
Maladies mentales et sociétés. (xixe-xxie siècle) de Nicolas Henckes et Benoît Majerus
Un sociologue et un historien restituent l’histoire de l’expérience de la maladie mentale et de son traitement à l’époque contemporaine en l’inscrivant dans son contexte social mouvant. Cet ouvrage de synthèse, utile aux étudiants comme aux curieux, explore quatre dimensions du rapport entre maladies mentales et sociétés : les espaces (l’asile, la ville, les colonies, la communauté), les savoirs (les classifications médicales, les sciences sociales, les neurosciences), les pratiques (les soins, les punitions, les psychothérapies, les médicaments) et les expériences (des professionnels, des malades et des familles). Cette exploration est conduite avec pédagogie et rigueur, faisant référence aux grands classiques de l’histoire de la folie tout en prêtant une attention particulière aux recherches les plus récentes. Ainsi, l’attention aux espaces de la folie conduit les auteurs à évoquer leur récente dissémination dans les prisons, les foyers pour migrants ou personnes à la rue, mais aussi les entreprises, les écoles et les logements sociaux. De même, considérant que « les savoirs psychiatriques n’ont jamais été isolés des idées sociales et politiques de leur époque », l’examen des neurosciences, cette plateforme de recherches sur le fonctionnement du cerveau, montre que leur autorité provient à la fois des succès de la nouvelle imagerie cérébrale et de la prégnance contemporaine de l’imaginaire individualiste selon lequel « je suis mon cerveau ». C’est également cet imaginaire qui permet de rendre compte du succès de la notion de « rétablissement » (recovery), au détriment de la guérison, puisqu’elle concerne le recouvrement de la maîtrise de ses choix de vie (et peut servir de prétexte à la fermeture de services de soin). Enfin, considérant les expériences, les auteurs soulignent le développement de la bureaucratie et les processus de segmentation qui affectent désormais les professionnels de la psychiatrie, et retracent la tardive émancipation des malades face à l’institution psychiatrique, jusqu’à la première Mad Pride à Toronto en 1993. En conclusion, les auteurs invitent à des recherches sur « la part intime de la maladie mentale », terra incognita des sciences sociales, qui pourraient s’appuyer sur le riche matériau des publications personnelles sur Internet.