
Psychoanalysis and the family in twentieth-century France. Françoise Dolto and her legacy de Richard Bates
Richard Bates s’intéresse aux origines des idées de Dolto, à la reconnaissance qu’elle obtint, aux débats persistants sur son héritage ; son récit, focalisé sur la reconstitution minutieuse du parcours de sa protagoniste, laisse largement à l’arrière-plan la théorie psychanalytique et les transformations de la famille que le titre annonce.
Voici une biographie centrée sur la figure publique que la psychanalyste Françoise Dolto devint durant les années 1960 et 1970, alors que la psychanalyse obtenait en France une reconnaissance collective inespérée. En guidant parents et professionnels de la petite enfance pendant cette période de bouleversement des mœurs, Dolto s’acquitta pour ainsi dire d’un office pastoral. Richard Bates s’intéresse aux origines des idées de Dolto, à la reconnaissance qu’elle obtint, aux débats persistants sur son héritage ; son récit, focalisé sur la reconstitution minutieuse du parcours de sa protagoniste, laisse largement à l’arrière-plan la théorie psychanalytique et les transformations de la famille que le titre annonce.
Bates soutient que la perspective de Dolto fut marquée par des discussions françaises de l’entre-deux-guerres. Dans les milieux de la droite catholique hostiles à la IIIe République, qui allaient prévaloir durant le régime de Vichy, une obsession nataliste s’était développée à la suite de l’hécatombe de la Première Guerre mondiale ; on tentait de revaloriser le rôle de génitrice et de dénigrer les femmes qui, prenant d’assaut le marché du travail, semblaient oublier les devoirs de leur sexe. De là proviendrait la défense, par la catholique qu’était Dolto, d’une différenciation sexuelle rigide du travail ; elle aurait affirmé, jusque dans les libertaires années 1970, qu’une « sorte de révolution nationale était encore requise ».
Dolto a proposé une explication de l’autisme qui est simultanément une incrimination des mères : celles qui s’écartent de la conduite attendue d’elles, par exemple en accomplissant des tâches qui incombent aux pères et qui croient ainsi pouvoir faire fi de l’ordre du monde, sont punies par le malheur qui frappe leur enfant. De cette manière, Dolto pouvait déguiser sa désapprobation des écarts de conduite en examen scientifique de leurs supposées conséquences pathologiques. C’est la théorie analytique qui permettait à Dolto ce déplacement des frontières des responsabilités en fournissant des circonstances atténuantes : ainsi, Dolto affirmait à ses coreligionnaires que les gestes attribuables à des forces inconscientes, parce qu’ils étaient incontrôlables, ne pouvaient pas être traités comme des péchés. Mais la psychanalyse offre aussi des circonstances aggravantes : pour Freud, par exemple, on déciderait, au fond de soi, de tomber malade. De même, Dolto affirmait qu’il n’y avait rien de physiologique dans l’homosexualité et que l’enfant décidait de se réfugier dans l’autisme en réponse aux traitements abominables que lui infligeait sa mère.
Certains d’entre eux pensaient que c’étaient les sacrifices excessifs des mères qui, en tarissant la source de leur affection, poussaient ceux-ci vers l’autisme ; pour d’autres, au contraire, c’était parce que des mères refusaient égoïstement de se sacrifier qu’elles produisaient cet effet. Au fond, ces analystes débattaient de ce qu’on est en droit d’attendre des mères. Signe d’une crise du rôle maternel, durant une période d’épanouissement de l’individualisme moral ? Les sacrifices attendus de la mère, longtemps valorisés dans l’imaginaire collectif, semblaient heurter les aspirations à l’autonomie de certains. Dolto se débattait avec ces aspirations à l’autonomie. Parfois, elle les défendait passionnément : elle condamnait les femmes qui se sacrifiaient et défendait farouchement la liberté de l’enfant. Parfois, au contraire, elle leur résistait ; notamment en défendant une conception rigide du couple et de la famille.
Si le destin de Dolto semble inséparable du destin de la psychanalyse, cette dernière n’apparaît pourtant qu’à l’arrière-plan du récit de Bates. Parfois, il soutient que le succès de Dolto serait indépendant de celui de la psychanalyse : on aurait accordé du crédit à son message parce que ce dernier, sous un enrobage psychanalytique, reprenait la sagesse conventionnelle de l’époque ; ses conseils auraient provoqué l’enthousiasme parce qu’ils combinaient réconfort, perspicacité psychologique et attitudes libérales envers les enfants ; plusieurs auraient considéré Dolto comme une source de sagesse en dépit de ses idées théoriques, auxquelles ils n’accordaient en réalité que peu de crédit. Dans d’autres passages, Bates présente les choses autrement : Dolto se serait appuyée sur l’autorité reconnue à la psychanalyse pour faire avaler à son public son essentialisme biologique ; l’ascension de la psychanalyse aurait contribué à conférer aux idées de Dolto un degré significatif d’autorité culturelle, etc. Ainsi, la reconnaissance obtenue par Dolto devrait être expliquée par la reconnaissance obtenue par la psychanalyse durant ces mêmes années (mais Bates ne l’explique pas). Dans d’autres passages du livre, c’est l’autorité d’abord reconnue à Dolto qui expliquerait (en partie) l’autorité reconnue à la psychanalyse : en présentant à son public des idées analytiques comme un savoir médical établi, Dolto aurait contribué à les faire accepter ; elle aurait été une intermédiaire rassurante entre une théorie d’allure ésotérique et un large public.
Si Bates montre comment la psychanalyse a pu, par le truchement de Dolto, affecter la société contemporaine, il ne se demande pas comment cette société a marqué la création de cette théorie. Il est ainsi porté à reprendre l’image de la psychanalyse dont Robert Castel critiquait déjà les insuffisances, celle d’une théorie créée à l’écart des besoins et des attentes de la société, et à présenter l’ajustement de la psychanalyse à certaines attentes sociales, par Dolto, comme une sorte de travestissement de cette théorie.