
Dominer de Pierre Dardot et Christian Laval
Il est difficile de rendre compte d’une enquête qui a des allures d’encyclopédie sur l’histoire du pouvoir d’État, ou de l’État tout court, en Occident. Disons que le parcours annoncé par le titre est tenu, à la fois quant à l’histoire et à la réflexion théorique. De l’Antiquité, où la souveraineté de l’État est « introuvable », au xxe siècle et au moment actuel, où l’on assiste à de « nouveaux mystères de l’État » (et à la dispersion relative de sa souveraineté), on passe par tous les siècles et tous les stades de sa domination, dont son apogée du xviie au xixe siècle. Sur la nature de cette « domination » et le champ sémantique de son exercice (la sacralisation royale, le pouvoir « absolu », le despotisme, le droit naturel, la raison d’État, le peuple, la nation, la République, l’administration, la bureaucratie, la part du social, de la police, de l’armée, du marché, de la critique socialiste et libérale, du problème posé par le « politique » moderne), les auteurs avancent nombre de réflexions passionnantes. Ils terminent sans surprise avec Michel Foucault. Le chapitre surprenant est le deuxième, consacré à la « révolution papale » de Grégoire VII (1073-1085). Dans l’historiographie de l’Église, ce pontificat est considéré comme celui qui a mis en place, pour le meilleur ou le pire, les structures de l’Église (catholique) du second millénaire. Pour les auteurs, l’affirmation de la souveraineté du pape, gravée dans le droit, est une « révolution totale » qui rompt avec tout ce qui précède et met en branle, par un retournement rapide, le modèle profane ou laïque de la souveraineté de l’État qui, sous de multiples formes, sera dominant durant le millénaire politique suivant et dont nous ne sommes pas sortis, serait-il en crise permanente.