
Iran : la diplomatie des otages
Depuis l’établissement de la République islamique, les autorités iraniennes utilisent la détention d’étrangers comme monnaie d’échange diplomatique, une pratique aussi cruelle que contre-productive.
Annoncée par l’agence de presse Iranian Student News Agency pour le 21 mai 2022, l’exécution par pendaison d’Ahmadreza Djalali, universitaire irano-suédois spécialisé en médecine des catastrophes accusé d’espionnage, n’a pas encore eu lieu à ce jour. Cependant, selon un porte-parole du ministère iranien de la Justice, « le jugement [la condamnation à mort] est légalement valable, le ministère doit seulement s’accorder sur le moment [de l’exécution] ».
Arrêté en 2016, Ahmadrezah Djalali est accusé d’avoir aidé le Mossad à assassiner plusieurs scientifiques du programme nucléaire iranien. En octobre 2017, il est condamné à mort sur la base d’une mise en scène d’aveux extorqués, selon Amnesty International, qui dénonce un procès « manifestement inéquitable ». D’après cette organisation non gouvernementale, les autorités iraniennes menacent d’exécuter Ahmadreza Djalali pour dissuader à l’avenir la Suède et la Belgique, voire tout autre État, de poursuivre en justice des fonctionnaires iraniens.
D’une part, les autorités suédoises ont arrêté l’Iranien Hamid Nouri, ancien responsable pénitentiaire, le 9 novembre 2019 à l’aéroport Arlanda de Stockholm, en s’appuyant sur la compétence judiciaire universelle, qui permet d’engager des poursuites pénales internationales lorsqu’un crime touche aux intérêts de l’humanité. Poursuivi pour suspicion de crimes contre l’humanité suite au signalement d’un ancien prisonnier politique iranien, Hamid Nouri est accusé d’avoir été un des organisateurs du massacre perpétré en 1988, en exécution d’une fatwa édictée par l’Ayatollah Khomeini à l’encontre des sympathisants et adhérents du mouvement iranien d’opposition des Moudjahidines du peuple. Quelques jours après la réquisition suédoise de réclusion à perpétuité contre Hamid Nouri, une agence de presse iranienne annonce, le 4 mai 2022, qu’« en appliquant la condamnation à mort d’Ahmadreza Djalali, le gouvernement iranien […] dissuadera le gouvernement suédois de prendre à nouveau des mesures similaires à la détention de Hamid Nouri ». Selon l’épouse d’Ahmadreza Djalali, des responsables judiciaires iraniens ont déclaré, le 7 mai 2022, qu’ils avaient agi de « bonne foi » en reportant son exécution une première fois en décembre 2020. Toutefois, ont-ils ajouté, la Suède s’est alliée aux « ennemis » de l’Iran en poursuivant Hamid Nouri pour créer des « problèmes » à la République islamique, ce qui ne laisserait « aucune autre option » que de procéder à l’exécution. Les autorités iraniennes pourraient anticiper une éventuelle mise en cause de l’actuel président iranien, Ebrahim Raïssi, qu’Amnesty International accuse d’avoir participé à une « commission de la mort » constituée lors du massacre de 1988.
D’autre part, le 4 février 2021, Asadollah Asadi, troisième diplomate de l’ambassade d’Iran en Autriche, a été condamné à vingt ans de prison pour « tentative de meurtre et participation au terrorisme » par un tribunal belge à Anvers. Accusé d’être impliqué dans une tentative d’attentat à la bombe lors d’un rassemblement du Conseil national de la résistance iranienne (organisation politique opposée au régime théocratique) à Villepinte en banlieue parisienne, Asadollah Asadi avait été arrêté sur une autoroute de Bavière le 10 juin 2018, alors qu’il retournait à son domicile en Autriche. Le procès a montré que l’explosif à fort potentiel utilisé pour cette tentative d’attentat, heureusement déjouée, avait été transporté dans une valise diplomatique. Même si l’immunité du diplomate iranien se limitait à l’Autriche, son pays d’affectation, les autorités iraniennes considèrent la détention d’Asadollah Asadi comme une violation du droit international et des dispositions de la Convention de Vienne de 1961.
Diana Eltahawy, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International, affirme : « Les autorités iraniennes se servent d’Ahmadreza Djalali comme d’un pion dans un jeu politique cruel, intensifiant leurs menaces de l’exécuter en représailles à la non-satisfaction de leurs exigences. » Selon l’AFP, Helaleh Moussavian, l’avocate d’Ahmadrezah Djalali, a requis une révision du procès : « nous avons fourni des preuves que notre client n’a joué aucun rôle dans l’identification des scientifiques [du nucléaire iranien] », a-t-elle ajouté. Des sources concordantes indiquent que les autorités iraniennes envisageraient d’échanger Ahmadrezah Djalali contre Hamid Nouri et Asadollah Asadi.
Depuis l’établissement de la République islamique, les autorités iraniennes utilisent la détention d’étrangers comme monnaie d’échange diplomatique : dès novembre 1979, cinquante-deux ressortissants américains sont retenus dans l’ambassade des États-Unis à Téhéran pendant quatre cent quarante-quatre jours.
Spécialiste en études islamiques à l’Université de Melbourne, de nationalité australienne et britannique, Kylie Moore-Gilbert, détenue depuis 2018 et condamnée à dix ans de prison pour « espionnage », est libérée en novembre 2020 lors d’un échange avec « un homme d’affaires et deux citoyens iraniens, détenus à l’étranger sur la base de fausses accusations », selon Iribnews, le site de la télévision d’État iranienne. Ces trois hommes, Mohamad Khazaei, Masoud Sedaghat Zadeh et Saeed Moradi étaient condamnés pour une tentative avortée d’attentat à la bombe en 2012 visant des diplomates israéliens en Thaïlande.
L’irano-britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe, condamnée à cinq ans de prison pour « complot visant à renverser le gouvernement iranien », est libérée en mars 2022 après six années de détention, en l’échange du règlement d’un avoir iranien de 500 millions de dollars gelé par le Royaume-Uni.
Les bi-nationaux sont les cibles privilégiées d’arrestation au motif d’espionnage : en novembre 2017, l’agence Reuters comptabilisait au moins trente d’entre eux détenus suivant de telles accusations. Arrêtée en juin 2019, Fariba Adelkhah, chercheuse franco-iranienne à l’Institut d’études politiques de Paris, est condamnée à cinq ans de prison pour « collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale ». Son collègue, Roland Marchal a été libéré en mars 2020 contre l’élargissement par la France de Jalal Rohollahnejad, ingénieur iranien menacé d’extradition vers les États-Unis.
Cependant, d’autres profils sont également visés. Arrêté en mai 2020 pour avoir photographié des « zones interdites » avec un drone dans un parc naturel iranien, le Français Benjamin Brière est condamné en janvier 2022 à huit ans de prison pour « espionnage ». Plus récemment, Cécile Kohler et son compagnon Jacques Paris, membres du syndicat Force ouvrière, partis en Iran avec des visas touristiques, sont arrêtés le 7 mai 2022 pour avoir « tenté de provoquer des troubles lors de rencontres avec des représentants de syndicats d’enseignants ». Actuellement, les enseignants iraniens manifestent régulièrement contre leurs conditions de travail.
La recrudescence de telles arrestations coïncide aussi avec une nouvelle phase de tensions entre l’Iran et les États-Unis : les chances de revenir à l’accord sur le programme nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action-JCPoA) sont « au mieux ténues », selon Robert Malley, le représentant américain qui a repris à Vienne des négociations indirectes avec l’Iran depuis avril 2021. Un des derniers obstacles serait l’exigence par Téhéran d’un retrait des Gardiens de la Révolution de la liste américaine des « organisations terroristes étrangères ». Assurant lors d’une audition devant la commission des Affaires étrangères du Sénat américain que le gouvernement des États-Unis souhaite revenir à l’accord de 2015, dénoncé par Donald Trump, Robert Malley a néanmoins affirmé « si l’Iran maintient des exigences qui dépassent le périmètre du JCPoA, nous continuerons à les rejeter et il n’y aura pas d’accord ».
Alimentant la méfiance réciproque, il est à craindre que la « diplomatie des otages » pratiquée par Téhéran s’avère aussi contre-productive que cruelle et fasse capoter des négociations susceptibles de garantir une orientation civile et non militaire au programme nucléaire iranien, qui demeure un facteur critique de déstabilisation au Moyen-Orient.