
Le courage de la nuance de Jean Birnbaum
On n’en est plus au sens, mais au « courage de la nuance ». La violence verbale sur les réseaux sociaux, mais aussi les jugements définitifs et les condamnations sans appel proférés par des clowns et des pantins autoproclamés spécialistes de tout, sur les plateaux des chaînes de télévision privées, ont atteint un tel degré d’intensité et sont si répandus désormais qu’ils découragent jusqu’à l’envie de rétablir un peu plus de vérité, ou un peu moins de mensonge. Jean Birnbaum s’y est pourtant attelé, dans un essai qu’il appelle joliment « manuel de survie par temps de vitrification idéologique », avec des intellectuels et des écrivains selon son cœur, qui ont pratiqué l’« héroïsme de la mesure ». Dans les sept méditations qu’il propose (sur Albert Camus, Georges Bernanos, Hannah Arendt, Raymond Aron, George Orwell, Germaine Tillion, Roland Barthes), il ne fait pas que décrire leur souci de la nuance, et d’abord de l’accueil de la parole d’autrui, de la confiance première accordée. Il s’efforce aussi et surtout de comprendre d’où leur vient la force intérieure pour résister à l’agitation perpétuelle, à la provocation verbale, à la haine, à la trahison… Il y a des surprises, comme de voir Bernanos dans cette liste, lui qui est si souvent convoqué aujourd’hui pour taper du poing sur la table devant les prudences et les accommodements. Tous paient le prix du courage de la nuance : ils sont acculés à une forme de solitude, et pourtant solidaires dans leurs différences affichées. Mais est-ce un hasard ou un symbole si J. Birnbaum est allé chercher ses héros de la mesure au xxe siècle, et qu’aucun du xxie siècle ne fasse (encore) partie de sa liste ?