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Jürgen Habermas lors d’une discussion à l’école de philosophie de Munich en 2008 (photo de Wolfram Huke via Wikimedia)
Jürgen Habermas lors d'une discussion à l'école de philosophie de Munich en 2008 (photo de Wolfram Huke via Wikimedia)
Dans le même numéro

La seconde chance

L’unité européenne trente ans après la réunification allemande

Pourquoi Angela Merkel se voit contrainte de changer son fusil d’épaule en matière de politique européenne et accepte une solidarité qu’elle a énergiquement refusée pendant la crise des subprimes ? Habermas répond en soulignant la percée politique de l’Alternative pour l’Allemagne et le retour qu’elle impose sur l’histoire de l'Allemagne dans son rapport au nazisme, à l'Est et à l'Ouest, avant et après la réunification.

Le philosophe et sociologue Jürgen Habermas, né en 1929, dernier penseur européen vivant d’envergure mondiale, a toujours voulu, depuis le fameux article de 1953 « Penser avec Heidegger contre Heidegger », peser sur le débat public en Allemagne1. Parallèlement à la rude élaboration d’une théorie de l’espace public et de « l’agir communicationnel » dans des ouvrages aujourd’hui classiques2, ses interventions publiques ont eu la plupart du temps pour enjeu la trajectoire historique, politique et culturelle d’une Allemagne qui, du romantisme au nazisme, a souvent eu un rapport contrarié avec la modernité. Aussi le théoricien délègue-t-il à l’intellectuel la tâche de défendre, dans l’arène publique, les arguments qui, dans une conjoncture précise, sont susceptibles de produire un progrès historique grâce aux effets d’apprentissage du débat public. Ainsi, la crise du coronavirus et la réponse européenne inédite qu’elle a suscitée sont l’occasion d’accélérer la prise de conscience historique de la nécessité d’un approfondissement de la construction européenne et de ses mécanismes de solidarité. Comprendre pourquoi Angela Merkel se voit contrainte de changer son fusil d’épaule en matière de politique européenne, d’accepter une solidarité qu’elle a énergiquement refusée pendant la crise des subprime, est l’enjeu de ce texte, paru en septembre 2020 dans la revue Blätter für deutsche und internationale Politik. Or, derrière les raisons économiques invoquées (le creusement des dettes qui menace l’euro), Habermas pointe une réalité politique nouvelle : la percée de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et surtout le retour qu’elle impose sur l’histoire de la République fédérale d’Allemagne (RFA) et de la République démocratique allemande (RDA) dans leur rapport au nazisme, avant et après la réunification. Fidèle à son rôle reconnu de « conscience publique de la République fédérale », infatigable militant de la cause européenne, Habermas montre comment cette histoire parallèle a partie liée avec la construction européenne depuis la chute du nazisme.

Jean-Marc Durand-Gasselin et Olivier Gouchet

 

Trente années après la rupture de 1989-1990 dans l’histoire mondiale, l’irruption d’événements fatidiques pourrait en former une nouvelle. Cela va se décider dans les mois qui viennent – à Bruxelles, mais aussi à Berlin.

Au premier abord, il semble un peu artificiel de comparer la fin de l’organisation bipolaire du monde et l’expansion mondiale du capitalisme victorieux avec le coup du sort d’une épidémie qui dure et avec la crise de l’économie mondiale, d’une ampleur inédite, qu’elle a déclenchée. Mais si nous, Européens, trouvions effectivement une réponse constructive à ce choc, d’un certain point de vue, un parallèle entre ces deux ruptures historiques s’imposerait. À l’époque, la réunification allemande et l’unification européenne fonctionnaient comme des vases communicants. Le rapport entre ces deux processus, qui allait alors de soi, n’est aujourd’hui certes pas manifeste. Mais dans la perspective de la fête nationale à venir, on peut tenir pour acquis que les embardées du processus de la réunification allemande ne sont certainement pas la cause de la surprenante résurrection du processus européen d’unification. C’est bien plutôt le recul historique que nous avons aujourd’hui par rapport aux problèmes antérieurs de la réunification allemande qui a contribué à ce que le gouvernement fédéral allemand se consacre enfin, à nouveau, à la tâche historique longtemps négligée de l’organisation politique de l’avenir européen.

Nous ne devons pas seulement cette prise de recul à la pression des turbulences mondiales entraînées par la crise du coronavirus. En politique intérieure aussi, les ordres de priorité ont été modifiés de façon décisive, avant tout par le déplacement de l’équilibre entre les partis politiques dû à la progression de l’AfD. Ainsi, par une ironie de l’histoire, trente années après le changement d’époque, nous obtenons une seconde chance de promouvoir ensemble unité allemande et unité européenne.

Unité allemande et unification européenne

En 1989-1990, pour ainsi dire du jour au lendemain, la possibilité d’une réunification d’une Allemagne divisée depuis quatre décennies ne pouvait qu’entraîner un déséquilibre des forces lourd de conséquences. La perspective d’un retour de la « question allemande » suscita des craintes historiquement fondées. Tandis que les États-Unis soutenaient les manœuvres adroites du chancelier fédéral, le spectre du retour du Reich allemand, cet « empire du milieu » qui, depuis l’empereur Guillaume II, avait été trop grand pour s’intégrer pacifiquement dans le cercle de ses voisins mais trop petit pour jouer un rôle hégémonique, alarmait nos voisins européens. Le désir de rendre irréversible l’intégration de l’Allemagne dans l’ordre européen n’était que trop justifié, comme c’est devenu clair avec la crise de l’euro à partir de 2010.

À la différence de Margaret Thatcher, qui reculait d’effroi, François Mitterrand choisit courageusement d’aller de l’avant. Pour prévenir l’égoïsme d’un voisin qui pourrait abuser de sa puissance économique, il exigea d’un Helmut Kohl hésitant son accord pour l’introduction de l’euro. Les débuts de cette initiative hardie, énergiquement soutenue par Jacques Delors, remontaient déjà à 1970, lorsque la Communauté européenne d’alors mettait le cap pour la première fois sur la création d’une union monétaire avec le rapport Werner. Ce projet capota finalement à cause des profonds changements de politique monétaire qui suivirent et de la fin des accords de Bretton Woods. Mais ces idées se mirent à nouveau à jouer un rôle dans les tractations entre Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt. Il est également vrai que Helmut Kohl, après la décision du Conseil de l’Europe obtenue le 9 décembre 1989 à Strasbourg et mû par ses propres convictions politiques, a imposé ­l’alliance clairvoyante de l’unité nationale avec le traité révolutionnaire de Maastricht contre les résistances politiques de son propre pays3.

En comparaison de cet événement historique, ce sont aujourd’hui les conséquences économiques d’une épidémie qui menacent l’existence de la communauté monétaire, en provoquant des dettes insupportables dans les États membres du sud et de l’est de l’Union européenne les plus durement touchés. C’est dorénavant ce risque que l’économie exportatrice allemande redoute le plus et qui a fini par faire plier le gouvernement fédéral allemand devant l’insistance du président français à réclamer une coopération européenne plus étroite, longtemps en vain. L’offensive conjointe, opportunément déclenchée par Angela Merkel et Emmanuel Macron, pour mettre sur pied un fonds de relance financé par des prêts à long terme de l’Union européenne et qui doit profiter, en grande partie, sous forme de subventions non remboursables, aux États membres qui ont besoin d’aide, a effectivement abouti à un compromis remarquable. La décision européenne de contracter la dette en commun, ce que seul le départ du Royaume-Uni a rendu possible, pourrait conduire au premier effort d’intégration vraiment significatif depuis Maastricht.

Même si cette décision n’est pas encore entérinée, Emmanuel Macron, au cours du sommet, a parlé « du moment le plus important pour l’Europe depuis la création de l’euro ». Certes, à la différence de ce que Macron avait souhaité, Angela Merkel est demeurée fidèle à sa méthode des petits pas. La chancelière ne cherche pas une solution institutionnelle durable, mais une compensation ponctuelle aux dégâts causés par l’épidémie. Bien que la menace mortelle provienne de l’état lacunaire de la constitution politique de la communauté monétaire européenne, les crédits communs ne seront pas supportés par les seuls membres de la communauté monétaire mais par l’Union entière. On le sait, le progrès avance comme un escargot sur des sentiers sinueux.

Aujourd’hui, à trois décennies d’intervalle et au vu du rebond européen, si nous voulions faire un parallèle entre les liens initiaux existant entre le processus de la réunification allemande et le processus d’unification européen, il nous faudrait tout d’abord rappeler que l’unité allemande a retardé la politique européenne. Même si la restauration de l’État national allemand s’est faite, d’une certaine façon, au prix d’un effort d’intégration lourd de conséquences, par la renonciation au deutschemark, elle n’a pas particulièrement favorisé la poursuite de l’approfondissement de la coopération européenne.

Depuis l’édification de l’unité nationale, l’attention des gouvernements allemands avait tout d’abord été accaparée par la tâche de remettre l’économie délabrée de la RDA au diapason des marchés du capitalisme rhénan et d’accorder une bureaucratie d’État surveillée par le Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED) aux routines administratives d’un État de droit. Indépendamment de cette nécessaire action intérieure, les gouvernements depuis Kohl s’étaient rapidement réhabitués à la « normalité » de l’État national reconstitué. Les historiens qui, à l’époque, célébraient cette normalité avaient sans doute un peu prématurément cautionné l’émergence, à l’Ouest, d’une image de soi post-nationale. Mais les interventions de politique étrangère, prenant de plus en plus d’assurance, donnèrent aux observateurs sceptiques l’impression que « Berlin », grâce à l’augmentation de son poids économique, voulait traiter directement et sans médiation avec les États-Unis et la Chine, sur un pied d’égalité, en se passant ainsi de ses voisins européens.

Pourtant, l’unification nationale ne constituait pas en tant que telle, jusqu’à un passé récent, la raison décisive de l’engagement d’un ­gouvernement fédéral hésitant, aux côtés de Londres, en faveur d’un ­élargissement de l’Union européenne plutôt qu’en faveur de l’approfondissement institutionnel de la communauté monétaire, qui se faisait attendre. Cet engagement tenait plutôt à des raisons économiques qui sont devenues claires à la suite de la crise de l’endettement des banques et des États. Jusqu’au traité de Lisbonne, qui est entré en vigueur le 1er décembre 2009, l’Union européenne était avant tout préoccupée des conséquences institutionnelles et des turbulences sociales de l’élargissement à l’Est de 2004.

Le retournement de la politique européenne allemande

Avant même l’introduction de l’euro décidée à Maastricht, les experts débattaient des problèmes d’organisation de la communauté monétaire telle qu’elle était envisagée. Il était également clair, pour les personnes politiques impliquées, qu’une monnaie commune, qui empêche les pays membres les plus faibles économiquement de dévaluer leur monnaie, renforcerait les déséquilibres au sein de la communauté monétaire tant que lui manqueraient les compétences politiques permettant des mesures de compensation. Cette communauté monétaire ne peut atteindre la stabilité que par le biais d’une harmonisation des politiques fiscales et budgétaires, c’est-à-dire par une politique fiscale, économique et sociale commune. C’est pourquoi, en son temps déjà, la communauté monétaire a été fondée dans l’attente d’un renforcement progressif d’une union politique.

L’absence de ces réformes plus poussées a conduit, au cours de la crise financière et bancaire de 2008, aux mesures qu’on sait, en partie fabriquées de toutes pièces en dehors du droit de l’Union – et aux conflits correspondants entre ce qu’on a appelé les pays donateurs du nord et les pays bénéficiaires du sud de l’Europe4. Lors de cette crise, la nation exportatrice a aussi fait front et refusé toute mesure ultérieure d’intégration par des appels au combat contre une mise en commun des dettes. Et cela même lorsque, à partir de 2017, Emmanuel Macron a ambitieusement plaidé pour un renforcement de l’Union et de nécessaires renonciations à la souveraineté. Ce sont donc des larmes de crocodile que verse maintenant l’architecte de la politique d’austérité imposée par l’Allemagne au Conseil européen, lorsqu’il déplore rétrospectivement : « Nous avons avant tout besoin aujourd’hui du courage que nous n’avons pas eu dans la crise de 2010 pour obtenir enfin plus d’intégration dans la zone euro. Nous ne devons pas laisser passer cette occasion, nous devons au contraire utiliser avec détermination la perturbation actuelle pour faire évoluer l’union monétaire en une union économique grâce au fonds de relance européen5. »

Wolfgang Schäuble entend par « perturbation  » les conséquences sévères de la pandémie. Mais pourquoi Merkel et Schäuble exhortent-ils aujourd’hui à un courage qui leur a prétendument manqué il y a dix ans ? Sont-ce simplement les raisons économiques d’un éventuel échec définitif du projet européen qui modifient les ordres de priorité au point d’expliquer ce changement de cap inopiné ? Ou bien sont-ce les dangers d’une transformation bien plus ancienne de la situation géopolitique mondiale, qui mettent à l’épreuve les formes de vie démocratiques et l’image culturelle que les Européens se font d’eux-mêmes ? En somme, qu’est-ce qui explique l’adhésion soudaine, presque en catimini, à une mise en commun des dettes, pourtant diabolisée depuis des années ?

Pour la première fois dans l’histoire de la République fédérale, un parti politique a pu s’établir grâce à ses succès électoraux à droite de la constellation politique centrale, en alliant la critique de l’Europe à un nationalisme ethnocentrique d’une radicalité inédite et décomplexée. Jusqu’alors, la direction de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU) avait fait en sorte que le nationalisme économique allemand puisse se revêtir d’une rhétorique pro-européenne. Mais avec le déplacement de l’équilibre du pouvoir entre les partis politiques, un potentiel de protestation a pu trouver un discours qui s’était constitué pendant le processus de réunification allemande.

À la jonction

L’AfD a d’abord été fondé par un groupe national-conservateur d’économistes et de représentants d’associations ouest-allemands pour lesquels le cap de la politique européenne du gouvernement fédéral ne paraissait pas protéger suffisamment l’économie allemande au paroxysme de la crise de l’endettement des banques et de l’État en 2012. Il a été rejoint par une scission de l’aile nationale-conservatrice à la CDU. À vrai dire, l’AfD n’est devenu un test décisif de l’intensité des conflits dans le processus de réunification qu’à partir de 2015 – notamment grâce à son hostilité à Mai 68, mentalité enracinée dans la vieille République fédérale –, lorsqu’il s’est plus fortement implanté dans les Länder est-allemands et s’y est associé aux motifs autochtones d’une critique, entre-temps répandue, de la politique de réunification. La critique de l’Europe a servi de catalyseur à cet amalgame, alors aggravé par la crise des réfugiés et la xénophobie des électeurs allemands protestataires à l’Ouest et à l’Est. C’est la raison pour laquelle le conflit entre la CDU et l’AfD a pu s’intensifier, au moment où le député européen Jörg Meuthen a opposé à la chancelière, alors qu’elle présentait le projet de plan de relance européen au Parlement de Strasbourg le 8 juillet 2020, les arguments par lesquels elle avait elle-même justifié pendant une décennie le plan d’austérité de Schäuble.

Nous touchons ici au point de jonction des processus d’unification européenne et de réunification allemande. Ce qui s’exprime dans le tournant de la politique européenne de Merkel, c’est la distance historique, devenue aujourd’hui plus grande, qui nous sépare du moment heureux de l’unité retrouvée de l’État et du processus douloureux de la réunification allemande.

Il serait trop simple de déduire une telle prise de distance historique du flot d’études historiques, de reportages journalistiques et de rétrospectives plus ou moins subjectives publiés pour le jubilé. En effet, cette vague de publication est plutôt le symptôme d’un changement politico-culturel dans les relations interallemandes. Le fait qu’une plus grande distance ait été prise vis-à-vis des séquelles de l’unité allemande, je l’impute en effet à une polarisation actuelle des prises de position vis-à-vis de cet événement. La régression politique manifestée par l’AfD présente un visage à l’ambivalence déconcertante. D’un côté, elle exprime un caractère commun à tous les Allemands mais, de l’autre, elle exprime d’autres histoires d’après-guerre et d’autres mentalités à l’Est et à l’Ouest. Elle nous fait apparaître distinctement ces deux aspects grâce au creusement de la distance historique : le conflit commun exacerbé dans la politique des partis et ce sur quoi ce conflit commun jette une lumière plus crue – la différence entre des mentalités politiques qui se sont constituées séparément en RFA ou en RDA pendant quatre décennies.

Le choc d’Erfurt

Les accusations réciproques dans les relations politiques entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est, telles qu’elles sont devenues manifestes au niveau national, notamment à l’occasion des événements de Chemnitz et Erfurt, ont fait prendre conscience du caractère commun à tous les Allemands du processus de clarification intervenu depuis lors. Le drame qui s’est déroulé après les élections du parlement régional de Thuringe en a été particulièrement symptomatique. Les premières prises de position abruptes contre la transgression du tabou représenté par l’élection d’un ministre-président du Parti libéral-démocrate (FDP) grâce aux voix conjointes de la CDU et de l’AfD ont été exprimées par Angela Merkel et Markus Söder, une Allemande de l’Est et un Bavarois. Le tranchant normatif d’une de ces deux déclarations était d’une acuité surprenante. La chancelière a parlé d’un « fait impardonnable qui doit être annulé » ; et elle a conféré encore plus de poids à son inflexibilité en limogeant le commissaire aux affaires de l’Est du gouvernement fédéral.

La reconnaissance factuelle d’un parti à droite de la CDU est autre chose que la simple existence d’un tel parti. Elle implique de renoncer à la récupération opportuniste d’un ensemble d’électeurs potentiels au-delà des limites fixées par le programme et, en même temps, d’accepter que des électeurs qui donnent leur voix aux slogans nationalistes, racistes et antisémites ont le droit d’être pris au sérieux comme concitoyens démocratiques, c’est-à-dire le droit d’être critiqués sans ménagement.

L’évolution actuelle dans les Länder est-allemands a été précédée par de nombreuses explosions de violence d’extrémistes de droite, de défilés nazis sans opposition et de cas inquiétants de poursuites pénales entachées de biais politiques. Les cas de violences de droite, entraînant souvent la mort, étaient en eux-mêmes déjà suffisamment graves. Mais plus graves encore ont été les réactions de la part de l’État : une police qui conseille aux victimes de ne pas porter plainte ; un tribunal tendancieux qui ne reconnaît aucune différence entre agresseurs et victimes ; une direction de sécurité du Land qui distingue subtilement comportement « hostile au droit d’asile » et comportement « critique du droit d’asile » ; un ministère public à qui le parquet fédéral doit retirer un cas scandaleux parce que, malgré l’évidente action en réunion de terroristes amateurs6, il ne pouvait identifier que des coupables individuels ; ou l’autorité locale qui déploie, devant des manifestations déclarées, des forces de police si faibles que les débordements, prévisibles, ne peuvent pas être poursuivis. Et lorsque je lis ensuite que dans ces régions de l’Est, une « acceptation silencieuse de la violence de droite » se propage, je me sens véritablement ramené à la situation de Weimar7.

Une ligne de front, deux perspectives

Cependant, « l’affaire » de Thuringe n’a pas seulement contribué à éclaircir une ligne de front politique qui traverse les populations, à la fois à l’intérieur de l’Est et à l’intérieur de l’Ouest. Elle a aussi fait ressortir la différence des perspectives, en raison des différences d’histoires, ­d’expériences politiques et de processus culturels, sur la base desquelles le conflit commun est perçu à l’Est et à l’Ouest.

Tandis qu’à l’Est, les représentations de la substance politique du « bourgeois » devaient encore être passées au crible, à l’Ouest, les réactions reflétaient un vieil héritage de la République fédérale. Le fait que la crise gouvernementale de Thuringe se soit prolongée pendant des semaines, même après le retrait du ministre-président élu grâce à l’AfD, n’était en effet que la farce d’un piège relationnel dans lequel le groupe de la CDU à la Diète était pris, parce que son président fédéral sarrois persistait à lui imposer une coalition incompatible aussi bien avec la droite qu’avec la gauche.

La CDU de l’Ouest, dès les premières élections au Bundestag, avait dénoncé sur ses affiches Herbert Wehner8 et le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) avec le slogan « Tous les chemins mènent à Moscou ». Elle avait encore bien des difficultés à renoncer à la disqualification moralisatrice de la gauche, permettant d’exonérer une droite historiquement déconsidérée, disqualification depuis longtemps obsolète9. Dans ­l’ancienne République fédérale, une disqualification morale symétrique, d’orientation politique de gauche et de droite (qui, au temps de la guerre froide, avait même reçu une consécration universitaire sous la forme de la théorie du totalitarisme), avait constitué pour la CDU une étape programmatique importante pour se constituer en parti ayant une majorité structurelle. En effet, dans la constellation géopolitique de la guerre froide, Adenauer utilisait la position du front anticommuniste pour rallier, avec le sentiment d’avoir toujours été du bon côté, les vieilles élites nazies qui avaient conservé leurs anciennes positions dans tous les domaines ou qui pouvaient les retrouver10. De fait, l’anticommunisme a permis, à l’époque, à de grandes parties de la population qui avaient soutenu Hitler à une majorité écrasante jusqu’à la catastrophe finale d’éluder plus facilement la prise de conscience critique de leurs propres compromissions. Le « silence communicationnel » sur leur comportement passé a favorisé une adaptation extérieurement coopératrice au nouvel ordre démocratique – un opportunisme que la hausse du niveau de vie et la protection nucléaire des États-Unis ont rendu d’autant plus facile.

La politique mémorielle dans l’ancienne République fédérale

On ne peut expliquer pourquoi, dans la République de Bonn, l’adaptation opportuniste à l’ordre politique introduit par les puissances victorieuses, d’abord largement répandue, ne s’est plus ou moins transformée en un attachement solide pour les principes fondamentaux de l’État de droit et de la démocratie qu’à partir des polémiques entre les générations. Sans doute, à l’Ouest aussi, les discussions récurrentes sur « un passé qui ne veut pas passer11  » n’avaient rien d’évident. Elles s’étaient ouvertes immédiatement après la fin de l’époque nazie devant les crimes contre l’humanité jugés à Nuremberg et grâce à des livres comme ceux d’Eugen Kogon12 ou de Günther Weisenborn13, mais à cause de la rapide réhabilitation des anciennes élites nazies et d’une population lavée de tout soupçon par l’anticommunisme du moment, elles s’étaient refermées. C’est ainsi que, à contre-courant d’une mentalité commune de refoulement et de normalisation, elles furent sans cesse relancées par les franges de l’opposition.

Après une décennie de silence, les premières initiatives pour « repenser le passé14  » commencent à la fin des années 1950. L’Office central d’enquête sur les crimes nazis est instauré à Ludwigsburg après que le premier de ces procès a eu lieu à Ulm. Au même moment, des membres de l’Union socialiste allemande des étudiants (SDS) organisent – d’ailleurs en opposition avec la direction de leur parti – une exposition sur l’« impunité de la justice nazie » qui déclenche déjà des controverses. Mais ce n’est que le procès d’Auschwitz à Francfort, préparé par Fritz Bauer, qui a un retentissement dans tout le pays. Malgré la modération des jugements, personne ne pouvait plus ignorer Auschwitz. Rétrospectivement, Ulrich Herbert fait le constat suivant dans l’une des rares phrases emphatiques de son Histoire de l’Allemagne au xxe siècle : «  Que, malgré des millions de victimes de la politique national-socialiste, les membres des élites nazies et même les auteurs de génocide de la Sicherheitspolizei et du SD s’en soient sortis en grande partie sans dommage et aient même vécu en citoyens estimés, pour certains à des postes élevés, a été un scandale contrevenant si fondamentalement à toutes les représentations de morale politique qu’il n’a pas pu rester sans conséquences importantes et durables pour la société allemande, sa structure interne, tout comme son image à l’étranger. Pendant des décennies et jusqu’à aujourd’hui, ce scandale fait figure, en dépit de tous les succès de stabilisation démocratique, d’un signe de Caïn pour la République15. »

La focalisation sur la justice n’était que le noyau du travail intellectuel nécessaire pour repenser le passé, travail que les parties, indignées ou récalcitrantes, de la population vont appréhender par vagues successives. Ces controverses décrivent des cercles de plus en plus grands jusqu’à ce que l’écho international de l’agenouillement de Willy Brandt à Varsovie confère à ce sujet, en 1970, une nouvelle dimension étatique, et que le destin de la famille Weiss, mis en scène avec pathos dans le film Holocauste, représenté en Allemagne en 1979, connaisse de multiples échos.

Cet important retentissement, à la fin de la décennie la plus agitée de l’ancienne République fédérale, avait naturellement été préparé par la contestation étudiante, qui s’était elle aussi renforcée dans la République fédérale en 1967. Née dans un certain contexte international, la ­contestation étudiante avait pris une tournure spécifique en Allemagne par le fait que la jeune génération s’empoignait pour la première fois ouvertement avec ses parents nazis et condamnait publiquement les compromissions des personnels nazis réintégrés dans leurs hautes fonctions. Mais de ce point de vue, « 1968 » avait déjà eu des antécédents. Les historiens ont depuis attiré l’attention sur les nombreux débats et les initiatives politiques qui se sont développés depuis la fin des années 1950 en relation avec les mouvements de protestation contre l’armement nucléaire et les lois d’exception16. Toutefois, ce fil rouge, rappelé en mots-clés, des assauts répétés « contre l’oubli » ne serait pas devenu le fondement d’une culture du souvenir allant de soi voire une évidence politique officielle de la République, et le fil aurait même vraisemblablement cassé avec les événements des turbulentes années 1970, si l’on n’avait pas réussi, après le changement de gouvernement de 1983, à faire front énergiquement contre la politique de l’histoire imposée par Helmut Kohl au nom d’un « tournant spirituel et moral ».

Les tentatives de Kohl pour « dés-actualiser l’époque nazie17  » ne se sont pas restreintes aux rencontres fortement symboliques avec Mitterrand à Verdun et avec Reagan à Bitburg, ni à ses efforts tout aussi maladroits pour influencer les projets américains d’un mémorial de l’Holocauste à Washington dans le sens de « l’intérêt national allemand ». Bien mieux, ces initiatives devaient in fine créer dans la population une identité fière et consciente de l’histoire nationale dans son entier.

Dans les deux années qui suivirent, l’essai d’Ernst Nolte qui relativisait l’Holocauste en renvoyant aux crimes de Staline18 a déclenché ce que l’on a appelé la « querelle des historiens ». Sur la toile de fond de la politique de l’histoire de Kohl, la querelle tournait autour de deux points : l’importance qu’« Auschwitz » et l’assassinat des Juifs européens devait revêtir dans la mémoire politique de la population allemande ; et le poids de ce souvenir autocritique pour l’identification continue des citoyens avec la Constitution de leur État démocratique, et même en général avec une forme de vie libérale, empreinte de la reconnaissance réciproque du droit à la différence. Si cette profession de foi devait être définie comme noyau dur de l’image que la République fédérale a d’elle-même, elle n’était pas encore fixée à l’époque.

Le solide ancrage de cette conscience dans la société civile, qui ­s’exprime exemplairement dans les paroles et dans l’attitude d’un président fédéral comme Frank-Walter Steinmeier, est dû en premier lieu à la controverse des années 1990 sur la politique mémorielle.

Ces controverses étaient, par leur importance et leur portée, incomparables avec celles qui les ont précédées. Encore une fois, elles ont creusé de profonds fossés, mais d’une certaine façon, elles avaient un caractère conclusif. Dorénavant, dans les commémorations d’État, on ne prononce pas la profession de foi dans la démocratie et l’État de droit de manière uniquement abstraite, mais solennellement comme le résultat d’un apprentissage difficile, comme la commémoration autocritique vigilante des crimes contre l’humanité dont les citoyens allemands nés après la guerre ne sont pas coupables mais solidaires, dont ils portent la responsabilité historique (comme Karl Jaspers l’avait expliqué sans ambiguïté à ses compatriotes – dès 194619 !).

Le manque d’une sphère publique politique en RDA – et après

Après la réunification, les controverses portant sur les politiques mémorielles étaient pourtant plus ou moins restées une affaire de l’Ouest. Cette participation sélective n’appelle pas ­d’explication au regard des quarante années d’antifascisme sur ordre. À cause de l’histoire différente de la mentalité de la population de la RDA, elle offre d’autant moins de raisons d’être critiquée. À l’époque, la population de l’Est devait en outre venir à bout de problèmes touchant l’existence quotidienne, auxquels l’Ouest avait à peine prêté attention et dont il n’avait pas la moindre idée.

La population est-allemande n’avait accès, ni avant ni après 1989, à une sphère publique politique propre.

Cette asymétrie permet d’attirer ­l’attention sur une circonstance essentielle : la population est-allemande n’avait accès, ni avant ni après 1989, à une sphère publique politique propre dans laquelle des groupes en conflit auraient pu mener un débat pour se mettre d’accord. Parce qu’en 1945 une dictature a fait suite à une autre (quoique d’un type tout à fait différent), la clarification spontanée, mue par ses propres forces, d’une conscience douloureusement autocritique, étant politiquement ensevelie, ne pouvait avoir lieu sur un mode similaire à celui de la République fédérale. C’est un déficit dont les Allemands de l’Est ne sont pas responsables et dont je suis incapable de mesurer les conséquences. Je suis tout aussi incapable de juger à quelles parties de la population s’appliquent les déclarations de la psycho­thérapeute Annette Simon, la fille de Christa Wolf, lorsqu’elle écrit que l’image antifasciste offerte par le parti unique en place a eu un effet puissant « parce qu’elle offrait une vaste exonération des crimes allemands. […] Tout ce qui, après 1945, continuait d’être intériorisé (dispositions psychiques, réceptivité à la soumission, pensée autoritaire, mépris de l’étranger et du faible) ne fut pas travaillé publiquement, sauf dans l’art et la littérature. Dans les institutions et les familles régnait le même silence qu’à l’Ouest au début. C’est ainsi que fut caché ce qui, avant 1945, s’était donc concrètement passé dans telle université, tel hôpital ou telle famille. La partie est-allemande avait été contrainte, par les vainqueurs russes et leurs agents à Pankow ou à Wandlitz, d’adopter une idéologie. Lorsqu’on faisait sienne cette idéologie, qui s’accompagnait d’abord d’une vraie terreur puis d’une dictature, ce double nœud fait de socialisme et d’antifascisme, on pouvait en apparence se libérer de la faute et se défaire de l’identité allemande20  ».

Cette analyse concerne tout d’abord le manque d’une sphère publique politique empêchée jusqu’en 1989, que seul un accord conflictuel sur le passé nazi aurait pu rendre possible. Il en va autrement d’un autre symptôme de psychologie sociale, facile à comprendre – la honte après coup de s’être conformé par faiblesse aux attentes et exigences inacceptables du système communiste. Cela concerne l’absence de sphère publique après 1989 car, à l’époque, la sphère publique de la République fédérale s’est certes ouverte à ses nouveaux citoyens, mais une sphère publique propre restait interdite à ces derniers. C’est ainsi qu’il manquait un espace protégé pour un consensus, qui était en attente et qui ne soit pas jugé d’avance par une opinion dominante « là-bas », celle qui prétend en savoir toujours davantage : « Cette vieille honte, souvent inconsciente et refoulée du temps de la RDA, de s’être plié aux contraintes au-delà du nécessaire, se trouve maintenant étalée au grand jour de bien des manières. Et dans la lumière crue de l’opinion publique et des projecteurs de l’Ouest, elle devient une nouvelle humiliation et une dévalorisation. La façon de traiter l’antifascisme de la RDA peut en servir d’exemple, car il est interprété comme un antifascisme de surface21.  »

Ce fut la rencontre du Plan en dix points de Kohl22 et de la volonté de la majorité de la population de la RDA, qui, avec le résultat du vote de la Chambre du peuple du 18 mars 1990, a rendu irréversible la décision d’une réunification aussi rapide que possible. La Table ronde, à l’initiative d’une autre modalité de la réunification, n’a pas été éliminée que par l’Ouest.

Depuis s’est développée une abondante littérature sur les fautes qui ont été commises dans tous les domaines vitaux de la RDA en raison du style à la hussarde de la « reprise » de la responsabilité de l’organisation par les élites de l’Ouest. Le fait reconnu qu’au bout de trois décennies, il n’y ait pas encore de représentation d’experts est-­allemands dans la politique, l’économie ou l’administration est symptomatique de ce point de vue. Mais d’une façon ou d’une autre, le choix d’une « voie rapide » rendait inévitable une adaptation « musclée » à l’organisation sociale de la vieille République fédérale. Les intellectuels de la RDA et la fraction des défenseurs des droits du citoyen qui avaient voulu renverser le régime du SED dans le but vague de construire une autre et « meilleure » RDA se sont ainsi retrouvés hors jeu. Naturellement, il y aurait pu avoir, du côté de l’Ouest, plus de retenue et de réflexion dans les conditions de « l’annexion » votée démocratiquement. En tout cas, la population de la RDA aurait mérité de plus grandes marges de manœuvre pour agir elle-même en responsabilité – ne serait-ce que pour qu’elle puisse commettre ses propres erreurs. Il manquait avant tout un espace public non occupé pour ses propres processus politiques de représentation de soi.

Ce qui compte à présent

Mais il s’agit là de réflexions contrefactuelles qui concernent seulement ce qui a été manqué dans le passé et qui donc tombe aujourd’hui politiquement à plat. Toutefois, l’actuelle situation d’exception, vue dans la perspective allemande, donne une nouvelle chance d’unification double, sur le plan allemand et sur le plan européen. En effet, deux évolutions complémentaires ont lieu dans la République fédérale : à l’Est et à l’Ouest, la sensibilité réciproque et la compréhension des différences historiques involontaires se sont développées en forgeant les mentalités politiques. Simultanément, la signification politique d’un débat, qui est non seulement pris au sérieux mais accepté par la constellation politique centrale, est devenue claire. L’AfD attise un conflit qui s’est certes déclaré au contact des séquelles asymétriques de la réunification allemande, mais présente son refus de l’unification européenne dans une mise en scène nationaliste et raciste. Ce conflit, qui donne dans le völkisch, parce qu’il n’évolue plus dans les frontières géographiques de l’Est et de l’Ouest mais dans celles des préférences d’un parti politique, revêt aujourd’hui une signification pour l’ensemble des Allemands. Plus les dimensions communes de ce conflit s’affirment clairement, plus la discussion politique avec le populisme de droite, menée enfin dans toute l’Allemagne, favorise la prise de recul historique, de toute façon plus prégnante, à l’égard des manquements du processus de la réunification allemande. Et donc aussi la conscience que, de plus en plus, passent au premier plan d’autres problèmes que, face à un monde devenu plus autoritaire et plus agressif, nous ne pouvons résoudre qu’en commun, aussi bien à l’intérieur de l’Allemagne qu’en Europe.

Nous pouvons saisir ce déplacement des ordres de priorité dans la politique intérieure comme une opportunité pour achever le processus de la réunification allemande en rassemblant nos forces nationales et pour faire le pas décisif de l’intégration en Europe. En effet, sans unification européenne, nous ne viendrons à bout ni des conséquences imprévisibles de la pandémie, ni du populisme de droite chez nous et dans les autres États membres de l’Union.

Traduit par Jean-Marc Durand-Gasselin et Olivier Gouchet

 

  • 1. Jürgen Habermas, « Penser avec Heidegger contre Heidegger » [1953], dans Profils philosophiques et politiques, trad. par Françoise Dastur, Jean-René Ladmiral et Marc B. de Launay, Paris, Gallimard, 1974. Voir aussi le dossier « Habermas, le dernier philosophe », Esprit, août-septembre 2015.
  • 2. Voir J. Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise [1962], trad. par Marc B. de Launay, Paris, Payot, 1978 ; et J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel [1981], Paris, Fayard, 1987, tome I, Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, trad. par Jean-Marc Ferry ; tome II, Pour une critique de la raison fonctionnaliste, trad. par Jean-Louis Schlegel.
  • 3.Voir Luuk van Middelaar, Le Passage à l’Europe. Histoire d’un commencement, trad. par Daniel Cunin et Olivier Vanwersch-Cot, Paris, Gallimard, 2012.
  • 4.Voir Ashoka Mody, EuroTragedy: A Drama in Nine Acts, Oxford, Oxford University Press, 2018.
  • 5.Wolfgang Schäuble, cité dans Frankfurter Allgemeine Zeitung, 6 juillet 2020.
  • 6.Le terme « Feierabendterroristen », signifiant littéralement « terroristes après le travail », désigne depuis une vingtaine d’années des individus menant, sans forcément faire partie d’organisations, des attaques de toute sorte – intimidation, menaces par téléphone, incendies volontaires, destructions à l’explosif de boîtes à lettres, etc. – sans autre conviction ni pensée que la haine des immigrés et de ceux qui les accueillent et les aident. Cette désignation vient de ce que ces malfaiteurs vaquent dans la journée aux activités de leurs professions : ils sont chauffeurs de taxi, de bus, ouvriers, boulangers, etc.
  • 7.Voir Michael Kraske, Der Riss. Wie die Radikalisierung im Osten unser Zusammenleben zerstört [La fissure. Comment la radicalisation à l’Est détruit notre vie commune], Berlin, Ullstein Verlag, 2020.
  • 8.Herbert Wehner, figure centrale du SPD d’après-guerre, député au Bundestag de 1949 à 1983, était au début des années 1930 un membre du Parti communiste d’Allemagne (KPD) [NdT].
  • 9.Habermas fait référence à l’anticommunisme opportuniste de la droite allemande en RFA qui lui permettait de couvrir ses compromissions avec le nazisme. Cet opportunisme apparut comme une véritable stratégie politique dès la fin des années 1940 avec, pour Habermas, tous ses effets politiques et intellectuels. À l’Ouest, le jeu parlementaire était ainsi réduit à droite par le tabou nazi, ambigu en tant que tel parce que la dénazification de la société restait très partielle, et à gauche par un anticommunisme en partie artificiel [NdT].
  • 10.Voir Axel Schildt, „Antikommunismus von Hitler zu Adenauer“, dans Norbert Frei et Dominik Rigoli (sous la dir. de), Der Antikommunismus in seiner Epoche. Weltanschauung und Politik in Deutschland, Europa und den USA, Göttingen, Wallstein Verlag, 2017, p. 186-203.
  • 11.Ersnt Nolte, « Un passé qui ne veut pas passer » [juin 1986], dans Fascisme et totalitarisme, édition de Stéphane Courtois, Robert Laffont, 2008.
  • 12.Eugen Kogon, L’État SS. Le système des camps de concentration allemands [1946], Paris, Seuil, 1970.
  • 13.Günther Weisenborn, Une Allemagne contre Hitler [1954], trad. par Raymond Prunier, préface d’Alfred Grosser, Paris, Le Félin, 2000.
  • 14.Theodor W. Adorno, « Que signifie : repenser le passé ? » [1959], dans Modèles critiques, trad. par Marc Jimenez et Éliane Kaufholz-Messmer, Paris, Payot, 1984.
  • 15.Ulrich Herbert, Geschichte Deutchlands im 20. Jahrhundert, Munich, C. H. Beck, 2017, p. 667. SD est le sigle de Sicherheitdienst des Reichsführers SS, le service de renseignement et de maintien de l’ordre des SS créé en 1931 par Heydrich [NdT].
  • 16.Voir Michael Frey, Vor Achtungsechzig. Der Kalte Krieg und die Neue Linke in der Bundesrepublik und in den USA, Göttingen, Wallstein Verlag, 2020, p. 199.
  • 17.Ulrich Herbert, „Der ‚Historikerstreit‘ – Politische, wissenschaftliche, biographische Aspekte“, dans Volker Kronenberg (sous la dir. de), Zeitgeschichte, Wissenschaft und Politik. Der ‚Historikerstreit‘ – 20 Jahre danach, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, p. 92-108.
  • 18.E. Nolte, « Un passé qui ne veut pas passer », art. cit.
  • 19.Voir Karl Jaspers, La Culpabilité allemande [1946], trad. par Jeanne Hersch, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Éditions de Minuit, 1990.
  • 20.Annette Simon, „Wut schlägt Scham“ [La fureur est plus forte que la honte], Blätter für deutsche und internationale Politik, octobre 2019, p. 43-44.
  • 21.Ibid., p. 43.
  • 22.Proposition du chancelier Kohl, faite au Bundestag le 28 novembre 1989, qui prévoit une aide humanitaire immédiate et un projet de transformation économique et politique irréversible de la RDA dans une structure fédérale [NdT].

Jürgen Habermas

Philosophe, il a récemment publié deux volumes de ses articles sous le titre Parcours (Gallimard, 2018).

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