
Remember Baudrillard de Serge Latouche
Le premier mérite de ce livre est de rappeler l’actualité de Baudrillard, son étonnante prescience et sa lucidité phénoménale dans l’analyse du monde, ou plutôt de l’empire politique des signes installés dans nos vies individuelles et collectives, avec leurs effets démultipliés par Internet et ses réseaux. Partout se sont étendus et intensifiés le monde des objets, l’hyperconsommation, la communication, le spectacle, la séduction, le virtuel, le simulacre, la dérision, le nihilisme, sans oublier la « viralité du terrorisme ». Serge Latouche, professeur d’économie devenu un héraut de la décroissance, a fréquenté Baudrillard jusqu’en 1976, c’est-à-dire au moment de son grand tournant intellectuel, quand il passe de la critique, certes déjà originale mais au fond encore « classique » (c’est-à-dire marxiste), du capitalisme et de la société de consommation, à l’« oubli de Marx » et à l’analyse de la société de séduction. De ce « second Baudrillard », Latouche présente l’incroyable créativité et les évolutions successives, sans dissimuler les limites de ses « théories-limites » sur la réalité ou plutôt l’irréalité du monde social et de l’événement historique. Elles ont nourri, sinon son nihilisme, du moins l’impossible pari sur quelque engagement ou avenir que ce soit, et le scepticisme radical d’un « professeur d’incrédulité » (selon son ami Jacques Donzelot). C’est l’aspect qu’on peut oublier, mais on a tort de ne pas relire un auteur qui a eu autant de vista : il fait comprendre mieux que d’autres l’impossible « gouvernance » de démocraties submergées par la tyrannie des signes.