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Notes de lecture

Dans le même numéro

À la droite du Père. Les catholiques et les droites de 1945 à nos jours Sous la dir. de Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou

mars 2023

Alors que la sécularisation de la société s’est considérablement accrue à partir de la seconde moitié du xxe siècle, Raison du Cleuziou fait le constat d’une « dé-sécularisation » de la droite de l’Église et, selon lui, la tendance actuelle à la « patrimonialisation » du catholicisme pourrait retarder les effets du déclin statistique et offrir malgré tout des chances de renouveau…

René Rémond, grand politologue et grand spécialiste des droites en France, n’a pourtant jamais traité comme tel le sujet des « cathos de droite » en politique. Peut-être parce que l’évidence du vote catholique à droite va de soi dans la vie politique française, qu’elle lui est coextensive, peut-être aussi parce que ses sympathies personnelles allaient aux militants et aux engagés (comme lui) plutôt qu’aux « simples » baptisés catholiques, se reconnaissant tels et « appartenant » à l’Église selon des modalités multiples mais non militantes. Mais René Rémond a sans doute eu – pour une fois ? – tort : dans son introduction, Florian Michel énumère les bonnes raisons, associant histoire et science politique, d’étudier les droites religieuses en France : « Quelle capacité d’action et d’adaptation ? Quels combats ? Quelle représentation politique ? Quels projets ? Quels réseaux ? Quelles idées ? » On pourrait ajouter : quelles évolutions jusqu’à nos jours ?

Le livre À la gauche du Christ, paru en 2012 et consacré aux chrétiens de gauche depuis 19451, a-t-il aussi joué un rôle dans l’idée d’en faire l’équivalent pour les catholiques de droite ? C’est probable, mais peu importe : la grille de lecture (la place, le rôle, les erreurs, les succès et les échecs des catholiques présents dans les diverses droites) permet une relecture originale à la fois de l’histoire de France et de l’histoire de l’Église depuis 1945, en particulier lors de moments de crise ou de transition importants. De fait, l’ouvrage, auquel ont participé trente et un spécialistes, est conçu pour partie selon le modèle de À la gauche du Christ. Il est divisé en quatre grandes périodes, dont l’énoncé des titres suffit à donner une idée du contenu : « 1945-1958. La Libération et la revanche des démocrates-chrétiens » (domination et limites du Mouvement républicain populaire, anticommunisme catholique, dilemme entre « colonialisme et mission ») ; « 1958-1974. La Ve : une République moderne et catholique ? » (séquelles de la guerre d’Algérie, Vatican II, convergences avec le gaullisme, Mai 68) ; « 1974-1997. Entre modernisation et restauration » (malaise des catholiques face au modernisme giscardien, notamment la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, identification autour de Jean-Paul II, défense de la famille et de la vie, grande manifestation de 1984 pour défendre l’enseignement libre) ; « 1997-2022. L’âge minoritaire » (« Catho Pride » anti-Pacs, anti-mariage pour tous, anti-IVG et anti-théorie du genre, tentatives de re-confessionnalisation du politique, nouveaux « réactionnaires », populisme et résistance à l’« invasion musulmane »). Cette part de récit, à la fois d’histoire contemporaine et de sociologie, est la plus importante et en apprend ou en réapprend beaucoup sur les multiples recompositions politiques non seulement du catholicisme de droite, mais de l’Église catholique entière depuis 1945. Chaque chapitre à l’intérieur des parties se clôt par de brefs portraits d’une ou deux personnalités typiques de la période étudiée. Tout serait à commenter. On notera seulement la sorte d’« âge d’or » de la droite politique en France durant les décennies de l’après-guerre (avec le Mouvement républicain populaire et le général de Gaulle) et, au contraire, ses échecs (sur le « sociétal ») dans les dernières décennies, ses tentations de radicalisation et le partage de la faiblesse de l’Église dans son ensemble.

Dans sa copieuse conclusion générale, « Les droites, le changement et le sacré », Yann Raison du Cleuziou tente de mesurer les chances d’avenir d’une droite catholique éclatée, vivant sous trois régimes majeurs d’historicité (ou de politisation) : le concordisme, qui s’accommode des innovations et cherche la conciliation avec les aspirations contemporaines ; le conservatisme, qui peut revêtir de nombreuses formes plus ou moins ouvertes ou fermées et cherche à perpétuer la ou les tradition(s), un héritage de valeurs importantes qui ont forgé une civilisation, un ordre catholique ; et la forme réactionnaire, qui mobilise le passé pour relativiser et rejeter le présent. Alors que la sécularisation de la société s’est considérablement accrue à partir de la seconde moitié du xxe siècle, Raison du Cleuziou fait le constat d’une « dé-sécularisation » de la droite de l’Église et, selon lui, la tendance actuelle à la « patrimonialisation » du catholicisme pourrait retarder les effets du déclin statistique et offrir malgré tout des chances de renouveau…

Mais la partie la plus originale, sans doute, en tout cas susceptible d’un grand plaisir de lecture, est la sorte d’annexe intitulée « Dictionnaire thématique » sur « Les cultures des droites catholiques », c’est-à-dire les créations, les signes de reconnaissance et les habitus, mais aussi les étrangetés catholiques qui demeurent sur le temps long, au-delà des conjonctures politiques. Sous la rubrique de « La foi », on trouve ainsi, entre autres, les entrées « Chanoine d’honneur du Latran », « Cornettes », « Pèlerinage de Chartres », « Scoutisme », « Tombes »… ; sous celle des « Mentalités », on retrouve « Complotisme », « Famille nombreuse », « Idéal féminin », « Loden », « Ouest » (breton), « Savoir vivre »… ; sous celle des « Institutions », on a « Bourgeoisie », « Funérailles présidentielles », « Liturgies religieuses et civiles », « Parlementaires », « Régionalisme »… ; à la rubrique des « Autorités » sont associés « Académies et universités », « Arts », « Clergé », « Écrivains », « Magistère romain », « Officiers », « Philosophes et intellectuels »… On aurait pu certainement augmenter encore cette partie (on pense à « Fiançailles », à « Saints et saintes français » ou même, aujourd’hui, à « Abus », sans compter des aspects plus folkloriques). Toutes ces « cultures » ont connu des crises et des transformations, des renaissances aussi, de 1945 à nos jours, et leur rappel enrichit fortement l’histoire politique des catholiques de droite. Une telle « petite encyclopédie » eût-elle été possible avec des « cultures catholiques de gauche » ? Ce n’est pas exclu, malgré une histoire beaucoup plus courte, donc moins marquée par une culture et des formes de reconnaissance typiques.

  • 1. Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (sous la dir. de), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 2012 (rééd. « Points Histoire », 2015).
Seuil, 2022
784 p. 29 €

Jean-Louis Schlegel

Philosophe, éditeur, sociologue des religions et traducteur, Jean-Louis Schlegel est particulièrement intéressé par les recompositions du religieux, et singulièrement de l'Eglise catholique, dans la société contemporaine. Cet intérêt concerne tous les niveaux d’intelligibilité : évolution des pratiques, de la culture, des institutions, des pouvoirs et des « puissances », du rôle et de la place du…

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Ukraine, an II

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