoï avec l’élection de son premier secrétaire général, l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali, ancien ministre d’État égyptien aux Affaires étrangères et ancien secrétaire général de l’ONU, sa personnalité, son parcours et sa parfaite connaissance de la langue française donnant à celle-ci un statut véritablement universel.
De fait, la transformation de la francophonie en véritable organisation internationale s’est accompagnée d’un élargissement considérable, accueillant de plus en plus d’États membres et regroupant aujourd’hui 54 membres, 7 membres associés et 27 observateurs, ce qui la met presque en parité avec le Commonwealth, celui-ci rassemblant des populations plus nombreuses. De nombreux mouvements ont accompagné ces processus d’institutionnalisation, qui se sont étendus à des domaines divers : l’économie, les médias, les universités et l’enseignement supérieur, donnant naissance à des opérateurs structurant cette francophonie institutionnelle internationale. Les divers contextes nationaux, régionaux ou locaux analysés dans cet ouvrage collectif ont ainsi donné lieu au lancement de politiques publiques, la création d’organismes ou de dispositifs administratifs, l’adoption de normes autour du français ou de la francophonie : officialisation du français dans plusieurs contextes nationaux africains, régionalisation des langues en Belgique, création en France du Haut Comité pour la défense et l’expansion de la langue française en 1966, devenu par la suite la Délégation générale à la langue française et aux langues de France… Chaque contexte a généré, à son propre rythme et en fonction des enjeux et dynamiques sociopolitiques, ses réponses quant au statut et à la reconnaissance du français et de la francophonie, l’enjeu linguistique ne se posant pas dans les mêmes termes au Québec ou en Acadie, en Algérie ou en France, au Cameroun ou au Sénégal, au Vietnam ou au Vanuatu.
Parallèlement à cette croissance, le processus de mondialisation s’est accéléré, transformant les grands équilibres géopolitiques. La francophonie, dans ses structures, ses buts, ses manifestations en a été affecté, mais elle a su s’y adapter avec souplesse et rapidité. Ces nouvelles urgences globales, comme le changement climatique ou les crises sécuritaires et migratoires, elle les fait pleinement siennes. L’aide au développement, qui a subi bien des critiques, n’a plus les mêmes objectifs. Les rapports Nord-Sud, qui avaient occupé le devant de la scène au milieu des années 1970, se sont redessinés. Le monde apparaît, à bien des égards, plein d’incertitudes, surtout dans le cadre de la crise sanitaire et économique que nous traversons. Dans ce contexte, quel doit être le nouvel objectif du mouvement francophone ? Le 50e anniversaire est l’occasion d’un nécessaire bilan, mais aussi celle d’une nouvelle orientation qui permette à la francophonie de traverser le nouveau siècle, notamment en Afrique.
Quatre grands thèmes, largement définis, ont structuré ce recueil : d’abord, la place de la francophonie et de l’Organisation internationale de la francophonie dans l’ordre international. La francophonie dans sa diversité ensuite, dans l’espace, au travers de ses réseaux et institutions, des réalités institutionnelles nationales, régionales et municipales, et ses déclinaisons intraétatiques. Puis, la description des mobilités dans l’espace francophone, qu’elles soient scientifiques (étudiants, enseignants), techniques ou économiques (entreprises), culturelles ou migratoires, est particulièrement stimulante. Aux flux humains, il convient d’ajouter les flux financiers, techniques ou technologiques, matériels ou conceptuels qui font partie des dynamiques francophones. Enfin, les auteurs s’intéressent au processus d’institutionnalisation de la francophonie en se penchant sur le rôle des acteurs sur les différences culturelles. Belgique, Sénégal, Québec, Acadie connaissent ainsi différents processus d’institutionnalisation de la francophonie ou du français (langue officielle, langue d’enseignement, langue de l’espace public…).
En définitive, c’est à un passionnant voyage au sein des singularités institutionnelles des francophonies que les auteurs nous convient. Dans un monde où les luttes sont implacables, les solidarités qu’elles permettent sont plus nécessaires que jamais.