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Notes de lecture

Dans le même numéro

Černí Češi [Les Tchèques noirs] de Martin Müller

juil./août 2022

Ce documentaire, à la fois simple et touchant, donne la parole à celles et ceux qui ne furent jamais entendus et dont l’histoire, faite de souffrance et de perte d’identité, nous est enfin racontée.

Ce documentaire nous fait découvrir une page méconnue de l’histoire de la Tchécoslovaquie, celle des « Tchèques noirs », ces enfants de Namibie venus en Tchécoslovaquie à l’époque du communisme dans les années 1980.

À l’origine, un accord entre le mouvement indépendantiste de la South West Africa People’s Organization (SWAPO) et la Tchécoslovaquie : des enfants namibiens seraient formés en Europe pour devenir la future élite de la Namibie, une fois celle-ci devenue indépendante. Or l’histoire s’avéra tout autre : à la suite de l’indépendance de la Namibie et de la chute du régime communiste tchécoslovaque en 1989, les enfants namibiens furent contraints de rentrer dans leur pays d’origine, dont ils ignoraient tout, y compris la langue, et où ils furent abandonnés à eux-mêmes, sans études ni travail, dans un environnement qui ne les comprenait pas. Certes, plusieurs d’entre eux purent par la suite revenir en République tchèque grâce à des bourses pour y effectuer des études : l’une des femmes qui témoigne dans le documentaire est ainsi devenue professeure d’anglais, tandis que l’un des hommes, qui s’estime « très content », est aujourd’hui électricien. Mais un grand nombre d’enfants sont restés en Namibie, recréant là-bas un coin de Tchéquie : ils parlent tchèque, suivent le hockey et se rattachent à leurs souvenirs. Dans une scène particulièrement curieuse, réunis dans une sorte de brousse désertique, ces déracinés chantent l’hymne tchèque, Kde domov můj? (« Où est mon foyer ? »), dont les paroles (« l’eau bruit dans les prairies, les pins murmurent dans les rochers… ») contrastent singulièrement avec le décor qui les entoure. Dans leur esprit et dans leur cœur, la Tchécoslovaquie est un paradis perdu, dont ils ont la nostalgie. Trente ans après, les anciens enfants de Bartošovice et Prachatice, les deux villes tchèques où ils ont grandi, ont conservé les habitudes et la langue de leur pays d’adoption.

Le film met aussi en scène toute la problématique du retour et de l’écart entre le souvenir et la réalité. Pour celles et ceux qui reviennent, tout a changé. Le bâtiment de l’internat est aujourd’hui délabré. L’une des femmes reconnaît toutefois sa chambre et se jette sur son lit en s’exclamant tout émue : « Mon petit lit ! » Les souvenirs remontent et les retrouvailles avec les anciennes familles d’accueil tchèques sont émouvantes. Un travail de reconnaissance est nécessaire et les personnes qui souhaiteraient revenir en République tchèque doivent avoir la possibilité de retrouver le pays dans lequel elles ont passé leur enfance et auquel elles se sentent profondément attachées. Ce documentaire, à la fois simple et touchant, donne la parole à celles et ceux qui ne furent jamais entendus et dont l’histoire, faite de souffrance et de perte d’identité, nous est enfin racontée.

Samuel Bidaud

Docteur en sciences du langage, Samuel Bidaud est chercheur postdoctoral à l'Université Palacky d'Olomouc (République tchèque) au département d'études romanes.

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Faire corps

La pandémie a été l’occasion de rééprouver la dimension incarnée de nos existences. L’expérience de la maladie, la perte des liens sensibles et des repères spatio-temporels, le questionnement sur les vaccins, ont redonné son importance à notre corporéité. Ce « retour au corps » est venu amplifier un mouvement plus ancien mais rarement interrogé : l’importance croissante du corps dans la manière dont nous nous rapportons à nous-mêmes comme sujets. Qu’il s’agisse du corps « militant » des végans ou des féministes, du corps « abusé » des victimes de viol ou d’inceste qui accèdent aujourd’hui à la parole, ou du corps « choisi » dont les évolutions en matière de bioéthique nous permettent de disposer selon des modalités profondément renouvelées, ce dossier, coordonné par Anne Dujin, explore les différentes manières dont le corps est investi aujourd’hui comme préoccupation et support d’une expression politique. À lire aussi dans ce numéro : « La guerre en Ukraine, une nouvelle crise nucléaire ? »,   « La construction de la forteresse Russie », « L’Ukraine, sa résistance par la démocratie », « La maladie du monde », et « La poétique des reliques de Michel Deguy ».