Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Photo via Unsplash
Photo via Unsplash
Dans le même numéro

Qu’est-ce qu’un peuple européen ?

entretien avec

Céline Spector

Dans son livre No demos ?, Céline Spector défend l’idée d’une souveraineté partagée entre le niveau local et le niveau fédéral. Le peuple européen émergerait alors par l’association de peuples libres et égaux, qui se donnent des normes communes pour affronter ensemble ce qu’ils ne peuvent surmonter seuls.

Philosophe, professeure de philosophie politique à Sorbonne Université, vous êtes spécialiste de la philosophie des Lumières et de son héritage, et plus particulièrement de Montesquieu. De longue date vous pensez également la démocratie dans le cadre de l’Europe, dont vous avez notamment fait une généalogie intellectuelle1. Votre dernier livre prolonge une partie de ces réflexions pour évoquer les évolutions politiques de l’Union européenne aujourd’hui2. Vous y plaidez pour une transformation possible et même nécessaire de l’Europe, dans le sens d’une intégration plus poussée. À l’heure du Brexit et de la force de séduction des discours nationaux-populistes à la Viktor Orbán, et alors que le début de la campagne électorale française a plutôt donné lieu à une surenchère de propos souverainistes, estimez-vous être à contre-courant ? Comment interprétez-vous ce moment européen ?

Je pense que nous vivons un moment hamiltonien. Il y a un vrai kairos, un « moment opportun ». L’accord trouvé sur le plan de relance européen a marqué une étape importante. L’Allemagne, notamment, a beaucoup évolué et un alignement des astres a eu lieu au printemps dernier. Dans le même temps, pour les pays d’Europe centrale et orientale qui ont récemment recouvré leur souveraineté, la perspective d’une fédéralisation accrue s’apparente toujours à une forme dissimulée d’impérialisme. Même dans un pays comme la France, l’hypothèse fédéraliste est tenue à distance. Le vote en faveur du Brexit a marqué un tournant : avec lui sont réapparues des tendances centrifuges, qui vont dans le sens d’une dissolution de l’Union européenne. Le 7 octobre 2021, lorsque le Tribunal constitutionnel polonais, sous l’influence de la majorité nationale-conservatrice du PiS (Droit et justice), conteste la primauté du droit européen, il met en péril la clé de voûte de notre ordre juridique actuel. Il faut donc prendre au sérieux les tendances à la fédéralisation accrue autant que les tendances à la dissolution, voire à la sécession, qui mobilisent les forces souverainistes de gauche comme de droite.

Votre livre fait le pari d’une « République fédérative européenne », qui puiserait ses conditions de possibilité davantage dans L’Esprit des lois de Montesquieu que dans Du Contrat social de Rousseau. Vous y évoquez également la pensée des fédéralistes américains. Les États-Unis d’Amérique pourraient donc servir de modèle ?

Malgré la différence des contextes, qui n’a rien d’anodin, le modèle de la République fédérative théorisé par Montesquieu au xviiie siècle, puis reconfiguré par James Madison et Alexander Hamilton au moment des débats sur la ratification de la Constitution fédérale américaine en 1787, peut à bon droit nous inspirer, dans la mesure où il permet de concevoir une forme de fédération démocratique européenne.

Dans l’œuvre de Montesquieu, la République fédérative se fonde sur un pacte entre États visant leur commune défense : face aux risques de conquête, une République ne peut survivre que lorsqu’elle se fédère avec d’autres en une « société de sociétés ». L’association forme une entité supérieure, dont les membres ne disposent plus de toutes leurs compétences, en matière de politique étrangère notamment. D’un autre côté, l’association des États ne dissout pas pour autant leur souveraineté : « la confédération peut être dissoute, écrit Montesquieu, et les confédérés rester souverains ». En même temps, L’Esprit des lois propose une théorie de la distribution et de l’équilibre des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire afin de préserver la liberté politique. Les fédéralistes américains, au moment de rédiger la Constitution de 1787, conçoivent l’idée d’une République fédérative à partir de ce modèle des checks and balances, et en mobilisant davantage le vocabulaire de la souveraineté. En partant du principe de la souveraineté populaire, ils repensent la distribution des pouvoirs dans un cadre fédéral.

Cette vision des institutions est en rupture avec ce qui se faisait alors en Europe, et même en Angleterre. En instituant le Sénat, les fédéralistes américains donnent une voix égalitaire aux États, en lieu et place d’une représentation des aristocrates à la Chambre des Lords. Ils proposent un modèle nouveau de souveraineté partagée, défendu par Madison dans son Essai sur la souveraineté de 1835. Mais pour les antifédéralistes qui s’opposent à Madison et à Hamilton, la souveraineté ne peut précisément être partagée ; elle reste associée à ses propriétés classiques depuis Hobbes : unité, indivisibilité, inaliénabilité, perpétuité, absoluité. Il reste que les fédéralistes américains trouvèrent la parade : l’exercice de la souveraineté peut être distribué entre le niveau fédéral et le niveau local, à condition que sa source unitaire réside dans le peuple, dont tout pouvoir émane. La souveraineté s’apparente alors à un faisceau de droits, ou à un ensemble de compétences.

Vous défendez cet idéal fédéraliste contre les humeurs souverainistes qui s’expriment aujourd’hui en Europe. Mais au même moment, un certain nombre d’équilibres trouvés dans le fédéralisme américain font de nouveau l’objet de débats parfois très vifs outre-Atlantique. Le trumpisme peut-il se comprendre comme une forme de souverainisme américain ?

Effectivement. Sur le long terme, les États-Unis ont vu s’accroître le pouvoir fédéral, non sans flux et reflux. En ce qui concerne l’avortement ou la peine de mort, les Américains débattent encore de qui décide en dernier ressort, entre l’État fédéral et les États fédérés. Or ce conflit de souveraineté est, toutes proportions gardées, celui que nous vivons en Europe. Ce qui m’intéresse, c’est ce que suggère Tocqueville lorsqu’il se rend aux États-Unis entre 1831 et 1832, et qu’il observe le tout jeune modèle fédéral américain. Il comprend parfaitement qu’il s’agit là d’une souveraineté divisée, avec ses conditions de possibilité matérielles et culturelles. Ces deux niveaux de souveraineté peuvent toujours être en tension, et il relève de l’art du législateur de parvenir à les concilier.

On entend souvent dire que si la démocratie est fragile à l’échelle des États membres de l’Union européenne, elle le serait plus encore à l’échelle du continent. Mais vous inversez cette logique, pour défendre l’idée que ce que nous n’avons pas réussi dans nos États-nations, nous pourrions le construire à l’échelle européenne. Vous écrivez : « Le mythe du peuple souverain absolu doit disparaître au profit d’une vision réaliste de la démocratie. » Le pari n’est-il pas tout de même audacieux ?

Je ne suis pas une théoricienne de la post-souveraineté. Je ne m’inscris pas davantage dans le sillage de Hannah Arendt, qui voulait renoncer au concept de souveraineté. Pour autant, l’argument d’Arendt était très intéressant dans une perspective antitotalitaire et anti-impérialiste. En récusant le modèle rousseauiste qui fait dériver la souveraineté de la volonté, Arendt refusait l’analogie fallacieuse entre individu et État, qu’elle considérait comme une forme de fantasme de liberté absolue. En 1954, au moment de l’échec de la Communauté européenne de défense, Arendt écrivit un article intitulé « L’Europe et l’Amérique », où elle rejoignait le fédéralisme de Montesquieu, et appelait de ses vœux le déclin de l’État-nation qui avait bradé les droits de l’homme3. De mon côté, je fais plutôt le pari des métamorphoses possibles du concept de souveraineté. Je ne renonce pas au concept, parce que je crois que la philosophie politique ne doit pas utiliser un autre langage que la politique elle-même. Or la situation politique actuelle appelle l’usage du concept de souveraineté. Les débats préparatoires au Brexit se sont faits « au nom de la souveraineté » et la géopolitique contemporaine se conçoit dans un monde d’« États souverains », qui se comportent parfois comme des empires. La Chine, la Russie ou la Turquie revendiquent leur souveraineté et même son extension. Renoncer au vocabulaire de la souveraineté signifierait renoncer à ce que la philosophie politique normative puisse avoir des effets dans le monde, là où des luttes pour la souveraineté ont lieu. Je m’y refuse. Il faut plutôt repenser la souveraineté à partir de sa généalogie complexe.

Dans la vie politique française, en particulier, il existe un fort décalage entre l’imaginaire de la souveraineté et la vie politique réelle. L’imaginaire politique français est largement fondé sur une vision simplifiée de la souveraineté rousseauiste, c’est-à-dire la souveraineté populaire telle qu’elle s’est retraduite au moment de la Révolution française, quand la « souveraineté du peuple  » est devenue « souveraineté de la nation ». Or Rousseau jugeait impossible l’application des principes de la souveraineté du peuple à l’échelle d’un État-nation comme la France. À ce titre, c’est souvent à mauvais escient que l’auteur du Contrat social est convoqué dans certains discours souverainistes. D’où la nécessité d’engager les métamorphoses de la souveraineté, mais lesquelles ? Je pense qu’il faut désormais contourner une vision monolithique et monopolistique du concept, telle qu’elle a pu être conçue par Jean Bodin, Hobbes ou Rousseau, grâce auquel la souveraineté monarchiste est devenue populaire. Face à cette tradition, je tente d’exhumer une autre généalogie qui, depuis Madison, revendique la souveraineté partagée et la distribution des pouvoirs. Je pense la souveraineté comme un faisceau de droits et un ensemble de compétences. Le véritable enjeu est de comprendre comment distribuer ces pouvoirs, et comment penser leur articulation.

Cette conception renouvelée de la souveraineté pourrait-elle, en retour, permettre d’inverser les tendances à la régression démocratique que l’on constate aujourd’hui ? Outre la nécessité géopolitique de s’opposer aux nouvelles logiques impériales dont vous venez de parler, quels sont aujourd’hui les ressorts politiques du projet européen ?

L’Union européenne se voit reprocher d’être une « union par le droit » souffrant d’un déficit démocratique. J’essaie de prendre au sérieux les argumentaires souverainistes allant en ce sens. Celui du poids des institutions non élues, du faible pouvoir du Parlement européen, cantonné à une fonction d’amendement sans droit d’initiative législative, celui des partis politiques européens sans véritable substance, marqués par une dévitalisation électorale… La citoyenneté européenne paraît abstraite, liée uniquement à une citoyenneté de marché associée à des droits politiques très faibles. L’Union souffre effectivement de dépolitisation, mais il n’est pas impossible d’y remédier. Par exemple, le Parlement européen pourrait voir son rôle d’arène démocratique s’accroître si on lui accordait un véritable droit d’initiative législative, à parité avec la Commission, ainsi qu’un budget plus important. La démocratie environnementale peut également revitaliser les collectifs citoyens autour d’enjeux européens. Nous ne pouvons mener la transition énergétique qu’au niveau européen, en attente d’une hypothétique coordination au niveau mondial. C’est un enjeu qui peut mobiliser de nobles passions politiques. J’essaie d’appréhender cette dimension « passionnelle », car elle est fondamentale pour revitaliser la démocratie européenne. Il faut penser le bon échelon de la démocratie, et plus généralement des politiques publiques. À cet égard, je suis favorable à une application stricte du principe de subsidiarité, principe de dévolution du pouvoir en vertu duquel les décisions doivent être prises au plus près possible des personnes qu’elles concernent. Mais il existe des « biens publics » qui ne peuvent être produits, financés et démocratiquement administrés qu’à l’échelle européenne. Parmi eux, la transition écologique et énergétique, mais aussi la sécurité commune et le numérique. Ces « biens publics » relèvent d’intérêts communs européens, sans pour autant remettre en cause l’existence des États-nations.

Vous soutenez que le demos ne préexiste pas à la démocratie, mais qu’il en surgit comme son effet. Comment l’Europe peut-elle rester une « demoï-cratie », ce « nous » plus fécond dont vous parlez ?

J’ai voulu revenir sur le concept controversé de « peuple européen ». D’abord, quelle définition du « peuple » mobilise-t-on ? Depuis Hobbes, le « peuple » diffère de la « multitude » en vertu de l’unification politique des jugements singuliers et des volontés particulières ; c’est ce qui différencie le « peuple civique » du « peuple ethnique », et nous permet de théoriser le « peuple » autrement que du point de vue d’un demos homogène, substantiellement uni par des croyances communes. J’essaie dans mon livre de reformuler le débat classique entre, d’un côté, le « peuple-contrat » et, de l’autre, le « peuple-génie » en repensant leur articulation. À cette aune, la démocratie européenne doit être fondée sur une dialectique entre identité politique et identité culturelle – ce que je tente d’analyser à l’occasion d’un dialogue avec Jürgen Habermas. Habermas conçoit le peuple comme une association de sujets de droits libres et égaux, unis par une solidarité civique entre étrangers. Contre Carl Schmitt, il évite ainsi le schème de la similarité entre compatriotes d’une même nation ou d’un même peuple (Volk). La démocratie n’est plus « l’autoaffirmation, l’autoconfirmation et l’autoréalisation d’une nation dans sa particularité4 », ce qui libère la possibilité d’une fédération démocratique plurinationale et pluriethnique. Même si Habermas a amendé sa position fédéraliste initiale, il pose le réquisit d’une Europe politique qui prend acte de la fin du mythe de la « volonté générale » dans sa version schmittienne.

Le peuple européen, c’est l’association de différents peuples considérés comme libres et égaux, qui forment un contrat social et se donnent des institutions communes pour affronter ensemble ce qu’ils ne peuvent surmonter seuls.

Cela ne signifie pas qu’il faille négliger l’identité culturelle européenne, ni bien sûr la réduire à une identité religieuse. Le « club des démocraties européennes » n’est pas un « club chrétien ». Il faut un « travail du négatif », une réflexivité critique sur l’histoire européenne et la mémoire des guerres ; une réflexion, aussi, sur l’héritage du droit romain, sur les structures de la féodalité, etc., sans pour autant nier les différences culturelles. L’Europe est un ensemble de demoï qui doivent conserver leur culture singulière. Il ne s’agit nullement d’homogénéiser les mœurs de manière factice. Le peuple européen, c’est l’association de différents peuples considérés comme libres et égaux, qui forment un contrat social et se donnent des institutions communes pour affronter ensemble ce qu’ils ne peuvent surmonter seuls. Ce qui m’intéresse chez Habermas, quand il pense la « transnationalisation » de la souveraineté du peuple, c’est justement le fait qu’il parte du contrat social entre les individus et les peuples, sur la base de leur libre volonté. Je suis aussi séduite par le second Habermas, celui qui a coécrit en 2003 une tribune avec Jacques Derrida, et qui défend ce qu’il appelle « le processus herméneutique d’auto-interprétation » de l’Europe. Derrida et Habermas reconnaissent la sécularisation plus avancée des sociétés européennes, ou encore leur confiance dans les capacités de régulation de l’État. Face aux États-Unis notamment, les auteurs évoquent la défense plus répandue de l’État-providence, une sensibilité plus grande aux atteintes portées à l’intégrité personnelle (contre la torture et la peine de mort), ou encore la défense d’un ordre international multilatéral5.

Dans votre livre, vous écrivez que « l’Europe révèle et amplifie notre désenchantement démocratique », et vous ajoutez que, pour constituer une démocratie, l’Union européenne a besoin d’un nouveau telos. N’y a-t-il pas une dimension messianique dans votre projet ?

Sans doute ! Comme l’a souligné Étienne Balibar, dans la notion de peuple il y a la notion de demos, d’ethnos, de plethos (« la masse »), mais aussi celle de laos, c’est-à-dire le peuple dans sa dimension d’élection. À mes yeux, les grandes raisons d’être du projet européen, à savoir la paix, la prospérité et la liberté, doivent s’accompagner d’un nouveau telos, à savoir la solidarité. Le dernier chapitre de mon livre, qui s’intitule « L’Europe sociale aura-t-elle lieu ? », laisse entrevoir une solidarité entendue non seulement comme on l’appréhende déjà dans les traités, c’est-à-dire un principe de coopération loyale entre les États membres, mais aussi au sens de la justice sociale : pour être légitime, l’Union doit protéger face aux risques spécifiques créés par l’européanisation. Ce nouveau telos devrait aussi permettre de remédier à l’asymétrie actuelle entre un ordre économique fédératif fondé sur les deux grands principes du droit européen (la libre circulation et la non-discrimination sur la base de la nationalité) et un ordre politique qui reste pour l’essentiel coopératif, avec un primat de l’intergouvernemental sur le supranational. Remédier à cette asymétrie, c’est lutter contre les injustices créées par le marché intérieur européen. Les effets pervers dénoncés, le dumping social ou le dumping fiscal par exemple, sont réels. Il nous faut donc défendre la justiciabilité des droits sociaux stipulés par la Charte des droits fondamentaux, ce que le Royaume-Uni a toujours refusé – provoquant un déséquilibre entre la protection des libertés économiques et des droits sociaux dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Cela ne signifie pas que l’Europe sociale n’ait jamais avancé. En réalité, le bénéfice de la protection sociale d’abord attaché aux « travailleurs migrants » circulant entre les États membres s’est progressivement étendu, d’abord aux familles, puis aux demandeurs d’emploi, et enfin à tout citoyen pouvant attester d’un « lien réel » avec son pays d’accueil, matérialisé souvent par cinq ans de résidence. Du fait de la jurisprudence de la Cour de justice, les États-providence ont été contraints à s’ouvrir. C’est un progrès réel dans une perspective de justice sociale, puisque cela réduit la portée du privilège arbitraire de la nationalité au sein de l’Union. Mais cette ouverture des États-providence a un coût qu’il faut compenser, pour que les pays attractifs ne soient pas mis en difficulté par l’afflux de ressortissants d’autres États membres – un argument utilisé en Angleterre en faveur du Leave. Sans prôner l’uniformisation, nous devons à la fois pallier les effets pervers du marché intérieur et réduire les déséquilibres produits par la libre circulation des citoyens. Je ne suis pas favorable à la création d’un « super-État social » qui se substituerait aux États-providence actuels, mais plutôt à la mise en place de normes communes et de fonds compensateurs.

Le clivage entre pro-européens et souverainistes est-il appelé à structurer durablement le champ politique français ?

La question du souverainisme est centrale. Cela ne signifie pas que le nouveau clivage créé par la défense de la souveraineté, qu’elle soit nationale ou européenne, a remplacé l’opposition droite-gauche en France. Mais ce clivage pourrait conduire à la ruine de la social-démocratie, car celle-ci est fracturée depuis les débats de 2005 relatifs au Traité constitutionnel européen. Il faut donc regarder au-delà de nos frontières et trouver, peut-être, une source d’inspiration dans certaines propositions audacieuses de la coalition allemande.

Propos recueillis par Anne-Lorraine Bujon et Quentin Regnier

  • 1. Antoine Lilti et Céline Spector (sous la dir. de), Penser l’Europe au xviiie siècle. Commerce, civilisation, empire, Oxford, Voltaire Foundation, 2014.
  • 2. C. Spector, No demos ? Souveraineté et démocratie à l’épreuve de l’Europe, Paris, Seuil, 2021.
  • 3. Hannah Arendt, « L’Europe et l’Amérique » [1954], dans Penser l’événement, traduit sous la direction de Claude Habib, Paris, Belin, 1989.
  • 4. Jürgen Habermas, L’Intégration républicaine. Essais de théorie politique, trad. par Rainer Rochlitz, Paris, Fayard, 1998.
  • 5. Jacques Derrida et J. Habermas, « Europe : pour une politique extérieure commune », Libération, 21 mai 2003.

Céline Spector

Professeur de philosophie à l'université de Paris-Sorbonne et membre de l'Institut universitaire de France, elle a récemment publié Rousseau et la critique de l'économie politique (Presses universitaires de Bordeaux, 2017).

Dans le même numéro

Retrouver la souveraineté ?

L’inflation récente des usages du mot « souveraineté », venue tant de la droite que de la gauche, induit une dévaluation de son sens. Dévaluation d’autant plus choquante à l’heure où, sur le sol européen, un État souverain, l’Ukraine, est victime d’une agression armée. Renvoyant de manière vague à un « pouvoir de décider » supposément perdu, ces usages aveugles confondent souvent la souveraineté avec la puissance et versent volontiers dans le souverainisme, sous la forme d’un rejet de l’Union européenne. Ce dossier, coordonné par Jean-Yves Pranchère, invite à reformuler correctement la question de la souveraineté, afin qu’elle embraye sur les enjeux décisifs qu’elle masque trop souvent : l’exercice de la puissance publique et les conditions de la délibération collective. À lire aussi dans ce numéro : les banlieues populaires ne voteront plus, le devenir africain du monde, le destin du communisme, pour une troisième gauche, Nantes dans la traite atlantique, et la musique classique au xxie siècle.