Le G 20 s'attaque à la régulation financière
Seul un commentaire lapidaire des travaux du G20 peut laisser croire qu’il ne s’y passe rien. Sans croire, à l’inverse, que la démarche entamée résoudra tous les problèmes, il n’en reste pas moins utile de répertorier et d’analyser les chantiers ouverts et de prendre date sur les engagements pris.
La photo a fait le tour de la blogosphère économique au début 2008 : on y voit de hauts responsables américains de la régulation financière réunis en 2003, armés de sécateurs et de tronçonneuses, prêts à mettre en miette une pile de documents symbolisant les textes de la réglementation bancaire… Un beau symbole des excès de la période de libéralisation financière ouverte par la Banque d’Angleterre en 1957 lorsqu’elle a accepté le développement sur son territoire d’un marché sans contrôle de dépôts et de prêts d’eurodollars, les dollars circulant en dehors des États-Unis.
Cinquante ans plus tard, la crise issue des prêts subprime est en train de refermer cette parenthèse. Elle a démontré, à grande échelle, combien l’instabilité financière pouvait coûter cher, en termes de sauvetage des banques, en perte de croissance et d’emplois, en montée du mécontentement populaire. Lors de sa réunion d’avril 2009, le G20 a ouvert un nombre considérable de chantiers de re-réglementation financière. Cinq mois plus tard, le sommet de Pittsburgh a confirmé l’engagement politique des grands États. Entre-temps, les techniciens des banques centrales ont travaillé pour passer des grands principes d’avril à des propositions plus opérationnelles en septembre.
Le déploiement du nouveau cadre régulateur s’organise autour de trois grands blocs : un renforcement tous azimuts du contrôle des banques dont les modalités avancent rapidement ; un contrôle plus serré des sources de spéculation excessive (fonds spéculatifs, marchés de produits dérivés, paradis fiscaux et réglementaires) aux contours plus incertains ; une nouvelle architecture institutionnelle.
Les banques sous contrôle
Les libéraux ont raison de le rappeler, l’industrie bancaire était avant la crise l’un des secteurs de l’économie les plus régulés. Mais, depuis la fin des années 1990, la philosophie profonde de cette régulation consistait à faire confiance aux banques pour se contrôler elles-mêmes. Les experts de la Bri, la Banque des règlements internationaux, le club des banquiers centraux, ont commencé à douter de leur choix quelques années avant le déclenchement de la crise. Le rapport annuel de l’institution avait signalé à plusieurs reprises la montée de risques incontrôlés de manière opaque dans la finance internationale et ses techniciens devaient déjà réfléchir à la meilleure façon de changer la donne. La panique de Lehman leur a ouvert la porte. Quelques semaines après, dès octobre 2008, ils ont été capables de mettre sur la table un vaste plan de réorganisation du contrôle bancaire1 qui présente l’essentiel des changements en cours, aujourd’hui organisés autour de trois priorités.
Plus de capital
Les banques devront désormais travailler à partir d’une base de fonds propres bien plus élevée qu’hier. Les banques n’aiment pas mettre trop de capital de côté car cela coûte cher, en dividendes à payer aux actionnaires ou en intérêts à verser aux investisseurs. Les obliger à mettre plus de capital de côté, c’est entamer leur rentabilité.
Les régulateurs vont pourtant demander aux banques de travailler avec plus de capital de plusieurs façons. La première en les forçant à faire plus de provisions dans les phases hautes du cycle, quand tout va bien, pour qu’elles disposent de plus de réserves qu’aujourd’hui quand la conjoncture se retourne. Les banques ont tendance à courir après le capital quand elles commencent à faire des pertes. L’idée est de leur demander de faire cet effort plus tôt.
Les banques les plus importantes, en taille ou de par l’importance de leurs connexions avec d’autres établissements financiers, seront également obligées de mettre plus de capital de côté du fait de leur nature systémique : leur difficulté microéconomique peut entraîner des difficultés pour l’ensemble du système. À ce titre, les banques centrales vont s’engager dans une révolution : la mise en œuvre d’une politique « macroprudentielle ».
Le principe consiste à définir une progression « normale » du crédit dans une économie, en fonction de son potentiel de croissance. Puis de repérer le moment où le crédit s’emballe et devient excessif au regard de cette norme, signe que les banques nourrissent la montée d’une bulle spéculative. L’étape suivante consiste alors à pointer les banques, mais aussi les gros fonds spéculatifs, etc., tous les établissements financiers importants qui participent à cette bulle et de leur imposer de mettre plus de capital de côté pour faire face à l’accroissement des risques qu’ils sont en train de prendre. Ce qui casse la rentabilité des crédits, les fait diminuer et tue la bulle avant qu’elle ne devienne importante.
Toutes les grandes crises financières importantes sont celles où les banques ont nourri les dérapages par une distribution inconsidérée de crédits. Une politique macroprudentielle limite sérieusement cette possibilité et représente un puissant antidote contre l’instabilité financière et le risque systémique.
Cette politique s’ajoutera aux politiques en cours, « microprudentielles », qui s’appuie sur un contrôle individuel des banques. Les banquiers centraux demandaient jusqu’à présent aux banques de respecter un ratio minimal de capital (fonds propres/crédits) de 8 %. Mais le ratio était calculé de telle façon que cela avantageait les banques : elles pouvaient mettre des titres hybrides (des titres d’emprunts, pas du vrai capital, dont la rémunération est indexée sur les profits) au numérateur et tous les prêts ne comptaient pas au dénominateur (ceux aux États, jugés sans risque, comptaient 0 %, ceux aux collectivités locales, 20 %, etc.). Dorénavant, les banques centrales vont également regarder de près un ratio plus strict : le vrai capital sur le total des prêts et une limite lui sera fixé. Comme l’a indiqué clairement Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la Banque centrale européenne (Bce), l’objectif d’un tel ratio est de « freiner la croissance excessive des bilans ». En clair, de rendre les banques moins grosses.
Plus de liquidité
Les banques disposent de ressources à court terme (dépôts et emprunts) et prêtent à moyen long terme, c’est l’essence de leur métier. Mais quand une panique survient, les financements de court terme se tarissent. Les régulateurs souhaitent désormais que, en longue période, elles diminuent leurs besoins de financements à court terme. Et que, au jour le jour, elles détiennent plus de bons du Trésor, des titres d’emprunt public, qui rapportent peu mais qu’elles pourraient échanger pour obtenir des financements. La Financial Services Authority (Fsa), le régulateur financier britannique, a d’ores et déjà annoncé que ce genre de politique serait mis en œuvre dès l’an prochain.
Plus de risque de mourir
La faillite de Lehman a engendré une panique telle que plus personne n’ose croire qu’un État ou une banque centrale laissera à l’avenir un établissement financier de cet ordre faire faillite. C’est comme si l’on offrait aux banques un chèque en blanc pour leurs futurs bêtises : les contribuables seront là pour payer.
Les Britanniques ont alors lancé l’idée récemment de demander aux banques d’écrire leur « testament », c’est-à-dire de mettre à plat dans un document leurs structures juridiques complexes – rappelons pour mémoire que ce que l’on appelait la banque Lehman Brothers était composée de près de 3 000 entités juridiques différentes. L’idée est de pouvoir facilement repérer les entités à risque et celles qui sont utiles à un financement sain de l’économie. Cela permettrait aux pouvoirs publics de calibrer leurs interventions pour sauver les parties utiles et de laisser mourir les autres, sans avoir à dépenser des sommes folles pour nationaliser ou quasi nationaliser de gros établissements2.
Maîtriser les spéculations hasardeuses
Si la régulation avance dans les autres domaines de la finance, au-delà des banques, le résultat des négociations en cours reste plus incertain sur les trois dossiers des fonds spéculatifs, du contrôle des marchés de produits dérivés, qui ont été au cœur de la crise, et des paradis fiscaux en tant que paradis réglementaires permettant des prises de risques en toute opacité.
Les fonds spéculatifs attendent leur régulation
Le fait que 10 % des fonds spéculatifs aient disparu durant la crise n’est sûrement pas étranger à l’atonie du débat politique américain sur le sujet. En Europe, un projet de directive a été proposé en avril mais il fait l’unanimité contre lui. Les partisans d’une forte régulation – dont la France – disent qu’en ne proposant de contrôler que les gestionnaires des fonds et pas les fonds eux-mêmes, il laisse la porte ouverte aux acteurs opaques installés en grande partie aux îles Caïmans. Les fonds installés à Londres crient au scandale du fait du pouvoir de régulation donné à la Commission. Une bataille d’influence s’est engagée dont on aura le résultat au plus tôt en juin 2010 quand le Conseil et le Parlement – le sujet appartient au domaine de la codécision – auront rendu leur avis.
Le contrôle des produits dérivés en débat
De la crise asiatique de 1997-1998 à la faillite de Lehman Brothers, en passant par la quasi-faillite du fonds spéculatif américain Ltcm en 1998 et l’affaire Kerviel, les produits dérivés sont de tous les mauvais coups de la finance. Inventés pour se protéger des variations des taux d’intérêt, des taux de change, des prix du pétrole, etc., ils sont rapidement devenus des instruments de spéculation opaque. D’une part, parce qu’ils font jouer à plein l’effet de levier, la possibilité de parier gros en mettant juste un peu d’argent sur le tapis. D’autre part, parce que l’essentiel du marché est organisé de gré à gré, c’est-à-dire selon des conditions particulières définies par les acteurs eux-mêmes et très peu contrôlées.
Le G20 veut mettre fin à tout cela. Il réclame que les transactions de produits dérivés passent par des « chambres de compensation », des institutions organisées par les acteurs privés pour enregistrer les transactions, établir quotidiennement les positions nettes des acteurs financiers (ce qu’ils achètent moins ce qu’ils vendent) et se porter garant des transactions quand l’un d’entre eux fait faillite ou ne peut payer les autres, grâce à l’argent qu’elles demandent à tous les joueurs de déposer en garantie. Cela permet de mieux voir qui prend des risques, à quelle hauteur, et d’organiser une surveillance des positions de chacun, la chambre réclamant à ceux dont les risques grimpent de mettre plus d’argent sur la table pour avoir le droit de continuer à jouer. Les régulateurs doivent alors surveiller que les chambres de compensation ont assez de capital pour faire face aux problèmes éventuels de l’un des protagonistes.
Les États-Unis sont plutôt partisans de développer une grosse chambre de compensation mondiale unique. Garry Gensler, l’un des régulateurs américains, l’a répété devant la Chambre des représentants début octobre : dès qu’un contrat sur un produit dérivé implique un acteur américain situé aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, il veut le savoir. De plus, les acteurs privés américains sont plus avancés dans le domaine… La Bce préfère de son côté des chambres régionales car elle veut pouvoir contrôler les transactions en euros. En effet, que se passerait-il avec une grosse chambre de compensation américaine par laquelle passerait l’essentiel de ce genre d’activités si une transaction en euros impliquant des acteurs européens tournait mal pour l’un des acteurs européens ? La chambre mettrait elle autant d’enthousiasme à mobiliser ses réserves que si les acteurs étaient américains ?
Une avancée contre les paradis réglementaires
Le rôle des paradis fiscaux comme promoteurs de l’instabilité financière internationale a été largement sous-estimé. Pourtant, les éléments d’analyse ne manquent pas3.
Un rapport du Gao, l’équivalent de la Cour des comptes aux États-Unis, montre qu’une partie du système bancaire fantôme établi par les financiers américains pour développer les actifs toxiques l’a été aux îles Caïmans. Les déboires de la banque britannique Northern Rock sont dus à un excès d’endettement à court terme dissimulé dans sa filiale Granite, enregistrée à Jersey. L’Islande se retrouve endettée sur plusieurs générations pour rembourser les prêts qui lui permettent de dédommager les clients britanniques et hollandais des filiales de ses banques installées à Guernesey (Landsbanki) et sur l’île de Man (Kaupthing). Le rôle de la Suisse et du Luxembourg dans le scandale Madoff et celui d’Antigua dans le scandale Allen Stanford ont été mis en évidence. Et sans oublier l’anecdote qui veut que la crise débute officiellement en août 2007 lorsque Bnp Paribas ferme trois de ses fonds dont le premier, Parvest, est de droit luxembourgeois…
Le G20 avait mentionné son intention de s’attaquer au problème : ce devrait être fait lors d’une rencontre des ministres des Finances du G20 début novembre. Le Conseil de stabilité financière devrait proposer une liste noire et une liste grise de paradis réglementaires. Un ensemble de sanctions seront proposées pour les territoires récalcitrants. Cela représente assurément une bonne nouvelle dans la lutte contre les paradis fiscaux. Mais il ne faut pas oublier en la matière que le Royaume-Uni ou que certains États des États-Unis offrent des services de même nature et qu’il y a peu de chance pour qu’on les retrouve sur la liste…
Vers une gouvernance financière mondiale
Enfin, la volonté régulatrice des États s’exprime par le fait qu’ils sont en train de mettre en place des institutions pérennes de contrôle de la finance mondialisée.
Au sommet, on trouve le Financial Stability Board (Fsb), ou Conseil de stabilité financière. Regroupant banquiers centraux, ministres des Finances et régulateurs financiers de tout acabit, c’est le lieu de formation du consensus international des régulateurs financiers. « Le rôle du Fsb sera de construire une doctrine commune des grandes banques centrales en matière de politique macroprudentielle, telle que le principe en est affirmé par le G20 », affirme Michel Aglietta. Il « est devenu le principal think tank » en la matière confirme Lord Eatwell, président du Lodge Queens’ College de l’université de Cambridge et l’un des meilleurs spécialistes britanniques de la régulation financière4. Le Fsb est aidé techniquement par les experts de la Bri, véritables maîtres d’œuvre de la définition du cadre réglementaire bancaire, et influents techniciens sur les autres sujets. Ils veulent par exemple développer le rôle des collèges internationaux de superviseurs qui suivent ensemble des banques présentes dans de nombreux pays.
Au niveau du dessous, c’est plus compliqué. Le président Obama voulait donner tous les pouvoirs de la régulation financière à la Fed, la banque centrale. Mais devant l’opposition du Congrès, qui reproche à celle-ci de ne pas avoir agi avant la crise, un nouveau conseil de stabilité financière regroupant les différents régulateurs américains sera créé.
En Europe, une institution équivalente a été mise en place, un Conseil européen du risque systémique (Cers), dominé par les banques centrales, en charge de surveiller dès 2010 les risques qui pèsent sur la stabilité du système financier européen dans son ensemble (politique macroprudentielle). À ses côtés, un Système européen de surveillance financière (Sesf) contrôle les établissements financiers (politique microprudentielle) en coordonnant un réseau de superviseurs nationaux en coopération avec trois nouvelles entités européennes de contrôle des banques, des assurances et des bourses. Certaines banques centrales, comme la Bundesbank en Allemagne, en ont profité pour voir leur rôle de régulateur financier accru. La Banque de Belgique devrait suivre.
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Il est de bon ton, chez les éditorialistes de droite comme de gauche, de dire que le G20 n’a rien fait. Qu’il n’est qu’un « G vain » où plastronnent les chefs d’État. Quand on se donne la peine de mettre les mains dans le cambouis de ses décisions techniques, le regard change. Des institutions de contrôle de la finance ont été créées ou renforcées. Des politiques concrètes ont été définies. Les banques y croient tellement qu’elles changent déjà leur comportement pour s’adapter aux nouvelles contraintes à venir.
Tout n’avance pas au même rythme, certains dossiers finiront peut-être sur une étagère poussiéreuse mais, aujourd’hui, tout avance. Après la panique de 1929, il avait fallu cinq ans aux seuls États-Unis pour mettre en œuvre concrètement leur nouvelle politique de régulation financière. Il a fallu beaucoup moins de temps à l’ensemble des pays du G20 pour réagir, ensemble, après la panique de Lehman. Il faudra attendre encore de longs mois pour faire le bilan définitif de toutes ces initiatives. Mais le message paraît clair : l’heure de la régulation a sonné.
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Rédacteur en chef adjoint d’Alternatives économiques et rédacteur en chef de L’Économie politique.
- 1.
Voir http://www.fsforum.org/press/pr_081009f.pdf
- 2.
Pour une analyse plus détaillée de la volonté des États de ne pas avoir à trop payer pour sauver des systèmes bancaires aux abois, voir le gros dossier consacré à l’avenir de la régulation financière par Alternatives économiques, n° 285, novembre 2009.
- 3.
Voir Ronen Palan, Richard Murphy et Christian Chavagneux, Tax Haven: How Globalization Really Works, Cornell University Press, à paraître.
- 4.
Voir leur contribution respective dans le dossier « Quelle finance après le G20 ? », L’Économie politique, n° 42, avril 2009. Pour une approche plus critique, voir André Orléan, « Il faut revenir sur la primauté absolue accordée à la liquidité financière », L’Économie politique, n° 43, juillet 2009.