Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Notes de lecture

Dans le même numéro

Tocqueville. L’homme qui comprit la démocratie d'Olivier Zunz

octobre 2022

Dans la lignée de ses précédents ouvrages sur l’histoire des États-Unis, Le Siècle américain. Essai sur l’essor d’une grande puissance (Fayard, 2000) et La Philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires d’État (Fayard, 2012), Olivier Zunz offre un portrait complet et renouvelé d’Alexis de Tocqueville. L’intellectuel et homme politique y est montré dans toute sa complexité et ses contradictions face aux bouleversements du xixe siècle. Olivier Zunz tente également de comprendre en quoi la définition de la démocratie par Tocqueville garde toute sa pertinence aujourd’hui et comment, en accomplissant un voyage destiné à étudier le système pénitentiaire américain, l’intellectuel parvient à saisir l’esprit démocratique de son époque. L’ouvrage est aussi une invitation à interroger notre démocratie actuelle, alors que nous connaissons une « crise démocratique », marquée par la défiance envers les institutions et la transformation des modes de participation citoyenne.

Olivier Zunz explore chaque étape de la vie de Tocqueville comme autant de chemins tracés par sa pensée – chemins souvent sinueux, se reflétant dans le récit par des allers-retours, des revirements, des doutes. Ses notes, ses discours, sa correspondance et ses journaux permettent de suivre avec précision son parcours intellectuel. La liberté d’esprit de Tocqueville lui a permis de s’affranchir de sa condition d’aristocrate. Olivier Zunz salue ainsi le fait qu’il « fut capable de faire de son anxiété une force créatrice et sa passion pour la liberté lui permet d’accéder à une compréhension profonde et exigeante de la démocratie ». Cette dernière renvoie à la forme de gouvernement qui nécessite la participation assidue du citoyen. Cette participation n’est cependant pas réduite au droit de suffrage : Tocqueville considère la démocratie comme un état d’esprit de la société, qui en imprègne toutes les sphères.

Le voyage en Amérique de Tocqueville et de Gustave de Beaumont fait l’objet d’un passionnant développement. L’étude des prisons d’Amérique lui sert de prétexte pour échapper à sa carrière juridique. De ville en ville (New York, Albany, Syracuse, Detroit, Boston…), les deux amis s’entretiennent avec les élites politiques et sociales, étudient les différents pénitenciers et s’interrogent sur les failles menaçant la société démocratique. Olivier Zunz, historien des États-Unis et qui y vit, nuance certaines analyses et souligne la pertinence de certaines autres, au vu de l’actualité politique américaine. Les observations accumulées lors de ce voyage engagent les réflexions de De la démocratie en Amérique sur l’égalité et la liberté. En effet, « c’est là que se trouvait selon lui le grand défi de l’histoire moderne : trouver l’équilibre entre la liberté et l’égalité ». Tocqueville craignait à la fois l’excès d’égalité pouvant mener à l’autoritarisme et l’excès de liberté exacerbant les inégalités sociales.

« À présent, vous allez agir. Votre pensée est dite, il faut l’incorporer » : ces mots, adressés par Lamartine en 1840, correspondent à la volonté de Tocqueville de concilier ses réflexions avec l’action politique. La question du paupérisme lui permet de lier son aspiration à la démocratie et sa foi catholique, qui sera toute sa vie soumise au doute. Il défend l’individualisme comme la manière pour chacun d’utiliser sa liberté afin d’accomplir son existence. C’est pourquoi il s’opposera toujours à l’esclavage comme « un acte injuste, immoral, attentatoire aux droits les plus sacrés de l’humanité », présidant une commission chargée d’étudier son abolition. Olivier Zunz souligne la contradiction possible entre cette défense de l’individu et le souverainisme de Tocqueville, qui le fait promouvoir la colonisation française de l’Afrique du Nord.

Le coup d’État de décembre 1851 par Louis-Napoléon Bonaparte pousse Tocqueville à se détourner de la politique, ne voyant plus « quelle pouvait être la voie lui permettant d’assouvir ses aspirations démocratiques ». Ces dernières trouvent une traduction dans son nouveau projet d’étude, qui entend trouver l’explication historique à l’instabilité institutionnelle en France et à la popularité du régime autoritaire de Bonaparte. Mais il réoriente son travail autour de l’Ancien Régime et de la Révolution, avec la thèse que celle-ci a été une « tentative avortée de faire advenir l’égalité et la liberté ». De ces réflexions naît L’Ancien Régime et la Révolution.

En 1859, la tuberculose emporte Alexis de Tocqueville, à l’âge de 53 ans, laissant une réflexion inachevée sur l’histoire de la Révolution. La biographie d’Olivier Zunz nous emporte dans la vie passionnante de celui qui chercha, par l’étude et par l’action, la réalisation – elle aussi inachevée – d’une démocratie libérale et sociale.

Fayard, 2022
480 p. 25 €

Jeanne Bardoux

Ancienne stagiaire de la revue Esprit, Jeanne Bardoux occupe désormais le poste d'assistante parlementaire à l'Assemblée nationale.

Dans le même numéro

Il était une fois le travail social

La crise sanitaire a amplifié et accéléré diverses tendances qui lui préexistaient : vulnérabilité et pauvreté de la population, violence de la dématérialisation numérique, usure des travailleurs sociaux et remise en cause des mécanismes de solidarité. Dans ce contexte, que peut encore faire le travail social ? Peut-il encore remplir une mission d’émancipation ? Peut-il s’inspirer de l’éthique du care ? Le dossier, coordonné par Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, mène l’enquête auprès des travailleuses et travailleurs sociaux. À lire aussi dans ce numéro : le procès des attentats du 13-Novembre, les nations et l’Europe, l’extrême droite au centre, l’utopie Joyce et Pasolini, le mythe à taille humaine.