
La seconde chance
L’unité européenne trente ans après la réunification allemande
Pourquoi Angela Merkel se voit contrainte de changer son fusil d’épaule en matière de politique européenne et accepte une solidarité qu’elle a énergiquement refusée pendant la crise des subprimes ? Habermas répond en soulignant la percée politique de l’Alternative pour l’Allemagne et le retour qu’elle impose sur l’histoire de l'Allemagne dans son rapport au nazisme, à l'Est et à l'Ouest, avant et après la réunification.
Le philosophe et sociologue Jürgen Habermas, né en 1929, dernier penseur européen vivant d’envergure mondiale, a toujours voulu, depuis le fameux article de 1953 « Penser avec Heidegger contre Heidegger », peser sur le débat public en Allemagne1. Parallèlement à la rude élaboration d’une théorie de l’espace public et de « l’agir communicationnel » dans des ouvrages aujourd’hui classiques2, ses interventions publiques ont eu la plupart du temps pour enjeu la trajectoire historique, politique et culturelle d’une Allemagne qui, du romantisme au nazisme, a souvent eu un rapport contrarié avec la modernité. Aussi le théoricien délègue-t-il à l’intellectuel la tâche de défendre, dans l’arène publique, les arguments qui, dans une conjoncture précise, sont susceptibles de produire un progrès historique grâce aux effets d’apprentissage du débat public. Ainsi, la crise du coronavirus et la réponse européenne inédite qu’elle a suscitée sont l’occasion d’accélérer la prise de conscience historique de la nécessité d’un approfondissement de la construction européenne et de ses mécanismes de solidarité. Comprendre pourquoi Angela Merkel se voit contrainte de changer son fusil d’épaule en matière de politique européenne, d’accepter une solidarité qu’elle a énergiquement refusée pendant la crise des subprim