
Fin de vie en République. Avant d’éteindre la lumière d'Erwan Le Morhedec
Blogueur catholique, Erwan Le Morhedec n’oppose pas la doctrine catholique à une légalisation de l’euthanasie. Il tente d’établir comment des lois sur l’euthanasie et le suicide assisté porteraient concrètement atteinte aux principes fondamentaux de l’humanisme républicain.
La fin de vie est devenue un enjeu politique : c’est à qui fera passer, ou non, la loi autorisant l’euthanasie et le suicide assisté. À cause de la longévité accrue, des capacités médicales de prolonger longtemps la vie de personnes victimes d’accidents ou de maladies très graves, et pour d’autres raisons encore, nombre d’entre nous, parfois jusqu’à un âge avancé, font l’expérience concrète de proches en fin de vie ou maintenus en vie, de la charge lourde de leur accompagnement concret dans la durée, des angoisses que crée et des questions que pose, précisément, la fin de vie de proches. Ceci explique en partie cela : malgré les avancées de la loi Claeys-Leonetti (renforcement de la prise en compte de la volonté du patient, droit de recevoir les traitements les plus appropriés, de ne pas faire l’objet d’une obstination déraisonnable, possibilité d’une sédation profonde jusqu’au décès), les partisans de l’euthanasie, de l’aide active à mourir et du suicide assisté n’ont pas cessé de faire campagne pour leur autorisation légale sans restriction. Ce combat peut s’appuyer sur une opinion publique très largement favorable.
Beaucoup de partisans de ces mesures espèrent ou se figurent qu’ils simplifieront ainsi les choses pour eux-mêmes et pour leurs proches, débarrassés du fardeau matériel et moral que leur imposera leur existence prolongée, douloureuse, parfois effroyable, devenue, croient-ils, « sans dignité ». « Croient-ils » : mais qui fait croire cela à eux, à nous tous ? Tout un discours en arrière-plan, martelé aujourd’hui à l’infini, pour lequel ne valent vraiment que le corps et l’esprit sains, capables, performants, non déformés ni diminués par l’âge et/ou la maladie. Pour l’exprimer négativement : la vie ne vaut plus d’être vécue quand ces qualités ou ces atouts sont détruits par la maladie ou un accident de la vie. Dans ce contexte, l’intérêt du livre d’Erwan Le Morhedec est double. À partir d’une enquête de terrain précise, documentée, argumentée, auprès des acteurs de la fin de vie, il s’inscrit en faux contre l’évidence, voire la contrainte euthanasique installée dans les esprits par des associations militantes (en particulier, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité) et des médias nombreux, gagnés à cette cause. Pourtant, contrairement aux idées reçues, le contrôle de la fin de vie par la loi ne lève pas, loin de là, les soucis et les obstacles pour tous – mourants, soignants, proches… : les certitudes et les décisions prises longtemps à l’avance vacillent ; montent les peurs et les angoisses, l’indécision, le désir de continuer à vivre malgré tout. Le grand défi serait alors d’accompagner, encore et encore, celle ou celui qui est « vivant jusqu’à la mort » (Ricœur) – mais combien en sont capables, ou en mesure de le faire ?
Le livre est bien sûr, en ce sens, une défense et illustration inconditionnelle des soins palliatifs. Mais il a aussi un volet politique. Blogueur catholique, Erwan Le Morhedec n’oppose pas la doctrine catholique à une légalisation de l’euthanasie. Il tente d’établir comment des lois sur l’euthanasie et le suicide assisté porteraient concrètement atteinte aux principes fondamentaux de l’humanisme républicain. « Encadrer la mort » semble certes un but louable, mais le bilan (qu’on peut faire pour des pays comme la Belgique et la Hollande) n’est guère encourageant : une loi dans ce domaine non seulement n’empêcherait pas, mais provoquerait de multiples dérives (absence de contrôles et d’explication, pressions sur l’entourage, dédain des dilemmes et des cas de conscience, culpabilisations, inégalités de l’accès à l’euthanasie…).
Il ne s’agit pas de nier l’extrême difficulté, déjà matérielle pour commencer, ainsi que la détresse morale et spirituelle de l’entourage des personnes atteintes d’une « maladie insupportable et incurable », qui peut être durable. Il se peut que nous n’ayons plus les ressources intellectuelles et spirituelles pour accompagner les mourants. Du reste, l’auteur ne juge pas celles ou ceux qui ont cru devoir autoriser ou encourager l’euthanasie d’un proche ou son suicide assisté (il critique éventuellement leurs discours et leurs raisons, ce qui est différent). Il emporte néanmoins la conviction quand il voit dans la fin de vie « encadrée » ou « administrée », non pas une marque de dignité accrue, mais un degré supplémentaire de l’inhumanité techno-scientifique (qui offre des moyens toujours plus sophistiqués de mourir « heureux »). La dignité du corps et de la vie n’est pas morte quand disparaissent les marques extérieures de sa présence. Accompagner nos frères et sœurs humains jusqu’à leur mort, fût-ce partiellement, insuffisamment, telle est, encore et toujours, l’exigence première de leur dignité et de la nôtre.