Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Notes de lecture

Dans le même numéro

Les Géographies de Tintin sous la dir. de Paul Arnould

Le thème du voyage et de la découverte du monde est fondamental dans Tintin, au point que c’est avant tout à cet aspect que sont associés les albums d’Hergé pour nombre de leurs lecteurs. La Société de géographie a ainsi organisé, les 20 et 21 janvier 2017, un colloque sur «  Les géographies de Tintin  », dont les actes ont été publiés. « Tintin est un des derniers explorateurs, réels ou fictifs, à qui tant d’enfants doivent leur vocation de courir plus tard aux quatre coins, si l’on peut dire, de la planète! », s’enthousiasme Jacques Langlois dans la préface de l’ouvrage. Effectivement, les géo­graphies de Tintin sont nombreuses, si l’on reprend l’énumération qu’en fait Paul Arnould dans l’introduction : la géographie rurale ou urbaine, la géographie tropicale, la géographie physique (géo­morphologie, climatologie, hydrologie, biogéographie), la géographie de la population,  etc., jusqu’à la géographie de l’imaginaire et de l’imagination. Les thèmes à traiter ne manquaient pas, et la notion de géographie, à travers les contributions qui ont été proposées lors de ce colloque, a pu être explorée dans ses aspects les plus divers, la seule restriction étant – évidemment – qu’elle porte sur Tintin.

On parle souvent du « monde » de Tintin. Si l’expression se réfère avant tout aux personnages et au principe de leur retour, elle vaut bien sûr également, et littéralement, en ce qui concerne la géographie, qui est double dans les albums d’Hergé. Il y a tout d’abord une géographie réelle, pour laquelle Hergé s’est de plus en plus documenté au fil du temps. Il a bien sûr laissé certaines erreurs, « peuplant, par exemple, le port de Lima de lamas, accoutumés aux cimes andines plutôt qu’aux plages du Pacifique », comme le rappelle Jacques Langlois, mais son souci de « vérisme », pour reprendre l’expression de Renaud Nattiez, est poussé à l’extrême. Il y a toutefois aussi, à côté des espaces réels que parcourent Tintin et ses compagnons, une géographie imaginaire qui se caractérise par un très haut degré de vraisemblance. Le cas de la Syldavie en constitue sans doute l’exemple le plus réussi : en quelques pages du Sceptre d’Ottokar, Hergé donne à ce petit État qui n’est situé nulle part précisément une histoire, des coutumes, des paysages et une langue, par lesquels il synthétise tous les pays de l’Europe centrale et des Balkans. La Syldavie, en effet, n’est aucun de ces pays en même temps qu’elle les est tous.

Hergé nous a fait voyager et nous enthousiasmer pour la diversité du monde. Il a peint en poète les paysages et les hommes, et nous avons reçu ses récits comme de la poésie. Une poésie fraîche comme la rosée sur le Sahara le matin, rassurante comme le crépuscule qui tombe sur les palmiers de l’oasis où s’endort Tintin le soir dans Au pays de l’or noir. Maintenant – voilà maintenant, disent les albums. Ce maintenant, c’est celui de ­l’enfance retrouvée, vers laquelle chaque lecteur peut se réfugier, comme l’a bien montré Renaud Nattiez dans de très belles pages[1]. Quand vient l’angoisse ou la peur de vieillir, quand les événements nous dépassent… Oui, retrouvons la beauté d’un monde disant encore son mystère, promettant tellement de rencontres ; retrouvons la beauté de la jungle de l’Inde, associée dans nos souvenirs à un long après-midi d’école primaire, où Tintin, nouveau Mowgli perdu au cœur de la forêt vierge qui laisse passer quelques rayons de soleil, parle avec les éléphants. Retournons sur l’un de ces bateaux, en partance pour où ? Pour l’Afrique, qui se dévoilera après un long voyage ? Pour la Chine ? Mais peu importe. Nous voilà prisonniers dans la cale du ­Karaboudjan avec Tintin, partant – tout simplement – pour une destination inconnue. « Est-ce qu’il y aurait, tu penses, une place pour moi sur le bateau du marinier Haddock, pour qu’il m’emmène loin, très loin, où l’enfance recommence? »

La géographie de Tintin, c’est avant tout l’imaginaire que nous gardons, le regard que nous portons sur l’autre, qu’Hergé nous a, le premier, fait aimer, comme l’a écrit lumineusement Michel Serres[2]. Tout consiste à retrouver la paix et la bienveillance de l’enfance et de l’enfant qui découvre le monde sur les traces de Tintin, qui marche avec lui dans les montagnes de Syldavie, au milieu des oursons et des ours, dans Objectif Lune. L’univers d’Hergé sent le soleil, les chansons de Charles Trenet et le ciel bleu de la route où explose le moteur de la voiture des Dupondt. Il est posé là, dans le temps, intemporel, contre la mort. Et nous voilà plongés dans la vie de l’instant – celle qui sait être l’instant même, qui sait contempler ce paysage, sans penser à l’heure d’après, sans penser à demain, qui sait être toute là, soudain.

Mais d’Hergé, de Tintin, on ne parle bien, peut-être, qu’en poète, qu’en écoutant l’écho des souvenirs et des images qui, toujours, continuent à monter en nous.

[1] - Renaud Nattiez, Le Mystère Tintin. Les raisons d’un succès universel, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2016, p. 126 et suivantes.

[2] - Michel Serres, Hergé mon ami, Bruxelles/Paris, Moulinsart/Le Pommier, 2016.

CNRS, 2018
272 p. 23 €

Samuel Bidaud

Docteur en sciences du langage, Samuel Bidaud est chercheur postdoctoral à l'Université Palacky d'Olomouc (République tchèque) au département d'études romanes.

Dans le même numéro

Un nouveau monde politique ?

À mi-mandat du quinquennat d’Emmanuel Macron, le dossier diagnostique une crise de la représentation démocratique. Il analyse le rôle des réseaux sociaux, les mutations de l’incarnation politique et les nouvelles formes de mobilisation. À lire aussi dans ce numéro : Jean-Luc Nancy sur l’Islam, Michael Walzer sur l’antisionisme et François Dubet sur la critique de la sélection.