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Le monde selon Trump

Après avoir longtemps imaginé que l’inexpérience et l’incompétence de Donald Trump l’amèneraient à déléguer la prise de décision et donc à modérer ses excès, les opposants politiques et les partenaires étrangers du président américain sont obligés de constater que personne n’est parvenu à le contrôler. La sortie unilatérale de l’accord nucléaire iranien en est un exemple flagrant. Loin de la « normalisation » espérée ou de l’influence que l’on prêtait aux « adultes dans la pièce », et malgré les contraintes constitutionnelles des États-Unis d’Amérique, qui pèsent davantage en politique intérieure qu’étrangère, il applique inéluctablement son programme. Après dix-huit mois au pouvoir, Trump est le véritable décideur au sommet d’un appareil politique désormais bien huilé.

Une position renforcée

Le président américain peut tout d’abord compter sur une équipe consolidée. Bien que la longue série de démissions et de renvois fracassants donne le sentiment d’un chaos permanent à la Maison Blanche, rendant la politique de l’administration souvent illisible, un processus de sélection naturelle s’est mis en place.

Le remplacement de Reince Priebus par le général John Kelly au poste de directeur de cabinet au cours de l’été 2017 amène un peu de discipline militaire dans une Maison Blanche exposée à des fuites constantes, et tient à distance les intérêts du Parti républicain. Le président a également trouvé sa voix en la personne de Sarah Huckabee Sanders, porte-parole de la Maison Blanche, qui, davantage que son prédécesseur Sean Spicer, sait jouer des « faits alternatifs », défend inlassablement le président et donne vie à un trumpisme fréquentable. Ces évolutions de personnel ne relèvent pas de nouvelles options idéologiques : Steve Bannon, l’ancien patron de Breitbart et éminence grise «  nationaliste  » de Trump, est désavoué par la Maison Blanche mais, quelques mois plus tard, c’est au tour de Gary Cohn, conseiller économique du président, vu comme un « globaliste », de claquer la porte pour désaccord de fond.

En réalité, les affinités inter­personnelles comptent pour beaucoup dans les relations avec une personnalité qui aime les transactions et hors norme telle que celle de Trump. Les membres les plus durables de cette administration, le secrétaire à la Défense James Mattis ou l’ambassadrice à l’Onu Nikki Haley, ont su trouver leur juste place entre les exigences politiques anti­conformistes du président et les contraintes médiatiques et politiques des postes qu’ils occupent. À l’inverse, le Secrétaire d’État Rex Tillerson, ou encore le conseiller à la Sécurité nationale H.R. McMaster, que Trump avait choisis rapidement et sans affinité particulière, ne sont pas parvenus à retenir l’attention du président. Leurs successeurs, Mike Pompeo et John Bolton, ont manifestement saisi les idio­syncrasies du personnage, adapté leur style et sont prêts à défendre et à mettre en œuvre sa politique.

Le Parti républicain a désormais intégré l’équation Trump dans son logiciel.

Deuxièmement, le président Trump jouit d’une large assise partisane et le «  trumpisme  » gagne du terrain. Le Parti républicain a désormais intégré l’équation Trump dans son logiciel. Ceux qui s’en sont démarqués, parfois de vrais poids lourds au Congrès, tels que les sénateurs Bob Corker et Jeff Flake et plus récemment le speaker de la Chambre Paul Ryan, ont préféré jeter l’éponge et ne pas se représenter. Malgré son faible taux de popularité nationale (environ 40 %), le président américain continue de jouir de l’appui de la base électorale du Parti républicain (avec un taux d’approbation frôlant les 90 %), constituant une force de dissuasion contre ses détracteurs. Ainsi, le parti de Ronald Reagan, fait d’une coalition de conservateurs sociaux, économiques et de néo­conservateurs, est devenu le parti de Trump – les évangéliques et les néo-­libéraux le soutiennent toujours, ravis des nominations de juges conservateurs, des baisses d’impôts et des dérégulations, mais la voix des néo­conservateurs s’éteint au profit de celle des nationalistes identitaires, prônant protectionnisme et uni­latéralisme au service de la puissance américaine.

Alors que sa seconde année de mandat est bien entamée, Donald Trump a tous les appuis politiques et bureau­cratiques nécessaires pour déployer sa politique. Bien sûr, quelques épées de Damoclès décorent le plafond de la Maison Blanche. L’échec escompté aux élections de mi-mandat avec le retour d’une majorité démocrate dans au moins l’une des deux chambres du Congrès devrait limiter les initiatives présidentielles. Les Démocrates pourraient lancer une procédure de destitution à la Chambre, sur la base des éléments rassemblés par le procureur spécial Mueller, sans grande chance d’obtenir une condamnation par le Sénat. Un tel scénario creusera un peu plus profondément les tranchées dans lesquelles chaque camp, non seulement politique mais aussi médiatique, culturel, social, est replié, renforçant encore le bruit médiatique autour du président Trump et ses très nombreuses «  affaires  » (collusion avec la Russie, obstruction de justice, conflits d’intérêts, financement de campagne, scandales sexuels,  etc.).

Pourtant, le tapage médiatique constant, la polarisation extrême des élites, l’aliénation d’une part croissante d’Américains écœurés de politique n’empêcheront pas le président américain de mener la politique qu’il entend sur la scène internationale. L’histoire, et non la Constitution, a attribué au président, commandant en chef des armées, un rôle prépondérant dans la conduite de la politique étrangère des États-Unis. C’est dans ce domaine que les décisions politiques de Donald Trump sont et seront les plus influentes.

Le paradigme de la puissance

Si plusieurs de ses décisions ont pu apparaître comme incohérentes, par exemple le volte-face récent sur le traité transpacifique, une doctrine Trump de politique étrangère commence à se dessiner. Donald Trump considère que ses prédécesseurs, en particulier Barack Obama, ont fait un usage trop parcimonieux de la puissance américaine et que les résultats obtenus sur la scène internationale ont été décevants en conséquence. Dans une vision très westphalienne des rapports de force, le président américain souhaite utiliser la puissance américaine à son maximum pour dégager de nouvelles marges de manœuvre pour les États-Unis et obtenir, comme il le dit prosaïquement, de meilleurs « deals ».

La force de cette posture est qu’elle repose sur des idées simples, martelées sur Twitter par le président et relayées dans leur version sophistiquée par une administration désormais en ordre de bataille : les alliés profitent de nous car nous leur offrons des garanties sans conditions, les ennemis profitent de nous car nous ne leur faisons pas assez peur. En pratique, les idées simples deviennent des données immuables : puisque la prospérité des Européens s’est faite sur le dos des Américains qui assurent leur sécurité, ils doivent payer et atteindre les 2 % de Pib en dépenses de défense.

L’administration Trump déclenche des crises
et laisse aux autres le soin de proposer des solutions pour les résoudre.

Sur le plan de la méthode, la doctrine Trump consiste à ouvrir de nouveaux fronts sur des situations souvent stables ou gelées, telles que l’accord sur le climat ou le nucléaire iranien, perçues comme défavorables aux États-Unis. Par des décisions radicales qui sont rarement accompagnées de stratégies de long terme, l’administration Trump déclenche des crises et laisse aux autres, alliés comme adversaires, le soin de proposer des solutions pour les résoudre ou ­d’emprunter le chemin de la confrontation. Sur le front commercial, Donald Trump a d’ores et déjà contraint Mexicains et Canadiens à rouvrir des négociations sur l’Alena, il fait monter la pression sur les Européens à travers les tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium en leur demandant des contre-propositions et il pousse les Chinois à faire des concessions sous peine de rétorsion. Donald Trump a également affiché son intention de retirer les troupes américaines de Syrie : aux autres – les « riches arabes » comme il dit – de mener l’effort de guerre, puisque le bénéfice est la stabilité de leur entourage. La décision de Donald Trump de sortir uni­latéralement de l’accord nucléaire iranien et de rétablir les sanctions ouvre une ère d’incertitude géo­politique extrême. Elle est l’exemple le plus frappant de cette doctrine de la «  patate chaude  », puisqu’il appartient désormais aux Européens de trouver une voie de sortie diplomatique face à l’équation «  la guerre ou la bombe  », et aux ­Iraniens, Russes et Chinois de choisir entre apaisement et escalade.

Il est encore trop tôt pour savoir si la méthode marche, c’est-à-dire si elle fournit effectivement de plus grandes marges de manœuvre aux États-Unis. Le président Macron, au terme de trois jours de visite d’État en avril, trouvait Donald Trump tout à fait « prévisible », puisque son choix sur l’accord nucléaire iranien était surdéterminé par ses promesses de campagne. Toute­fois, si Donald Trump est prévisible dans ses décisions disruptives, il est totalement imprévisible sur la résolution des crises qu’il a lui-même provoquées. La sortie de l’accord nucléaire iranien pourrait produire des initiatives diplomatiques que Trump, à la recherche d’un « meilleur deal », peut être tenté de saisir au vol, mais elle peut tout aussi bien l’amener à choisir la force, surtout dans le contexte des tensions entre l’Iran et Israël.

Les adversaires et rivaux de ­l’Amérique ne se laisseront peut-être pas impressionner par les coups de pied dans la fourmilière du président Trump. Celui-ci parie sur un affaiblissement du régime iranien et un effet miroir de la négociation avec la Corée du Nord. Or le champ des possibles s’est étendu : il est tout autant vraisemblable de parier sur une radicalisation du régime ou un maintien de l’accord avec appuis russes et chinois (voire européens) comme preuve irréfutable de la faiblesse américaine. Les Nord-Coréens ont quant à eux compris l’énorme potentiel d’un président qui ne craint pas de prendre des risques. Ils ont déjà gagné en partie leur réhabilitation internationale en échange de peu, sinon rien. L’Iran pourrait en effet en tirer la conclusion que les Américains ne respectent que les puissances nucléaires.

Comment les alliés de l’Amérique ­doivent-ils alors traiter Donald Trump et sa doctrine de la «  patate chaude  » ? Ils peinent à se faire entendre. Allemagne et Royaume-Uni souffrent tous deux de leur manque d’accès et de la faiblesse de leur leadership. Comparativement, les Français s’en sortent mieux. Le président Macron a su tisser un lien personnel avec Donald Trump et le réalisme de la politique étrangère française ne se formalise pas de la politique terre-à-terre de l’America First.

Toutefois, en tant qu’alliés les plus proches, et pour le cas de la France, en tant que partenaire incontournable des États-Unis sur un très grand nombre de sujets stratégiques, les Européens se retrouvent en première ligne de la doctrine Trump. Ils ont pour l’instant échoué à le dissuader de faire des choix de rupture. La question reste entière de savoir s’ils arriveront à lui vendre des solutions créatives pour sortir des crises qu’il a lui-même créées, sans se renier et en évitant toute aggravation. La puissance des États-Unis de Trump réside peut-être là : dans l’obligation pour ses alliés de répondre aux demandes imprécises d’un géant perpétuellement insatisfait.

Célia Belin

Chargée de mission États-Unis au Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministere des Affaires étrangeres, et chercheure associée au Centre Thucydide de l’université Panthéon-Assas. 

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