Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Notes de lecture

Dans la tête de Vladimir Poutine, de Michel Eltchaninoff

mai 2015

Le retour, sur la scène internationale, d'une Russie qui se rêve en grande puissance, s'accompagne de la formulation d'une idéologie spécifique. Il s'agit de l'"eurasisme", en tant qu'expression de la vocation de la Russie à représenter un modèle de jonction original entre l'Orient et l'Occident. Michel Eltchaninoff nous explique dans cet ouvrage comment cette notion irrigue la stratégie de puissance russe, à l'heure poutinienne. 

D’où vient la nouvelle idéologie politique promue par Poutine ? Dans une ambiance patriotique et militaire, un nouveau discours est diffusé par le Kremlin, dont la cohérence ne va pas de soi : pragmatisme économique, dénonciation de l’Occident décadent, réhabilitation des temps soviétiques et du stalinisme, rôle de protection vis-à-vis des minorités russophones au-delà des frontières… Le pari de cet ouvrage, qui reste toujours nuancé, est de prendre au sérieux les références idéologiques et philosophiques qui affleurent dans les discours officiels. L’histoire des idées ne conduit pas, comme on pourrait facilement s’y attendre, à mettre en évidence une nouvelle reprise de l’opposition ancienne entre occidentalistes et slavophiles. L’occidentalisme, certes, est très affaibli, mais une référence trop étroite aux origines slaves de la Russie ne convient pas aux ambitions impériales du régime actuel (comme on le voit en Ukraine, avec l’annexion de la Crimée). Si l’on peut identifier une idéologie nouvelle, c’est celle de l’« eurasisme », binôme théorique de la volonté de fédérer un nouvel ensemble géopolitique autour de la Russie (le Kazakhstan et la Biéolorussie ont signé en mai 2014 leur entrée dans l’« Union eurasiatique »… sans l’Ukraine). La Russie, elle aussi, veut faire partie des puissances asiatiques montantes… Faut-il s’inquiéter de ce bric-à-brac théorique qui promeut une « voie russe » de la démocratie ? De médiocres propagandistes en Russie mais aussi, curieusement, en France, impressionnés par l’image d’un pouvoir fort, ne manquent pas de s’en faire le relais. Mais, rappelle Michel Eltchaninoff, tout cela est bien loin de la grande tradition russe, littéraire et philosophique, qui suscite encore notre admiration.

Arles, Solin/Actes Sud, 2015, 180 p., 18 E, 2015
180 p. 18 €

Marc-Olivier Padis

Directeur de la rédaction d'Esprit de 2013 à 2016, après avoir été successivement secrétaire de rédaction (1993-1999) puis rédacteur en chef de la revue (2000-2013). Ses études de Lettres l'ont rapidement conduit à s'intéresser au rapport des écrivains français au journalisme politique, en particulier pendant la Révolution française. La réflexion sur l'écriture et la prise de parole publique, sur…