
Néolibéralisme versus libéralisme ?
On considère souvent le néolibéralisme comme une suite du libéralisme ou une de ses variantes. Or, si l’on considère leurs origines intellectuelles, leur représentation de l’individu, la place qu’ils réservent à l’État et leur conception de la rationalité, il faut reconnaître qu’il s’agit plutôt de deux courants de pensée différents, voire opposés ou antagonistes.
« Ce que je voudrais vous montrer, c’est que le néolibéralisme est tout de même quelque chose d’autre. »
Michel Foucault, Naissance de la biopolitique.
« Le “laisser-faire”, c’est fini. »
Nicolas Sarkozy, discours de Toulon, 24 septembre 2008.
Vingt-cinq années de politiques néolibérales ont peut-être masqué le fait que, dans le même temps, le libéralisme est devenu un lieu de conflictualité. Dans le débat politique, il intervient le plus souvent comme l’un des termes d’une alternative : libéralisme contre communautarisme, libéraux contre républicains. Quel que soit leur intérêt, ces controverses ont sans doute contribué à donner une image faussement homogène du libéralisme. La distinction entre libéralisme politique et libéralisme économique (le plus souvent au bénéfice du premier) atteste mieux d’une certaine complexité interne à cette doctrine, mais elle est généralement assez vague et imprécise. Or, des conflits sourdent de l’intérieur du libéralisme lui-même.
Il faut dire que le terme « libéral » se trouve le plus souvent investi dans des stratégies. De ce fait, il s’apparente à un signifiant flottant dont il paraît impossible de fixer le sens. Le seul point commun à la plupart des usages de la notion est leur caractère polémique et négatif : être liberal aux États-Unis, c’est s’approcher dangereusement du gauchisme. En France, le terme n’est presque jamais revendiqué par la droite. Faut-il, pour autant, abandonner le terme à sa polysémie ? Le premier mérite des cours prononcés par Michel Foucault au Collège de France à la fin des années 1970 est d’avoir restitué sa cohérence au concept de libéralisme, tout en montrant comment ce courant de pensée s’est développé en doctrines distinctes et parfois adverses.
Du côté de la cohérence, on peut appeler « raison libérale » celle qui insiste sur la nécessité d’un « moindre gouvernement1 ». Le paradoxe de la gouvernementalité libérale consiste à conduire les hommes depuis leur liberté, ce qui implique de réduire le champ d’action du pouvoir politique (les « disciplines ») et de transférer à l’individu lui-même la charge de se diriger. Pour présenter les choses un peu différemment, on peut appeler « libérale » au sens générique du terme toute doctrine politique qui repose sur la conviction que les obstacles à la liberté sont nécessairement extérieurs à elle. Dès lors, les entraves à la liberté sont interprétées comme des perturbations venues du dehors, principalement du pouvoir exécutif. Incursion arbitraire du souverain dans la sphère privée ou fixation autoritaire des prix, ces mesures apparaissent comme une limitation des libertés individuelles que rien n’autorise. C’est pourquoi la politique libérale est par principe minimale et négative : il s’agit de faire obstacle à ce qui fait obstacle à la liberté.
Sur ce fonds commun au libéralisme, Foucault a néanmoins insisté sur la diversité des doctrines. Sa grande originalité est de ne pas placer le curseur sur le « plus » ou le « moins » de liberté accordée aux individus ou sur l’étendue des bornes imposées à l’action de l’État. Le critère n’est même pas celui, tant de fois invoqué, de la régulation qu’il convient d’imposer à l’ordre spontané du marché. Un tel critère ne permet de distinguer, à l’intérieur du libéralisme, qu’entre les « modérés » et les « ultras », en fonction de la part d’interventionnisme étatique jugée compatible avec une économie libre. Or, comme on aura l’occasion de le vérifier, le concept d’intervention est extraordinairement équivoque, au moins aussi longtemps que l’on ne précise pas les buts de celle-ci, qui peuvent aller d’une limitation du marché à sa promotion, par les instruments de l’État, à la société entière. Lorsqu’on lit que le marché est « une idéologie totalitaire inventée pour gouverner le xxie siècle » qui a « diabolisé l’État […] en mettant le marché souverain en position de dominer tout le reste », on ne s’attend peut-être pas à ce que le signataire de ces lignes soit Giulio Tremonti, redevenu récemment ministre des Finances de Silvio Berlusconi2.
D’où l’intérêt de la distinction proposée par Foucault entre libéralisme classique et néolibéralisme. Le premier renvoie à la tradition ouverte par Locke et qui culminera avec Kant : celle qui repose sur la promotion de l’État de droit et la limitation de son action selon des principes juridiques intangibles. En un sens, cette tradition n’est pas exclusive du libéralisme économique d’un Adam Smith, et de la théorie du « laisser-faire » qui reconnaît une autonomie au marché. Le néolibéralisme, lui, ne prône pas simplement l’indépendance du marché, mais l’extension du modèle économique à l’ensemble des sphères de l’interaction sociale. Trouvant son origine dans l’utilitarisme de Bentham, dont il condamne néanmoins les tendances socialisantes, il se déploie surtout dans les théories de Hayek et de von Mises, ainsi que dans l’ordolibéralisme de l’école de Fribourg3. Le néolibéralisme ne désigne plus seulement une gouvernementalité fondée sur la liberté des individus, il est un « art de gouverner à la rationalité des gouvernés eux-mêmes4 ». Cette rationalité immanente n’est jamais que celle du calcul.
Autant le libéralisme classique insiste sur l’individu comme sujet de droit, attributaire de prestations et principe de la valeur, autant le néolibéralisme se réclame d’une anthropologie artificialiste, fondée sur l’individu comme sujet de plaisir et d’intérêt, amalgamant le droit et l’économie. Pour des raisons qui tiennent à sa méfiance à l’égard du modèle juridique du pouvoir, Foucault n’a pas opposé systématiquement ce qu’il appelle la « voie juridico-déductive et axiomatique » du libéralisme à la voie utilitariste et néolibérale. Il insiste beaucoup plus sur la différence entre la doctrine traditionnelle du « laisser-faire » et celle, néolibérale, de la promotion de la concurrence, y compris par l’action de l’État. Pour autant, il est possible d’envisager l’hypothèse selon laquelle le néolibéralisme contemporain se distingue, et même contredit sur certains points, le libéralisme classique.
Après d’autres5, cet article voudrait développer quelques hypothèses qui vont dans le sens d’une opposition (et non d’une simple distinction) entre libéralisme et néolibéralisme. Qu’il s’agisse de la théorie de l’action, du statut de l’État ou du type de rationalité promu dans chacune de ces doctrines, il est possible de mettre en scène un conflit entre les tenants du libéralisme juridique et la théorie de l’homo œconomicus. Mais cette opposition n’est en aucun cas une alternative soumise au principe du tiers exclu. Dire qu’une critique libérale du néolibéralisme est possible n’implique nullement que cette critique soit la seule, ni même qu’elle soit la plus pertinente. On tâchera, d’ailleurs, d’indiquer le point où critique libérale et critiques antilibérales du néolibéralisme se séparent. Il s’agit plutôt d’un essai de clarification relatif au concept de libéralisme tant de fois invoqué sans nuances. Peut-être aussi d’une tentative pour mettre à l’épreuve la prétention de certains penseurs néolibéraux qui se réclament du libéralisme classique, alors que leurs doctrines dénaturent ses principes.
Les formes de l’action : « sujet de droit » et « sujet d’intérêt »
On s’interdit toute intelligence du néolibéralisme tant que l’on ne mesure pas l’importance du lien qu’il établit entre l’idée de liberté et le postulat de l’ignorance. Hayek formule ce lien de la manière la plus claire : « Toutes les institutions de liberté sont des adaptations à ce fait fondamental de l’ignorance ; elles sont faites pour affronter les hasards6. » Il n’y aurait aucun sens à parler de liberté dans un monde où chaque action serait prévisible dans le moindre de ses effets et où tout serait déterminé selon des lois inflexibles. Cela, un libéral traditionnel peut l’admettre : l’antinomie entre liberté et déterminisme naturel est un élément central de pensée kantienne, régulièrement cité par Hayek. En revanche, l’idée selon laquelle les « institutions de liberté » (parmi lesquelles il faut d’abord entendre le marché) sont forgées pour répondre à l’ignorance qui entoure l’action humaine est proprement néolibérale. Elle suggère que la liberté est une réalité instituée (et non naturelle ou inhérente à l’homme), et qu’elle doit l’être selon des règles qui permettent de maîtriser l’incertitude liée au contexte de nos actes.
L’homme du néolibéralisme est entouré d’invisible : il ne connaît ni les conséquences, ni les conditions de son action. Sur quoi fonder, alors, une maîtrise ? Foucault a montré que, dans une perspective de ce genre, seuls les intérêts sont les « phénomènes de la politique », par opposition aux choses en soi inconnaissables que sont les individus ou les valeurs7. Si nous sommes dans l’ignorance des ressorts secrets de l’action, nous pouvons en revanche affirmer que l’individu cherche en toute occasion à maximiser son profit et à diminuer sa peine. Il serait donc absurde d’assigner à l’action des hommes un but commun, et de soumettre ainsi les libertés à une fin qui irait au-delà de ce qui est donné comme phénomène, c’est-à-dire la recherche généralisée de l’intérêt. On dispose ainsi de la prémisse qui justifie la promotion du comportement économique au rang de modèle : « Dans l’ordre du marché chacun est conduit, par le gain qui lui est visible, à servir des besoins qui lui sont invisibles8. » Le marché est l’unique lieu d’articulation rationnel entre le pôle de certitude de l’action (son origine dans la recherche de l’intérêt) et l’ignorance où nous nous trouvons des conséquences de cette action.
C’est pourquoi il ne suffit pas de disqualifier l’homme néolibéral en le renvoyant à son égoïsme. Peu importe que le but de l’action soit égoïste ou non : un individu peut trouver une satisfaction personnelle dans la générosité. L’essentiel est que l’intérêt désigne le principe irréductible et intransmissible du choix. Hume avait montré que les hommes se soumettent à un contrat parce qu’ils ont un intérêt à le faire, et non par mystique de l’obéissance. L’intérêt que l’on trouve à respecter ses engagements est tout économique : il repose uniquement sur les avantages que l’on escompte retirer du commerce9. On vérifie sur cet exemple tout l’espace qui sépare le « sujet de droit » propre au libéralisme classique du « sujet d’intérêt » néolibéral10. Alors que l’homo juridicus accepte de renoncer à la part de sa liberté qui coïncide avec l’arbitraire, l’homo œconomicus n’est pas astreint à un tel sacrifice.
Selon ses promoteurs, la notion d’intérêt est la condition pour construire une science réaliste de l’action humaine. Comme toute action au sens physique, celle-ci est une production d’effets, un événement dans le monde. Sa seule spécificité réside dans la recherche de l’intérêt propre, et c’est elle encore qui fonde la possibilité d’une connaissance de l’homme. Ludwig von Mises est le penseur néolibéral qui a formalisé le plus clairement cette théorie de l’action d’un nouveau genre et il en a retiré la principale conséquence : le modèle d’une action orientée par la recherche de l’intérêt ne peut être qu’économique. Dès lors, l’économie (ce que Mises appelle la « praxéologie ») ne désigne plus une discipline régionale de l’activité humaine, elle est « la philosophie de l’action et de la vie humaine, et elle concerne tout et tout le monde. C’est le nerf de la civilisation et de l’existence humaine de l’homme11 ».
Dire que tout comportement est intrinsèquement économique, c’est ne retenir que la dimension rationnelle (c’est-à-dire prévisible) de ce que les hommes font. Même entourée d’ignorance, « chaque action est motivée par le désir d’éliminer une gêne ressentie12 ». Il se peut fort bien que cette « gêne » soit de nature morale, en sorte qu’une action altruiste ne s’explique nullement par l’absence d’intérêt. Pour paraphraser Bourdieu, qui n’est peut-être pas aussi éloigné de telles prémisses qu’on le croit, l’action « gratuite » n’est que la marque d’un intérêt pris au désintéressement. L’utilité est un mobile pour l’élimination d’une gêne ressentie : obtenir un profit est le but invariable de tout engagement individuel dans le monde.
Il faut prendre la mesure de ce qu’une telle conception de l’action implique quant à sa rationalité intrinsèque. Dans l’anthropologie néolibérale, toute action est rationnelle en droit puisqu’elle répond à la recherche d’une seule fin ultime : la satisfaction des désirs. La distinction entre le rationnel et le raisonnable disparaît, alors même qu’elle structure le contractualisme libéral d’un Locke ou d’un Kant pour qui le passage à la société civile implique un choix moral qui peut sembler contredire l’intérêt immédiat de l’individu. On ne trouve rien de tel dans le néolibéralisme où la distinction entre le calcul et la raison s’estompe. De là aussi la promotion du concept de responsabilité individuelle : si l’individu n’est pas maître du résultat de ses actions, il est en revanche toujours responsable de ses raisonnements, puisqu’il raisonne toujours. Le comportement apparemment irrationnel d’un « meurtrier » ou d’un « névrosé » demeure une action imputable : tous deux visent certaines fins orientées par leur intérêt, même mal compris13.
Au sens strict, les hommes ne recherchent pas à s’accaparer des biens, mais les services qu’ils peuvent leur rendre. Si la motivation demeure l’accroissement du bien-être, elle ne peut trouver à se satisfaire que dans un système de l’échange généralisé où l’interdépendance naît mécaniquement de la quête solitaire de l’intérêt. Si l’on couple ce motif de l’action avec l’incertitude de l’avenir, on en vient tout naturellement à considérer la spéculation comme le modèle du raisonnement humain :
la nécessité d’adapter ses actions aux actions des autres fait de l’individu un spéculateur pour qui la réussite ou l’échec dépendent de sa plus ou moins grande aptitude à comprendre l’avenir. Chaque action est spéculation14.
Le sujet devient moins responsable de ses actes que de la rectitude de ses raisonnements. De là, les théories bien connues du « capital humain » qui assimilent les facultés subjectives à des biens. Dans la conception de l’homo œconomicus, le capital perd sa dimension matérielle, ce qui explique aussi la consonance entre le néolibéralisme et le capitalisme cognitif. La subjectivation du capital est achevée chez Mises où il ne désigne plus qu’« un produit du raisonnement, sa place est dans l’esprit humain15 ». Toutes les capacités d’un individu sont considérées comme des ressources rares que l’on peut, ou non, allouer à des fins alternatives. Les dispositions corporelles et intellectuelles, les connaissances acquises, la santé et même les compétences affectives peuvent alors être mises au service d’une action et intégrées à un raisonnement optimal. Le thème de l’individu « entrepreneur de lui-même » trouve sa source dans cette extension du capital à la subjectivité conçue comme un tout.
On comprend alors selon quelle logique le néolibéralisme résorbe le différend entre les conduites morales et les comportements économiques. Là où Adam Smith maintenait ouverte une brèche entre les critères de la morale individuelle (Théorie des sentiments moraux) et les normes de l’action intéressée (Richesse des nations), le néolibéralisme analyse la sphère entière des motivations en termes de calcul des coûts et d’anticipation des bénéfices.
Le citoyen néolibéral type est celui qui choisit stratégiquement, pour lui-même, entre les différentes options sociales, politiques et économiques ; non celui qui œuvre avec d’autres à modifier ou à rendre possibles ces options16.
En effet, cette théorie de l’action individuelle n’est pas sans conséquences politiques. La généralisation du modèle économique est, selon Foucault, « ce par quoi l’individu va devenir gouvernable17 ». Il reste donc à comprendre comment la promotion de l’homo œconomicus commande une vision de l’État et du droit qui aggrave encore le contentieux entre le libéralisme classique et le néolibéralisme.
L’interventionnisme néolibéral et la privatisation de l’État
À la suite de Foucault, on distingue souvent les politiques néolibérales du « laisser-faire » des économistes du xviiie siècle. En un sens, le néolibéralisme est plus interventionniste que le libéralisme classique puisque 1) il ne repose pas sur une anthropologie naturaliste, mais sur une conception où l’individu doit être institué comme entrepreneur de lui-même et 2) le marché lui-même perd son évidence de donnée naturelle pour devenir à son tour une institution que l’État doit promouvoir. Le néolibéralisme contemporain est une théorie pour temps de crise : il est né à la fin des années 1930, alors que la doctrine du « laisser-faire » se voyait presque universellement rejetée, que ce soit par les communistes, les fascistes, les conservateurs nostalgiques des corporations et tous les partisans du planisme18. De ce point de vue, le néolibéralisme est bien plus qu’une idéologie émanant d’un état du système de production, c’est une doctrine politique destinée à la « fondation légitimante de l’État sur l’exercice garanti d’une liberté économique19 ».
Il ne suffit pas de dire que le néolibéralisme est un étatisme ou qu’il est par nature « interventionniste ». La nouveauté historique réside surtout dans le fait que les néolibéraux n’entretiennent pas le même rapport à l’État que leurs prédécesseurs. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les « ordolibéraux » de l’École de Fribourg, revenant pour la plupart d’émigration, se sont attelés à la fabrication d’un État (la République fédérale d’Allemagne). Les finalités d’une telle construction étaient inscrites dans les tragédies de la période national-socialiste qui sont toutes interprétées comme des conséquences de l’interventionnisme de l’État hitlérien. Cela est vrai aussi, dans une moindre mesure, des néolibéraux américains qui n’ont pas eu à ferrailler contre l’absolutisme royal ou républicain, seulement contre le New Deal. Si les libéraux pensaient sur la base d’un État déjà existant, les néolibéraux se perçoivent spontanément comme des fondateurs d’États, leur originalité consistant à envisager ce fondement comme purement économique. C’est dans ces doctrines qu’est énoncée pour la première fois l’idée, que l’on retrouvera plus tard même à l’extrême gauche, selon laquelle remplir un formulaire de sécurité sociale n’est pas un acte spécifiquement distinct de la soumission à un pouvoir totalitaire. Comment une telle « phobie d’État » (Foucault) peut-elle mener à la promotion de l’interventionnisme ?
Le paradoxe se dissout si l’on admet le primat de la concurrence sur le « laisser-faire ». Alors que le second a démontré historiquement ses limites (en n’empêchant pas la constitution de monopoles), la première tend à s’identifier à la démocratie en se substituant aux institutions publiques20. Ici encore, il faut partir du voile d’ignorance qui entoure la plupart de nos actions. Négativement, cette finitude implique le rejet du planisme et, plus largement, des politiques publiques accordées à l’impératif de justice sociale. Pour Hayek, le marché est un ordre complexe, mais régulier, qui ne résulte d’aucune intention consciente. Il est donc absurde de s’adresser à lui comme à une personne, par exemple en énonçant une plainte relativement à la manière dont il répartit les richesses. Partant du postulat selon lequel seule une action volontaire peut être juste ou injuste, le néolibéralisme en déduit qu’une situation sociale ne l’est jamais puisqu’elle ne résulte pas d’une intention, mais de l’ordre spontané des échanges21.
En conséquence, il faut rompre avec les conceptions « constructivistes » de l’État social qui font de ce dernier le résultat d’une convention finalisée par la recherche d’un bien. Alors que, dans le libéralisme classique, le contrat social est un moment de constitution de l’ordre politique, il n’est plus qu’un rapport d’échange dans le néolibéralisme. L’origine du social ne réside plus dans la réunion des volontés, mais dans la rencontre des intérêts. Certes, les hommes font la société et, en ce sens, le néolibéralisme demeure un individualisme. Mais, au sens strict, ils ne savent pas ce qu’ils font tant les interactions sont nombreuses et l’ordre social complexe22.
Dans cette ligne, Hayek ne cesse de dénoncer l’« illusion synoptique » qu’il perçoit aussi bien dans le socialisme que dans le contractualisme classique. L’État n’est pas plus habilité que l’individu à porter un regard de surplomb sur la société : il doit donc abandonner sa prétention à fixer un but à la vie en commun. Comme l’écrivait déjà Bentham, « le législateur n’est pas le maître du cœur humain, il n’est que leur interprète et leur ministre ». Il doit se mettre au service des individus privés, ou plutôt de ce que nous en connaissons, c’est-à-dire de leurs intérêts. Il ne faut pas chercher ailleurs les bases de l’interventionnisme concurrentiel propre au néolibéralisme. La concurrence est l’unique comportement rationnel en contexte d’incertitude : elle incite les individus à un mimétisme de la performance parfaitement traductible en termes d’investissements. L’intervention arbitraire de l’État dans le jeu de la concurrence (sous la forme de la fixation des prix) n’est pas condamnable politiquement, elle l’est scientifiquement puisqu’elle introduit de l’incertitude dans le seul mécanisme rationnel de l’interaction.
L’État doit donc s’abstenir de fixer des buts communs ou de contribuer à la justice sociale, mais cette abstention est au principe d’une nouvelle forme d’activisme. En effet, la puissance publique doit faire en sorte que le « laisser-faire » ne se transforme pas en nouvelle contrainte pour les entrepreneurs. Son but est donc de centraliser l’information économique et de la diffuser socialement de manière à ce que chaque individu puisse en faire usage. Dans cette grande mer d’incertitudes qu’est l’interaction sociale, le marché produit par lui seul un élément d’information capital : les prix. Ceux-ci ne désignent ni la valeur réelle d’une marchandise, ni le temps de travail cristallisé en elle, ils sont des signaux à valeur incitative. Le prix d’une chose encourage ou décourage l’investissement. Il est finalement le principal objet d’un savoir collectif dans un monde concurrentiel et incertain – en ce sens, il est toujours le juste prix23.
Le coup de force du néolibéralisme, ce par quoi il se distingue peut-être le plus nettement du libéralisme, consiste à assimiler le droit au type d’informations délivrées par les prix. Le droit perd alors toute dimension substantielle : il ne porte ni sur une hypothétique « nature humaine », ni sur les horizons normatifs que peut se fixer une communauté politique. Le droit n’est qu’une information à usage privé, nécessaire pour que l’individu puisse accorder la recherche de son intérêt aux conditions sociales de l’action et à l’état du marché.
Certes, toute forme de libéralisme se caractérise par une promotion du droit privé par rapport au droit public. Comme l’a montré Macpherson24, l’individu libéral est d’abord propriétaire de lui-même et, par là, en mesure de s’approprier les objets par son travail. La source du droit se trouve donc dans le droit privé qui trace une limite à la législation de l’État. Mais, là où le libéralisme classique se contente de limiter le champ d’action de l’exécutif en le formalisant (une loi ne vaut qu’à la condition d’être publiée et universelle dans son application), le néolibéralisme privatise le droit public. L’État doit s’astreindre aux mêmes règles et aux mêmes procédures que l’individu. Son activité législative est subordonnée à la logique du droit privé : substitution des contrats à la loi et valorisation de la concurrence25.
Il y a finalement la même différence entre le libéralisme et le néolibéralisme qu’entre la promotion du juridique et l’inflation du judiciaire. Si, de fait, l’État doit être considéré comme un acteur privé, à parité avec les citoyens, il devient un justiciable comme les autres. Une telle conception mène inévitablement à la multiplication des instances judiciaires chargées de contrôler la légalité des actions de l’État. Mais quel est le critère de cette légalité ? Formellement, il ne peut s’agir, comme dans le libéralisme, que du respect de la liberté des agents. Mais nous avons vu que les néolibéraux ne voient cette liberté à l’œuvre que dans les comportements économiques. En sorte que le critère de la légalité n’est plus politique, et que le pouvoir législatif perd le primat qu’il possédait dans presque toutes les théories libérales. L’ordre auquel l’État doit soumettre sa propre action est la seule forme d’organisation compatible avec la libre recherche des intérêts individuels : la « catallaxie » ou organisation interne du marché. Le droit privé n’est plus seulement une limite au droit public, il devient son modèle.
À la faveur du concept d’« État de droit », on pourrait croire qu’il n’existe qu’une seule conception libérale de l’État : celle qui promeut les droits subjectifs, la séparation des pouvoirs et le principe de limitation constitutionnelle. C’est sur cette base qu’en France se sont édifiées les polémiques entre libéralisme et républicanisme, le second accordant un primat à la souveraineté du peuple incarnée dans la loi. Mais le « droit » de l’État de droit d’un Hayek n’a que peu à voir avec celui de Locke, de Montesquieu ou de Kant puisqu’il devient une sorte d’annexe du système des prix à l’œuvre sur le marché. Il doit seulement permettre aux individus d’évaluer les risques inhérents à leurs entreprises. Il perd ainsi la fonction contestatrice généralement associée aux « droits de l’homme26 ».
Les critiques anthropologiques
Le libéralisme et le néolibéralisme s’opposent sur des points aussi fondamentaux que la théorie de l’action et celle de l’État. Que pourrait être, alors, une critique libérale du néolibéralisme ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord envisager une autre modalité de la critique du néolibéralisme, génériquement distincte de celle que nous présenterons plus loin. Le néolibéralisme se fonde sur une anthropologie axée sur le concept d’intérêt et sur le primat de la concurrence. On peut donc tout naturellement penser qu’une contestation de ces prémisses doit se situer sur le même plan qu’elles et que c’est l’anthropologie néolibérale qu’il faut remettre en cause.
Les critiques de l’homo œconimucus sont nombreuses, et il serait illusoire de prétendre les résumer ici. On en restera donc à des considérations générales et structurelles, pour mieux faire ressortir la spécificité d’une critique libérale. Il est d’abord possible de montrer, dans la veine de la sociologie critique, que la recherche de l’intérêt n’est nullement un donné naturel, mais un produit social. On insistera alors sur le caractère à la fois non universel et non nécessaire des motivations égoïstes, et sur le fait qu’elles sont toujours promues dans des conditions sociales données27. Cette critique n’est pas, en l’occurrence, la plus convaincante dans la mesure où le néolibéralisme se distingue précisément du libéralisme par son caractère artificialiste. Les penseurs néolibéraux que nous avons évoqués ne nient pas que la recherche de l’intérêt et le goût pour la concurrence soient socialement constitués : ces affects sociaux désignent une seconde nature, presque un habitus, propre au capitalisme moderne. C’est pourquoi, les institutions étatiques et paraétatiques (école, justice, hôpitaux, organismes sociaux, etc.) doivent en toute occasion réinstitutionnaliser l’individu en entrepreneur de lui-même. Il s’agit de mettre en œuvre des procédures qui rendent désirables les comportements compatibles avec l’ordre du marché et indésirables les autres, comme par exemple la dépendance sociale que l’on assimilera à une forme d’assistanat.
Tout en restant dans une veine anthropologique, il paraît donc préférable de contester la vraisemblance du néolibéralisme, plutôt qu’un caractère naturel qu’il n’a jamais revendiqué. La question est alors la suivante : un individu essentiellement déterminé par la recherche de son intérêt et en mesure constante de bâtir des raisonnements fiables existe-t-il ? Toute une partie de la critique sociologique du néolibéralisme se fonde aujourd’hui sur une réévaluation du concept d’intérêt à partir de Spinoza28. Ici encore nous nous bornons à l’essentiel : que les hommes agissent par intérêt n’implique nullement que celui-ci soit utilitariste, c’est-à-dire parfaitement conscient, rationnel et traductible dans des termes économiques. L’anthropologie spinoziste est certes fondée sur le conatus, c’est-à-dire le désir qu’éprouve chacun de persévérer dans son être. Mais celui-ci n’est pas orienté sur un objet déterminé (le profit) : il est la revendication d’une puissance d’être et non la recherche éperdue de richesses.
Au modèle néolibéral de la concurrence, on peut opposer la thèse de Spinoza sur l’imitation des affects29. Autant la concurrence entre les intérêts est consciente et calculatrice, autant l’imitation des affects est immédiate et passionnelle. Dans les deux cas, il y a une forme de mimétisme dont on peut penser qu’il est à l’origine du lien social. Mais le néolibéralisme part d’une situation où les individus sont dans une relation d’extériorité les uns par rapport aux autres : la concurrence est alors le seul moyen de créer du lien sur une base atomiste. Pour Spinoza, en revanche, intérêt personnel et intérêt d’autrui deviennent indiscernables dans l’imitation des affects : l’individu ne fait qu’un avec celui dont il perçoit les sentiments. Rationalisation des conduites d’un côté, imagination du semblable de l’autre : dans la thèse spinoziste, le conflit n’est qu’une forme parmi d’autres de l’interaction, la coopération n’est nullement écartée.
Étrangement, on trouve dans le libéralisme économique classique une thèse analogue, qui remet en cause la spontanéité du lien concurrentiel. Adam Smith est beaucoup plus proche de Spinoza que d’Hayek lorsqu’il décrit l’origine du sentiment moral :
Aussi égoïste que l’homme puisse être supposé, il y a évidemment certains principes dans sa nature qui le conduisent à s’intéresser à la fortune des autres et qui lui rendent nécessaire leur bonheur, quoiqu’il n’en retire rien d’autre que le plaisir de les voir heureux30.
Une conception de l’homme qui privilégie l’amor sui sur l’amor proprius, l’amour de soi sur l’amour-propre s’oppose évidemment à la définition extrêmement formelle et contraignante du lien social défendue par les néolibéraux. On peut aussi citer les théories de la reconnaissance, comme celle d’Axel Honneth31, qui tentent de situer le conflit dans un domaine extra-économique. Dans tous les cas, l’anthropologie néolibérale sera contestée non seulement du point de vue de ses conséquences, mais au niveau de ses principes. La société néolibérale est une société d’adultes compétents qui ne laisse aucune place aux passions tristes et aux divers systèmes de dépendances, en particulier affectives, qui ne se ramènent pas au modèle concurrentiel. Dans ce modèle, il apparaîtra souvent étrange, et toujours inexplicable, que les individus s’adaptent moins aisément que les marchés aux évolutions économiques.
Raison et procédures : la critique libérale
Une critique spécifiquement libérale du néolibéralisme ne se situera pas sur ce plan anthropologique. Pour le comprendre, il faut rappeler que nombre des reproches adressés au libéralisme classique le sont en réalité à son anthropologie, jugée formelle et désincarnée. Il suffit de comparer les descriptions que Locke donne de l’homme à l’état de nature à celles de Hobbes, Spinoza ou Rousseau pour se rendre compte de l’indigence de cette anthropologie qui ignore presque tout des passions et n’articule jamais l’ordre des institutions à celui des affects. L’anthropologie libérale est considérée soit comme minimaliste, soit comme outrancièrement optimiste32. Dans les deux cas, son parti pris « déontologique » (attentif à la rectitude des normes plutôt qu’à la définition du bien) est retenu contre elle en raison de son caractère tendanciellement antipolitique.
Il se pourrait néanmoins que cette pauvreté descriptive constitue un avantage lorsqu’on la confronte à l’anthropologie néolibérale. On peut dire du libéralisme classique qu’il insiste sur ce que les hommes devraient être plutôt que sur ce qu’ils sont ou sur ce qu’une doctrine déterminée dit qu’ils sont. À l’inverse, le néolibéralisme envisage l’action de l’État comme une incitation destinée à permettre aux individus de devenir ce qu’ils sont : des êtres concurrentiels disposant d’un maximum d’informations sur l’état du marché. Il y a là une prédécision sur les comportements humains « normaux » que l’on ne retrouve nulle part dans le libéralisme. John Rawls a explicitement présenté sa théorie de la justice comme une « solution de rechange » à l’utilitarisme qui fait de la recherche de l’intérêt privé le motif unique de l’action humaine33. Ce faisant, le penseur libéral n’entend pas substituer une anthropologie à une autre, mais plutôt une conception procédurale de la justice à une vision partielle de l’homme. On trouve bien, chez Rawls, un « voile d’ignorance » qui n’est pas sans rappeler l’insistance néolibérale sur ce que nous ne savons pas. Mais ce « voile » a un tout autre statut puisqu’il fait abstraction de ce dont Hayek ne doute jamais, à savoir la recherche de l’intérêt comme principale activité de la raison. Le « voile d’ignorance » rawlsien est donc un artifice qui permet de mettre en suspend toute forme d’anthropologie qui prétendrait se situer au fondement du droit.
Dans la tradition libérale, Kant est celui qui a le plus insisté sur l’impossibilité de fonder le droit (et plus généralement le devoir être) sur une anthropologie déterminée. Celle-ci ne peut jamais être autre chose qu’empirique : elle relève de l’ordre du fait, et non de celui de la norme. Concernant le droit, Kant34 ne retient de l’expérience que le simple fait de la coexistence des individus qu’il faut chercher à réguler par la loi, mais il s’abstient de se prononcer sur la nature de cette coexistence qui ne peut, dès lors, se réduire au modèle de la concurrence. De Kant, Hayek et Mises ne retiennent que le rejet du scientisme qui nie la liberté, pas la thèse selon laquelle la raison est pratique par elle seule, c’est-à-dire qu’elle pose une norme sans rien emprunter à une anthropologie sous-jacente et toujours sujette à caution. Or, le procéduralisme, si souvent reproché aux doctrines libérales, est d’abord le signe d’un refus : celui de réduire la raison au calcul. C’est pourquoi la raison pratique ne peut être qu’aberrante du point de vue de la raison économique qui n’imagine pas que le désintérêt moral puisse être un mobile suffisant d’action.
On peut discuter de l’appartenance de Kant au libéralisme, mais il y a au moins un texte qui en épouse tous les traits, y compris les plus discutables. Dans la deuxième section de Théorie et pratique (sous-titrée « Contre Hobbes »), Kant stipule que, parmi les conditions de la citoyenneté, figure l’autonomie sociale de l’individu, c’est-à-dire son statut de propriétaire35. En d’autres termes, le droit privé est au fondement du droit public puisque celui qui ne possède rien (c’est-à-dire, à cette époque, la majorité des hommes et la totalité des femmes) doit être exclu des droits civiques en raison de sa dépendance aux autres. Ce qu’il y a de déplaisant dans ce texte est la reprise d’un lieu commun du libéralisme classique : la crainte du peuple identifié à la masse des non-propriétaires que la loi doit tenir à l’écart de l’exercice de la souveraineté.
Mais il est une autre dimension de ce texte (et plus généralement du libéralisme juridique) qui vient en renfort d’une critique de l’homo œconomicus. Pour Kant, le principal mérite de la subordination de l’État au droit est d’éviter le « despotisme » défini comme l’absolutisation politique du « principe du bonheur36 ». Partir de la recherche de l’intérêt privé comme fondement du lien social mène inexorablement à la promotion d’un État « paternaliste » dont l’action est guidée par les prétentions subjectives au bonheur. Kant vise aussi bien l’utilitarisme que les conceptions pessimistes qui concluent de la corruption de la nature humaine à l’impossibilité d’accorder la liberté politique aux individus. Dans les deux cas, on subordonne l’exigence inconditionnelle de droit à des considérations stratégiques sur ce qu’est l’homme. Or, ce qu’« est » l’homme, à supposer qu’on puisse le savoir, n’est d’aucun secours lorsque l’on cherche à déterminer ce qui doit être politiquement. Dans ce cadre, il faut même postuler que l’homme n’est rien, précisément parce qu’il est libre : c’est tout le sens de l’indétermination des droits de l’homme.
Où réside l’opposition avec le néolibéralisme ? En montrant que le souverain ne doit pas chercher à faire le bonheur des hommes à leur place, Kant n’anticipe-t-il pas sur la « phobie d’État » et sur toutes les critiques de l’État-providence ? Il montre surtout que le type d’anthropologie que l’on se donne importe peu au libéral authentique, c’est-à-dire soucieux de l’autonomie du droit. L’alliance précaire entre le néolibéralisme (apparemment optimiste) et le néoconservatisme religieux aux États-Unis a démontré que la confiance dans l’individu pouvait s’accorder à une politique sécuritaire et, en ce sens, « paternaliste ». En critiquant l’utilitarisme en même temps que les anthropologies pessimistes, Kant répond donc par avance à ceux qui déclarent les sociétés « ingouvernables » et cherchent à y remédier par la promotion étatique du marché et de l’impératif sécuritaire.
Le différend entre le libéralisme et le néolibéralisme ne relève pas seulement de l’opposition doctrinale. Nous avons vu que le second se caractérise par un interventionnisme paradoxal, chaque fois que le marché ou les individus ne répondent pas à la définition qu’on leur a tout d’abord attribuée. Or le libéralisme juridique se garde de définir dogmatiquement l’homme, ce qui le prémunit au moins de la tentation de le transformer. C’est pourquoi il faut aborder avec prudence les appels à « moraliser le capitalisme » que l’on retrouve, à la faveur de la crise actuelle, dans la bouche de Ségolène Royal comme dans celle de Sarah Palin. On ne saura jamais si les appels à châtier les « voyous de Wall Street » valent comme critiques du capitalisme financier ou comme condamnations des mœurs dissolues des yuppies de la côte est. A contrario, le libéralisme classique nous rappelle que la légitimité du marché n’est pas indiscutable tant que l’autorégulation par les intérêts fonctionne et qu’elle reste sujette à caution lorsqu’elle ne produit plus que de la « corruption ». Cette légitimité est, par nature, relative à ce qui la précède, c’est-à-dire au respect du droit qui, l’exemple de Rawls l’atteste suffisamment, n’est pas incompatible avec l’exigence de justice sociale.
*
La force du libéralisme juridique est indissociable de sa faiblesse : il gagne sur le terrain de l’établissement des normes ce qu’il perd sur celui de la description des comportements sociaux. En adoptant une anthropologie minimale (et certainement discutable), il évite aussi le « saut mortel37 » qui consiste à conclure de ce qu’est l’homme à ce que doit être la société. Cette précaution est totalement étrangère au néolibéralisme qui ne reconnaît qu’un seul ordre de rationalité : celui pratiqué par l’homme économique. Il y a plusieurs usages de la raison. Cette thèse pourrait bien être la principale objection à la promotion néolibérale du calcul et de la concurrence au rang de procédures.
Il est trop tôt pour dire que le néolibéralisme est « mort », victime de la crise du capitalisme financier dont il serait le maquillage idéologique. Foucault a justement montré que le néolibéralisme n’est pas une idéologie dépendante d’un système de production, mais une véritable doctrine politique et morale. Lorsque le président de la République propose de substituer un « capitalisme d’entrepreneurs » à un « capitalisme de spéculateurs », il semble ignorer que les deux termes sont synonymes. Face au rabattement de l’individu et de l’État sur l’entreprise, il n’y a guère que deux répliques possibles : soit l’élaboration d’une anthropologie adverse à celle du néolibéralisme, soit la valorisation libérale du droit au nom d’une liberté indépendante de nos croyances sur la nature humaine.
Néolibéralisme et néoconservatisme, une articulation improbable1
Le rêve démocratique est-il révolu ? Faut-il douter, aujourd’hui, de la nécessité du lien entre Occident et promotion de l’État de droit ? Et peut-on élaborer une critique du présent sans céder à la « haine de la démocratie » ? Ces questions prennent sens à la suite de ce qu’il faut bien appeler l’illusion post-1989. Nombre d’intellectuels ont interprété la chute du mur de Berlin comme la prémisse d’une démocratisation sans frein du monde. Mais la suite de l’histoire a montré que les obstacles viennent de là où on ne les attend plus, en l’occurrence de nos démocraties elles-mêmes dont Wendy Brown dresse un portrait sans concessions2.
L’auteur, professeur de sciences politiques à l’université de Berkeley, forge le concept de « dé-démocratisation » pour aborder un phénomène paradoxal : l’abandon des exigences démocratiques au nom du principe de liberté. L’analyse, qui porte pour l’essentiel sur le cas américain, ne cède ni à la théorie du complot, ni à celle du devenir oligarchique de la démocratie. Il ne s’agit pas non plus d’ouvrir une nouvelle carrière au concept d’idéologie, en dénonçant le « mensonge libéral » dont l’administration Bush (et, pour nous, la présidence Sarkozy) serait le dévoilement enfin irréfutable. La « dé-démocratisation » désigne un processus plus troublant, où le libéralisme traditionnel se voit contredit par ceux-là mêmes qui en revendiquent l’héritage, et où la démocratie est atteinte dans ses principes au nom de l’impératif qui porte sur sa généralisation. Emphase sécuritaire, démantèlement de l’État-providence, moralisation du discours public et référence soutenue à une religiosité intolérante : comment penser l’unité d’une telle évolution ?
L’ouvrage est composé de deux articles parus séparément : « Le néolibéralisme et la fin de la démocratie » et « Le cauchemar américain ». Si le premier texte porte sur le néolibéralisme, le second tente d’expliquer comment la valorisation d’un individualisme radical (et tendanciellement libertaire) a pu s’accompagner, aux États-Unis, du renforcement des dispositifs répressifs au nom du néoconservatisme. De la promotion de l’individu entrepreneur de lui-même et responsable de chaque parcelle de son existence à la remise en cause du droit des minorités et de la législation sur l’avortement, la conséquence est-elle bonne ? Pour répondre à cette question, l’auteur refuse d’aborder le lien entre néolibéralisme et néoconservatisme comme celui d’une doctrine économique et de son idéologie. Il s’agit plutôt de deux formes de « rationalités politiques » au sens de Foucault, c’est-à-dire des « ordres discursifs de la raison qui informent les sujets et les institutions politiques » (p. 40). Le néolibéralisme et le néoconservatisme sont des arts de gouverner et de réguler les comportements individuels. Ce livre est une hypothèse sur leur articulation contemporaine.
L’auteur rappelle les caractéristiques du néolibéralisme : la soumission de l’action individuelle et publique à la rationalité économique (l’individu calculant, l’État entrepreneur), la promotion unilatérale de la « concurrence » dans toutes les sphères de la société, un étatisme renforcé mis au service du marché et un horizon d’« égale inégalité pour tous ». Plus originale est l’insistance de Brown sur les écarts entre cette rationalité politique et le libéralisme traditionnel. Là où ce dernier se présentait comme une doctrine naturelle et anthropologique (la théorie du « laisser-faire » suppose la naturalité du marché), le second est normatif et implique l’intervention constante de l’État en faveur d’un marché économique qui perd son évidence de fait. Le néolibéralisme est la doctrine d’auteurs contemporains de la révolution bolchevique et de la montée du nazisme (Hayek, Röpke, Rueff). De ces expériences, ils ont conclu que le marché est fragile et qu’il devient nécessaire de le renforcer par tout un appareil législatif.
La méfiance traditionnelle du libéralisme à l’égard du gouvernement s’efface donc au profit d’une doctrine qui confère à l’État la prérogative d’informer les vies dans le sens de la mise en concurrence. Cela n’est pas sans conséquences sur la conception que le néolibéralisme se fait du droit. Celui-ci, autre différence capitale avec le libéralisme classique, n’est plus envisagé comme un principe de limitation du pouvoir, mais comme un instrument de transformation de la société. L’auteur remarque qu’aux États-Unis (mais cela vaudrait ailleurs), l’« homme d’affaires » a remplacé l’« homme de loi » aussi bien dans la sociologie du personnel politique qu’au niveau de l’idéal social. Cela suffit à rendre inopérantes les critiques (venues de la gauche) contre l’idéologie des droits de l’homme et celles (venues de la droite) contre le « pouvoir des juges ». Les théories du soupçon sont anachroniques : elles supposent la vitalité d’un ennemi (le libéralisme) que l’on déteste au point de ne pas remarquer qu’il est en train de disparaître.
Le néolibéralisme n’est donc ni un « avatar historique inévitable du capital », ni un simple effet de la généralisation de la « rationalité instrumentale » (p. 59). C’est le bénéfice de la référence à Foucault que de permettre d’agencer l’économisme marxiste à la sociologie de Weber : le néolibéralisme est un dispositif authentiquement politique, même s’il émane de la société et non d’un pouvoir tutélaire. De ce point de vue, la distinction (largement usitée en France) entre un « bon » libéralisme (politique) et un « mauvais » libéralisme (économique), si elle peut comporter un intérêt stratégique, n’est d’aucune pertinence théorique. Mieux vaut distinguer entre l’ancien libéralisme fondé sur la liberté individuelle et sur l’échange des biens, et un néolibéralisme interventionniste et concurrentiel. Mais, dans les deux cas, nous avons bien affaire à des formes de « rationalités politiques », et non à l’expression idéologique de rapports sociaux.
Reste alors l’énigme : comment expliquer qu’un idéal marchand et individualiste ait pu, aux États-Unis, s’associer aussi aisément au moralisme étroit des néoconservateurs. L’hypothèse de Wendy Brown est particulièrement convaincante : si le néolibéralisme est une politique de régulation des individus fondée sur leur liberté, le meilleur moyen de canaliser cette liberté est de la moraliser. Le néoconservatisme remplit cette fonction : il interpelle les citoyens en termes moraux et religieux. Il fait l’apologie des contraintes nécessaires pour éviter les excès inhérents à la liberté d’entreprendre.
Le livre de Wendy Brown nous explique, en somme, que le malheur vient de ce que, depuis le début des années 1980, les réactionnaires sont devenus optimistes. En d’autres termes, les néoconservateurs ont épousé pour un laps de temps le néolibéralisme. Il est vrai que les néoconservateurs américains constituent un groupe disparate qui regroupe « des intellectuels et des anti-intellectuels, des juifs laïcs et des chrétiens évangéliques, des musiciens de chambre devenus soviétologues, des professeurs de théorie politique convertis en conseillers politiques, des Blancs en colère et des Noirs vertueux » (p. 103). Mais tous ont profité de l’affaiblissement des institutions libérales par le néolibéralisme pour promouvoir leur moralisme antijuridique et leur religiosité messianique.
Wendy Brown s’en défendrait peut-être, mais le néoconservatisme apparaît tout de même comme le renfort idéologique du néolibéralisme, la manière dont, aux États-Unis, ce dernier a répondu à l’exigence d’un « supplément d’âme ». Cet agencement demeure américain et il conviendrait de se demander ce qui, dans chaque situation nationale, a joué le rôle de discours de la légitimation. En France, où la religion a depuis longtemps perdu sa force mobilisatrice, c’est peut-être du côté du discours « républicain » qu’il faudrait rechercher la caution paradoxale du démantèlement de l’État-providence.
Force est de constater que l’« esprit du capitalisme » n’a, aujourd’hui, que peu à voir avec le libéralisme classique et qu’il faudrait prendre la mesure de cette évolution. Ce livre constitue donc aussi une invitation faite à la gauche. À la gauche « radicale » d’abord, dont l’auteur continue de se réclamer, et à qui elle suggère d’abandonner la rhétorique antilibérale dont le néolibéralisme s’est toujours fort bien accommodé. Au moment même où il est le plus affaibli, le libéralisme s’impose comme « ce que l’on ne peut pas ne pas vouloir », et les salves constantes contre lui apparaissent de plus en plus comme des tirs dérisoires sur une ambulance. À l’adresse de ses amis, Brown s’excuse presque de ressentir « une certaine sollicitude pour la démocratie bourgeoise » (p. 42), un sentiment qui invite les ennemis du libéralisme à se sentir responsables de ce qu’ils n’ont jamais aimé, mais qui menace de disparaître. Mais la leçon de ce livre concerne aussi la gauche « réformiste » puisque « lorsque les principes démocratiques de gouvernance, les codes civils, voire la moralité religieuse, sont soumis au calcul économique […], alors disparaissent non seulement les foyers d’opposition à la rationalité capitaliste, mais aussi les foyers réformistes » (p. 60).
Accepter d’aimer le libéralisme au moment où il disparaît ou dénoncer le néolibéralisme au nom du libéralisme : l’alternative n’a sans doute rien de réjouissant. Cette conclusion est même excessivement mélancolique, puisqu’il semble parfois que, pour l’auteur, l’effacement de la démocratie libérale soit définitif. Mais ce livre nous rappelle néanmoins, qu’avant d’envisager de nouvelles conquêtes, il est bon de savoir ce qui a été perdu.
Michaël Fœssel
1.Une version légèrement différente de ce compte rendu a été publiée sur le site Nonfiction.fr
2.Wendy Brown, les Habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et néoconservatisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007, 135 p.
- *.
Vient de faire paraître : la Privation de l’intime, Paris, Le Seuil, 2008.
- 1.
Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard/Le Seuil, coll. « Hautes Études », 2004, p. 30.
- 2.
Le Monde, 19 mars 2008.
- 3.
Serge Audier a montré, contre Foucault, qu’il est discutable d’amalgamer le néolibéralisme qui trouve ses sources chez Hayek et s’accomplit chez Milton Friedman à l’ordolibéralisme allemand, beaucoup moins confiant dans l’autorégulation du marché (Serge Audier, Aux origines du néolibéralisme : le colloque Lippmann, Paris, Le bord de l’eau, 2008). Il faut aussi reconnaître que l’ordolibéralisme est un mouvement complexe, et qu’il y a finalement peu à voir entre Röpke (qui n’est pas très éloigné du socialisme libéral) et Eucken (qui pense l’État sur le modèle du marché). Ce débat est important dans la mesure où l’ordolibéralisme (mais lequel ?) a joué un rôle décisif dans la formation de l’idée européenne après la guerre. Quoi qu’il en soit, nous ne traitons dans cet article que de la forme de néolibéralisme qui s’est imposée idéologiquement et politiquement à partir des années 1980, et au moins jusqu’à ces dernières semaines, c’est-à-dire la forme anglo-saxonne.
- 4.
M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 316.
- 5.
Voir Wendy Brown, les Habits neufs de la politique mondiale, Paris, Les Prairies ordinaires, 2008 (et le compte rendu de ce livre dans ce dossier) ainsi que Pierre Dardot et Christian Laval, « La nature du néolibéralisme : un enjeu théorique et politique pour la gauche », Mouvements, 2007, p. 50. Il est révélateur que la distinction en libéralisme et néolibéralisme se trouve le plus souvent assumée, soit par les promoteurs du second, soit par les critiques du libéralisme au sens générique du terme. Cet état de fait traduit une certaine inertie de la pensée politique libérale, ou bien le fait qu’elle se trouve engagée sur d’autres fronts (réponses aux critiques venues du communautarisme ou du républicanisme).
- 6.
Friedrich A. Hayek, la Route de la servitude, Paris, Puf, 1985.
- 7.
M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 47. Voir aussi Christian Laval, l’Homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme, Paris, Gallimard, 2007.
- 8.
F. A. Hayek, Droit, législation, liberté, Paris, Puf, 2007, p. 547.
- 9.
Hume, « Essai sur le contrat primitif », dans Essais moraux, politiques et littéraires, Paris, Puf, 2001, p. 343.
- 10.
Voir M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 277-282.
- 11.
Ludwig von Mises, l’Action humaine, traité d’économie (abrégé), trad. G. Dréan, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 55.
- 12.
L. von Mises, l’Action humaine, traité d’économie, op. cit., p. 27.
- 13.
Voir L. von Mises, l’Action humaine, traité d’économie, op. cit., p. 33. Il est inutile d’insister sur ce que de telles conceptions impliquent du point de vue de la pénalisation de la psychiatrie.
- 14.
Ibid., p. 82-83.
- 15.
L. von Mises, l’Action humaine, traité d’économie, op. cit., p. 117. Sur la notion de « capital humain », voir M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 225-239.
- 16.
W. Brown, les Habits neufs de la politique mondiale, op. cit., p. 55.
- 17.
M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 258.
- 18.
Voir. F. Denord, Néolibéralisme, version française. Histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.
- 19.
M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 85. Sur la figure paradoxale du « libéralisme autoritaire », soucieux de fonder sa légitimité sur des impératifs sécuritaires, voir Michaël Fœssel, « Légitimations de l’État. De l’affaiblissement de l’autorité à la restauration de la puissance », Esprit, mars-avril 2005.
- 20.
« L’économie est une démocratie dans laquelle chaque centime joue le rôle d’un bulletin de vote. Elle est une démocratie dont les représentants ne jouissent que d’un mandat toujours révocable. C’est une démocratie des consommateurs » (L. von Mises, le Socialisme (1922), Paris, Librairie de Médicis, 1938, p. 513). Les néolibéraux sont, à certains égards, moins hostiles à l’égalitarisme démocratique que les libéraux classiques. Mais il ne peut s’agir que d’une égalité donnée au départ : l’égalité dans le droit à entrer dans un système inégalitaire.
- 21.
Sur le « mirage de la justice sociale », voir F. A. Hayek, Droit, législation, liberté, op. cit., p. 457-461.
- 22.
Sur le rapport entre le néolibéralisme d’Hayek et l’individualisme méthodologique des libéraux, voir Jean-Pierre Dupuy, Libéralisme et justice sociale, Paris, Hachette Littératures, 1997, p. 241-291.
- 23.
« Les rémunérations que détermine le marché sont, pour ainsi dire, fonctionnellement relatives non pas à ce que les gens ont fait, mais seulement à ce qu’ils devraient faire [c’est-à-dire investir ou non dans une marchandise donnée] » (F. A. Hayek, Droit, législation, liberté, op. cit., p. 548). Il est à peine exagéré de dire que les prix viennent ici en lieu et place de la loi naturelle chez Locke ou de la loi morale chez Kant : ils circonscrivent le champ du devoir être. Hayek ne recule nullement devant une telle conclusion puisqu’il affirme que la liberté est « inséparable d’un type de rémunération » (ibid., p. 554). Elle a donc elle-même un prix, et celui-ci ne se trouve fixé nulle part ailleurs que dans le marché.
- 24.
C. B. Macpherson, la Théorie politique de l’individualisme possessif. De Hobbes à Locke, Paris, Gallimard, 1971.
- 25.
« Le droit [y compris le droit public] n’a certainement pas été créé pour servir à un but formulable quelconque, il s’est au contraire développé parce qu’il rendait les gens qui s’y conformaient plus efficaces dans la poursuite de leurs propres objectifs » (F. A. Hayek, Droit, législation, liberté, op. cit., p. 263-264).
- 26.
Fidèles en cela à la tradition utilitariste, les néolibéraux sont généralement hostiles à la théorie des droits de l’homme, jugée outrancièrement « métaphysique ». Par principe, le néolibéralisme est méfiant à l’égard d’un droit « inaliénable » puisqu’il marque une limite à la dynamique des échanges.
- 27.
Cette historicisation du concept d’intérêt (la sociologie contre l’économisme et son modèle de l’action rationnelle) a, par exemple, été défendue par Pierre Bourdieu (voir, entre autres textes, Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Le Seuil, 1997, p. 235).
- 28.
Frédéric Lordon, l’Intérêt souverain. Essai d’anthropologie économique spinoziste, Paris, La Découverte, 2006 et, sur les usages contemporains de Spinoza, voir Céline Spector, « Le spinozisme politique aujourd’hui », Esprit, mai 2007.
- 29.
« Si nous imaginons qu’une chose semblable à nous et à l’égard de laquelle nous n’éprouvons d’affection d’aucune sorte éprouve quelque affection, nous éprouvons par cela même une affection semblable » (Spinoza, Éthique, III, 27). Sur le concept antiutilitariste d’intérêt chez Spinoza, voir Christian Lazzeri, « Reconnaissance spinoziste et sociologie critique, Spinoza et Bourdieu », dans Y. Citton et F. Lordon, Spinoza et les sciences sociales, Paris, éd. Amsterdam, 2008, p. 213-248.
- 30.
Adam Smith, Théorie des sentiments moraux, Paris, Puf, 1999, p. 23, cité par C. Lazzeri, « Reconnaissance spinoziste et sociologie critique, Spinoza et Bourdieu », art. cité, p. 235.
- 31.
Voir le numéro d’Esprit de juillet 2008.
- 32.
C’est le ressort de la critique du libéralisme chez Carl Schmitt pour qui l’optimisme anthropologique (à la différence de la théorie du péché originel) mène inéluctablement au déni du politique (voir Carl Schmitt, la Notion de politique, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1999).
- 33.
John Rawls, Théorie de la justice, Paris, Le Seuil, 1987, p. 29.
- 34.
Voir Kant, Doctrine du droit, introduction. En substance, l’exigence de droit naît du fait de la pluralité humaine, et non de sa nature. L’ensemble des liens que les individus ne peuvent pas ne pas nouer entre eux doit être réglé par des principes juridiques fondés rationnellement.
- 35.
Les fondements de l’État de droit sont 1) la liberté de l’homme, 2) l’égalité devant la loi et 3) l’indépendance sociale des sujets qui suppose qu’ils soient propriétaires (voir Kant, Théorie et pratique, Paris, GF-Flammarion, 1994, p. 64-72).
- 36.
Kant, Théorie et pratique, op. cit., p. 79.
- 37.
Kant, Théorie et pratique, op. cit., p. 84.