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« Salles de shoot » : la remise en cause d'une expérimentation ?

décembre 2013

#Divers

Dès sa mise en place en juin 2012, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault s’est déclaré favorable à l’expérimentation d’un nouveau dispositif de réduction des risques en matière de toxicomanie : des salles de consommation à moindre risque (Scmr). Il s’agit de lieux où les usagers de drogue se rendent avec leur produit pour le consommer sous contrôle d’un personnel sanitaire susceptible de dispenser des conseils et de distribuer des matériels stériles ; ces dispositifs existent dans neuf pays, où plus de quatre-vingt-dix salles se sont ouvertes.

Plusieurs villes de couleurs politiques différentes avaient participé à l’étude lancée par la mairie de Paris pour apprécier les résultats de ces dispositifs dans d’autres pays et leur évaluation positive par l’Inserm ; seule cependant la ville de Paris a formalisé sa candidature pour favoriser l’ouverture d’une structure associative de Scmr.

L’avis du Conseil d’État

Afin de donner une base juridique au dispositif, l’État a envisagé un décret autorisant l’expérimentation et son évaluation en application de la loi de 2004 sur la réduction des risques liés aux consommations de drogue. Ce décret a fait l’objet de deux consultations à l’initiative du gouvernement, celle de la Haute Autorité de Santé et celle du Conseil d’État. Ce dernier a rendu en octobre dernier un avis négatif, considérant la base juridique de la loi de 2004 insuffisante face à l’interdiction pénale de consommation de tels produits telle qu’établie par la loi de 1970. Le Conseil d’État souligne la fragilité de la construction juridique envisagée et ainsi le risque de recours positif contre le projet.

L’avis du Conseil ne dit rien sur l’intérêt des Scmr et n’introduit aucun élément juridique nouveau. Il rappelle de fait l’obsolescence de la loi de 1970 et la nécessité de mieux sécuriser les dispositifs de réduction des risques ; le lien entre un dispositif de consommation à moindre risque et une limitation effective des consommations est apparu trop ténu pour être acceptable dans un cadre juridique pénalisant toute consommation de produits interdits. La présence acceptée de produits dans la salle « pénalise » de facto le lieu.

L’obstacle juridique est-il contournable ? L’État a décidé de suivre l’avis du Conseil et de réfléchir à un projet de loi autorisant expressément des expérimentations de Scmr pour des durées limitées accompagnées d’un dispositif d’évaluation. Cette voie logique n’est pas dénuée d’obstacles juridiques et politiques, et son horizon est à ce jour incertain, en dépit du volontarisme affiché. Le projet actuel, s’il n’est pas remis en cause dans ses principes, est tout au moins ajourné sine die.

La nécessaire recherche du consensus

La voie de l’expérimentation législative s’inscrit dans une démarche déjà engagée dans d’autres domaines, mais qui ne connaissaient pas d’obstacle pénal. Le Conseil d’État semble encourager cette solution, ce qui est un gage de sa faisabilité juridique. Cependant les opposants ne seront sans doute pas séduits par l’expérimentation, leur opposition relevant de l’idéologie ou de la démarche Nimby (Not In My Back Yard), et l’on peut donc prévoir des recours juridiques à tous les stades de la procédure. Plus que jamais, une avancée positive repose sur un consensus minimum, et sans doute sur la volonté de plusieurs élus locaux de bords différents d’expérimenter ; le climat politique général rend incertaine cette hypothèse, mais nécessiterait en tout cas que des acteurs susceptibles d’ouvrir une telle structure engagent une action de conviction auprès d’élus locaux… après les élections municipales.

Un enrichissement de la réflexion juridique pourrait être utile ; fonder l’ouverture de Scmr sur le « droit à la vie » pourrait consolider la démarche en offrant une base juridique aussi solide qu’est par ailleurs l’interdiction de consommation de produits stupéfiants. Un recours d’une association d’usagers de drogue serait à cet égard intéressant à envisager.

D’autres dispositifs peuvent-ils être fragilisés par l’avis du Conseil d’État ? La réduction des risques ne peut s’inscrire que dans le cadre de l’interdiction pénale, mais les structures d’accueil actuelles des usagers ont une base légale et les actions de réduction des risques sont clairement encadrées par les textes. Il est peu probable que des tentatives de déstabilisation nouvelles se produisent ; mais rappelons que de multiples recours ont été tentés au fil des ans par des associations locales contre toutes les structures accueillant des consommateurs de drogue.

Le débat n’est bien sûr pas seulement juridique et les oppositions sont fortes ; il est donc nécessaire, parallèlement au travail législatif, de gagner du terrain dans l’opinion en replaçant chaque fois que possible la lutte contre la toxicomanie dans un cadre sanitaire. À cet égard, la validation par des instances extérieures des actions existantes est utile ; or souvent en France elles sont peu documentées, la réalisation des projets valant résultat. Un effort dans cette direction et la diffusion large des expertises peuvent contribuer à éclairer les débats.

  • 1.

    Cet article fait suite au texte de Dominique Demangel publié dans Esprit en juillet 2013, « Drogues, comment changer de politique ? ».