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Emmanuel Macron au Bénin en juillet 2022 (photo de la présidence de la République du Bénin)
Emmanuel Macron au Bénin en juillet 2022 (photo de la présidence de la République du Bénin)
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La retraite d’Afrique d’Emmanuel Macron

Tandis que la France multiplie les avanies en Afrique, Emmanuel Macron a présenté son discours de 2023 comme le prolongement de celui de 2017. De fait, nombre de choix, de plus en plus contestables à l’épreuve du temps, ont subsisté à côté de quelques véritables annonces.

« Quant au pouvoir, je ne saurais, en tout cas, quitter les choses avant qu’elles ne me quittent1. »

Le précédent discours d’Emmanuel Macron sur la politique africaine, dont il nie l’existence-même, fut tenu en 2017 à Ouagadougou devant un parterre d’étudiants ; le discours du 27 février 2023 eut lieu à Paris devant des responsables et journalistes français2. La symbolique est lourde : le président de la République en est conscient, puisqu’il a pris soin d’assumer explicitement ce choix au début de son exposé. Pendant les presque six années écoulées entre le discours de Ouagadougou et celui de Paris, la France a accumulé les avanies en Afrique, avec le départ obligé de ses troupes du Burkina Faso et du Mali, la place prise par la Russie en République centrafricaine et le positionnement sur l’invasion de l’Ukraine de plusieurs pays traditionnellement perçus comme proches de Paris.

La montée d’un sentiment anti-français3 est patente : certes attisé par la communication russe, ce sentiment ne pouvait qu’être conforté par le soutien apporté à la succession dynastique d’Idriss Deby en avril 2021, au nom d’une politique sécuritaire vouée à être abandonnée. Le président tchadien était supposé être le pilier régional de cette politique. Sa mort, dans un trouble conflit local d’accès au pouvoir, a montré combien ceux qui se voyaient à Paris comme des stratèges réalistes et cyniques ont été candides. Il a pourtant été décidé de jouer le fils après le père. Fondamentalement, l’évolution des pays précités, au cœur du prétendu réseau d’influence français en Afrique, a mis au grand jour les illusions de soixante ans de coopération civile et militaire. Enfin, en temps de crise du multilatéralisme, les initiatives internationales de la France en soutien à l’Afrique (la promotion de son agriculture et, surtout, le traitement de sa dette devenue insoutenable) n’ont ni convaincu les opinions africaines et ni guère débouché sur des résultats concrets.

Le discours de 2023 ayant vocation à servir de feuille de route jusqu’à la fin du quinquennat, il mérite une lecture attentive, quand bien même la voie tracée est exposée aux risques de changements de posture dont le Président est coutumier.

Un lien unique

Soucieux de ne pas se déjuger face aux vents contraires, Emmanuel Macron a présenté son discours de 2023 comme le prolongement de celui de 2017. De fait, nombre de choix, de plus en plus contestables à l’épreuve du temps, ont subsisté à côté de quelques véritables annonces.

Tout d’abord, Emmanuel Macron réaffirme la vocation africaine de la France, qui compte « encore parmi les pays qui ont un lien unique, humain, existentiel » avec le continent, sans se demander si ce qui est unique dans ce lien n’est pas son caractère dégradé. Comme en 2017, la relation avec l’Afrique est placée sous le signe d’un partenariat, faussement présenté comme novateur4. Ce mot vague dissimule mal les analyses divergentes des problèmes et surtout le jeu des intérêts nationaux ou particuliers. Quel partenariat est-il possible avec des régimes prédateurs, avant tout soucieux de leur survie ? Comme l’a noté Josep Borrell, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, la fourniture par Wagner d’une garde prétorienne est une option d’avenir, ce que la Russie a bien compris. Ce partenariat a pour toile de fonds des intérêts partagés et avoués, avec la conscience que « la terre africaine est tout sauf une terre d’angoisse et de résignation. Elle est une terre d’optimisme et de volontarisme », et que le continent « sera l’un des grands foyers de la croissance mondiale dans les années qui viennent ». Présenter comme une rupture le fait la France fasse désormais clairement état de ses intérêts témoigne d’une singulière capacité d’oubli, la présidence Sarkozy ayant déjà largement usé de cette rhétorique. Le président Macron reprend le refrain consacré sur l’Afrique comme l’eldorado du futur, nonobstant les crises politiques qui se multiplient, l’extension du djihadisme jusqu’au Mozambique, les famines qui frappent déjà ou menacent, et la situation catastrophique de bien des économies africaines (l’inflation empêche les citoyens modestes de se nourrir convenablement, et la crise de la dette annonce des restrictions budgétaires sévères, au détriment de services essentiels déjà fort mal en point). L’optimisme de façade du discours de Paris confortera les gouvernants qui font miroiter l’émergence économique, mais permettra-t-il de reconquérir le cœur des Africains ?

L’humilité revendiquée et le partenariat entre égaux suppose que la France renonce à prescrire : « On ne se dit pas qu’on arrive chez vous parce qu’on va faire le bien chez vous à votre place, car vous n’êtes pas capables de savoir ce qui est bon pour vous, de le penser ou de le faire. »Elle défendra pourtant la démocratie, présentée comme relevant, non d’un idéal, mais d’un intérêt. Certes, elle le fera d’une façon qui ne devrait pas chagriner les présidents de l’Angola, du Congo, du Gabon et de la République démocratique du Congo (auxquels Emmanuel Macron a rendu visite après son discours) : en finançant une « Fondation pour l’innovation et la démocratie », confiée à Achille Mbembe et installée en Afrique du Sud, malgré l’ambiguïté de la position de Pretoria sur la question ukrainienne. Achille Mbembe a pris soin de préciser que cette Fondation n’était pas un outil de la politique extérieure de la France et que l’innovation démocratique serait pensée exclusivement par et pour les Africains5. Dans cet exercice de funambule, qui paie ne commande donc pas.

Vœux pieux

Ce cadre général étant posé, interrogeons-nous sur les axes d’action qui demeurent. Parmi eux, citons le rapprochement avec la jeunesse et la société civile, la célébration des entrepreneurs, l’invitation faite aux entreprises françaises d’investir en Afrique, la promotion du sport et de la culture, et l’engagement d’avancer vers la restitution des œuvres d’art pillées pendant l’époque coloniale. Les apprentis communicants, créateurs en herbe et startupers exhibés à Ouagadougou pour incarner la jeunesse africaine et dialoguer avec la France sont-ils représentatifs de l’Afrique, alors que la frustration pousse une grande partie de la jeunesse vers l’extrémisme religieux ou la migration à tout prix, et la détestation d’une France complice de régimes honnis ?

Dans la plupart des pays africains, la société civile s’incarne avant tout dans une myriade d’organisations non gouvernementales à la recherche de subsides. Dans certains pays, tel le Mali, où la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Dicko joue un rôle majeur, les associations fondamentalistes (musulmanes ou évangéliques) sont les seules à avoir une réelle audience. Dès lors, l’appel à la société civile n’est-il pas lourd de désillusions ? Dans des économies largement informelles, l’entrepreneuriat tant célébré – alors que les banques locales elles-mêmes n’y croient pas et que les élites investissent peu, hors acquisition de positions rentières – n’est-il pas pour le plus grand nombre un substitut de second choix à l’introuvable salariat, avec une infime minorité de succès à la clé ?

Dans le discours de Paris, l’appel au réseau culturel français à retrouver une place éminente et sa dotation de moyens nouveaux (40 milliards d’euros) sont de bon augure. Mais pourquoi le réseau éducatif et les médias publics, outils majeurs et parent pauvres, sont-ils-oubliés ? Le choix par la France de la promotion du sport, entendue dans le discours de Paris comme le financement d’infrastructures, est-il pertinent, alors même que les stades vides construits par la Chine se multiplient et ne suscitent que l’engouement éphémère d’une population passionnée de football, mais de plus en plus consciente qu’ils ont été financés au détriment de besoins prioritaires ?

La restitution des œuvres d’art spoliées satisfait notre souci de réparation. Cette restitution à des pays jusque-là peu attachés à leur patrimoine, comme en témoigne l’état catastrophique du bâti urbain ancien africain, a l’immense avantage de conduire des sociétés, saisies par un désir mimétique, à s’intéresser à des objets parce qu’ils sont possédés par l’Autre. Emmanuel Macron appelle à un « partenariat culturel et scientifique pour accueillir et conserver ces œuvres », sans doute pour éviter les déboires rencontrés par la Belgique après la restitution au Congo d’objets vite dispersés sur les marchés internationaux. Ceci n’expose-t-il pas la France à l’accusation de paternalisme et d’ingérence ?

L’appui aux entreprises françaises et africaines par l’octroi de financements et de garanties est un grand classique. La nouvelle appellation à la mode est le « dé-risquage », autrement dit la prise en charge par le contribuable français des aléas afin que les entreprises puissent investir en Afrique comme si l’environnement des affaires y était favorable. La mise en cause des entreprises françaises, accusées de ne pas donner le meilleur d’elles-mêmes en Afrique, par un président insoupçonnable de ne pas être pro-business, interpelle. Que l’on sache, leurs réalisations sont plus appréciées que celle de leurs concurrents chinois ou turc. De plus, si elles se sont lancées dans des projets contestés (métro d’Abidjan, train express de Dakar, téléphérique de Tananarive…), c’est sur financement public. L’appel aux grands patrons à ne pas déléguer leurs démarches africaines à des seconds couteaux reflète la persistance d’une conception très personnalisée des rapports d’affaires, dans la droite ligne de la Françafrique prétendument mise au rancart. Cet appel ne relève-t-il pas, de surcroit, du vœu pieux, quand on sait que l’Afrique subsaharienne représente moins de 2 % des exportations françaises et que les grands projets devraient se raréfier avec la détérioration de la situation financière du continent ?

Dossiers délicats

La question de l’avenir de la zone franc, si importante dans notre relation avec l’Afrique, doit être lue entre les lignes. Après avoir évoqué la réforme en trompe-l’œil de 2020, le président de la République mentionne que le franc CFA (le nouveau nom « Eco » n’est pas mentionné) « est bien une monnaie africaine qui pourra, si les gouvernements de la CEDEAO le souhaitent, préfigurer une monnaie unique qui prendra un autre nom ». Ceci impliquerait l’abandon du cœur de la relation monétaire avec la France (parité fixe avec l’euro et garantie par le Trésor français), Paris pouvant difficilement assurer la parité de la monnaie de l’immense Nigéria. Cette véritable rupture ne devrait être possible qu’après le départ du président ivoirien Alassane Ouattara, comme la dévaluation de 1994 ne fut possible qu’après la mort de Félix Houphouët-Boigny.

Après la publication en 2021 du Rapport Duclert sur le Rwanda, la confirmation de la poursuite, grâce à l’ouverture des archives, du travail historique sur les moments les plus tragiques de la relation franco-africaine, est à saluer. Le prochain dossier à traiter, celui du Cameroun entre 1945 et 1971, est particulièrement délicat : le régime de Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, est issu du régime d’Ahmadou Ahidjo (1960-1982), impliqué dans la répression du maquis ; la guerre de succession a commencé, et la population attend la vérité sur l’atroce assassinat du journaliste Martinez Zogo, le 17 janvier 2023. En outre, entendre le chanteur Blick Bassy, chargé du volet artistique de la commission Mémoire sur la guerre d’indépendance au Cameroun, dire sa difficulté à croire qu’il y ait une guerre civile au Cameroun plutôt que des frères montés les uns contre les autres par la France n’est pas de bon augure6.

Le passage d’une logique d’aide à une logique d’investissement solidaire est souligné. Cette annonce a un caractère étrange après le vote unanime en 2021 de la loi de programmation augmentant significativement l’aide publique au développement7, en premier lieu en faveur de l’Afrique. Il semble qu’il faille comprendre que les concours publics français devront être jumelés avec des investissements publics nationaux et, si possible, des investissements privés. C’est bien irréaliste dans les pays africains les plus pauvres. Faut-il y voir le signal d’ambitions réduites en matière d’aide publique au développement, ceci au demeurant en cohérence avec la stratégie budgétaire du gouvernement, ou l’amorce d’un redéploiement vers des zones désormais considérées comme plus stratégiques sans qu’on le dise ? Quoi qu’il en soit, les conclusions ont dû être tirées de l’échec de la stratégie des 3D (« diplomatie, défense, développement ») au Sahel.

Le bouc émissaire

Restent trois points de bien plus importants. D’abord, la déclaration que la France ne fera pas la compétition avec « ceux qui arrivent avec leur armée ou leurs mercenaires, ici et là ». La France, qui a désormais d’autres priorités à l’est de l’Europe et une armée à réorganiser en conséquence, renoncerait donc à son rôle de gendarme délégué de l’Occident en Afrique. C’est un signal clair à ceux qu’Emmanuel Macron qualifie de « nostalgiques » et qui invitent la France à tenter de maintenir ses positions et endiguer les nouveaux intervenants.

Ensuite, le président a affirmé son refus que la France désormais « apporte [comme au Sahel] seule des réponses politiques qui devraient prendre le relais de la réponse militaire » et que se reproduise « cette situation où, par un engrenage de déresponsabilisation et de substitution, la France devient le bouc émissaire idéal ». On aurait donc fini par comprendre qu’est vouée à l’échec toute intervention extérieure dans des crises qui sont bien plus la résultante de problèmes nationaux (corruption et délaissement de régions entières, conflits locaux sur les ressources, brutalité et inefficacité de l’armée…) que d’une menace islamique internationale.

Enfin, l’annonce a été faite de la baisse des effectifs des bases militaires françaises en Afrique, et de leur transformation possible en écoles. Après soixante-deux ans d’échec de la formation des armées africaines, l’annonce d’ouverture d’« académies »ressemble fort à un alibi, dont on ose penser que les décideurs ne sont pas dupes. Cette baisse, qui prive les opérations militaires extérieures d’un point d’appui indispensable, est sans doute l’amorce d’un mouvement plus profond, l’annonce pure et simple de la fermeture des bases étant délicate pour les relations avec les pays sièges (Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Sénégal), et difficile à faire accepter à certains éléments de l’armée française.

 

  • 1. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, t. 3 : Le Salut : 1944-1946 [1959], Paris, Pocket, 2011, p. 324.
  • 2. Je remercie Alain Antil, de l’Institut français des relations internationales, pour sa relecture, mais je demeure seul responsable du contenu de cet article.
  • 3. François Giovalucchi, « Afrique- France, les miroirs grossissants », Esprit, juillet-août 2020
  • 4. Le ministre des Colonies Albert Sarraut préconisait déjà ce type de relation avec l’Afrique en 1923 : voir F. Giovalucchi et Thierry Vircoulon, « L’aide française au développement entre Kaboul et Bamako. Nouveaux défis et vieilles recettes » [en ligne], Esprit, novembre 2021.
  • 5. « La Suite dans les idées », France Culture, 18 février 2023.
  • 6. « L’invité Afrique », Radio France internationale, 20 février 2023.
  • 7. Voir F. Giovalucchi et T. Vircoulon, « Les impasses de la loi sur l’aide au développement », Esprit, mai 2021.

François Giovalucchi

Ancien agent de l’ AFD et du Trésor, François Giovalucchi exerce les fonctions de conseiller économique et d'enseignant associé à l'université catholique de Madagascar.