Position – Contre le populisme sécuritaire, une réforme pénale nécessaire
La reforme pénale de Christiane Taubira vient d’être adoptée le 5 juin par l’Assemblée nationale sans trop de difficulté. Ses deux mesures phares (la suppression des peines planchers et la création d’une peine en milieu ouvert, la contrainte pénale) n’ont pas suscité les tempêtes annoncées. Le débat au Parlement a fait émerger des convergences qui, pour invisibles qu’elles soient, n’en sont pas moins réelles. Les clivages largement évoqués dans la presse ont d’abord traversé la gauche, à l’époque où Manuel Valls était ministre de l’Intérieur. Reporté après les élections municipales, le projet est réapparu en commission des lois, où la droite parlementaire a présenté de nombreux amendements de suppression. Face au rapporteur PS Dominique Raimbourg, les députés Ump Georges Fenech, Guy Geoffroy et Éric Ciotti ont demandé que la garde des Sceaux retire un projet de loi « aveuglément idéologique » qui « dévitalise la sanction pénale » en raison du « message d’impunité » que ce texte envoie, selon eux, à la société.
Dans la bataille d’amendements qui a suivi (plus de 650 déposés par l’Ump mais souvent abandonnés), la majorité a martelé l’objectif d’efficacité de la réforme, parfois avec trop de zèle1. Certains amendements tirent habilement parti des failles de l’argumentaire. Ainsi les peines planchers seraient avant tout « inefficaces », selon le rapporteur, car elles ne s’attaquent qu’à la récidive (commettre deux fois de suite la même infraction) et non à la réitération (commettre successivement plusieurs infractions). Qu’à cela ne tienne, répond l’opposition, qui propose un amendement (aussitôt rejeté) étendant ce type de peine à la réitération ! D’autres objections au projet de loi tiennent du sophisme. Alors que le texte invite à faire bénéficier les sortants de prisons des services publics de droit commun, on lui reproche de créer un « droit opposable » en leur faveur. En réalité, il n’y a rien de scandaleux à permettre aux anciens détenus de retrouver leurs droits sociaux (Rsa, carte Vitale…). Lutter contre la récidive, c’est donner un peu plus de quatre-vingt-dix euros (en moyenne) à ceux qui sortent de prison ! Tous les parlementaires de bon sens en conviennent aisément.
Plus sérieuse est l’objection qui voit dans ce projet de loi un moyen de vider les prisons. Certes, la « libération sous contrainte » à mi-peine qui est proposée n’est plus automatique, comme le prévoyait l’avant-projet. Elle doit simplement être examinée pour en évaluer l’éventualité. Que va devenir notre libération conditionnelle, née en 1885 mais, hélas, trop peu appliquée ? Est-ce sa mort annoncée ? Il est clair, en l’état actuel du texte, que ces nouvelles libérations anticipées visent à favoriser les sorties après un rapide examen du dossier sans débat contradictoire individualisé2. Or le retour à la liberté est nécessaire, mais avec un projet mûri, non dans la précipitation ou l’impréparation. Si la peine est une souffrance, la réinsertion reste une épreuve dont le détenu doit témoigner. Le législateur semble l’avoir oublié.
Au-delà des controverses, un consensus sur la réforme dont le centre de gravité est le Sénat a cheminé silencieusement. La réforme, solidement fondée sur les données criminologiques et l’apport des professionnels, a marqué des points. Sous la houlette du sénateur PS Jean-Pierre Michel, un débat constructif a pu apparaître. On a pu mesurer à quel point la démarche de la garde des Sceaux se situe dans la continuité de la loi dite « pénitentiaire » de 2009 votée sous l’ancienne majorité, qui appliquait les règles pénitentiaires européennes établies par le Conseil de l’Europe, donnant comme objectif l’encellulement individuel.
Le projet de loi, s’il rompt avec la dynamique punitive en cours depuis dix ans, s’inscrit dans le cercle vertueux ouvert par cette loi. Il regarde la peine non plus à partir de la privation de liberté mais de l’immense cohorte des condamnés qui purgent leur peine hors les murs (170 000 personnes contre près de 68 600 incarcérés) dans une quasi-indigence de moyens, véritable terreau de la récidive. C’est toute la nouveauté du concept de probation (suivi en milieu ouvert), jusque-là mal identifié dans notre pays mais dont l’efficacité est enfin reconnue. À partir du moment où la majorité des sorties de prison se fait sans aménagements ni suivis, comment s’étonner que le taux d’incarcération s’envole en dix ans (près de 35 % entre 2001 et 2012) ? Le risque de récidive n’est pas lié aux faits commis mais à la capacité de réinsertion. Il est d’autant plus élevé que celle-ci sera moins soutenue. Une fois ce problème mis sur la table, le mérite du projet de loi est d’offrir des solutions de bon sens et d’avoir été, pour partie, compris. Au point que le sénateur Ump Jean-René Lecerf a publié une tribune dans Libération où il déclare approuver 90 % de la réforme3.
Les parlementaires informés savent que la population pénitentiaire est le miroir grossissant de la misère dans notre pays. À partir du moment où chez les sortants de prison dominent la pauvreté chronique, le manque de soins et les addictions de toutes sortes, on comprend mieux le pari de la réforme. Elle ne perçoit plus le délinquant dans le prisme de l’individu dangereux. Au-delà du récidiviste, elle voit une personne vulnérable sans pour autant nier ses actes passés et son aptitude à les dépasser. Au-delà de la prison, qui ne demande aux détenus qu’immobilité et obéissance, l’aménagement de peine exige efforts, travail sur soi, démarches d’insertion. C’est du côté de la capacité du sujet que regarde le projet. C’est sur sa responsabilité active qu’il fonde notre sécurité. C’est à ce même détenu capable de mener « une vie responsable » qu’aspirait la loi pénitentiaire votée… sous le quinquennat précédent4.
Cette réforme pénale a su patiemment forger une majorité d’idées avec les professions concernées et les hommes politiques de bonne volonté. Elle offre à la gauche une doctrine de la réinsertion pragmatique qui lui manquait jusque-là et dessine une alternative au populisme pénal. Désormais, la sécurité ne se conçoit plus sans l’autre, traité comme un risque à neutraliser, mais avec l’autre jugé responsable et capable. Alors que les États-Unis et le Royaume-Uni, pour ne citer qu’eux, se sont engagés sur la voie de l’incarcération de masse, cette réforme amorce un virage décisif en sens contraire, même si certaines ambiguïtés demeurent. Pourquoi la réforme a-t-elle mis hors sujet l’abrogation du tribunal correctionnel pour mineurs et la rétention de sûreté si combattue jadis par la gauche ? Ne donne-t-elle pas aussi à la police et aux préfets le pouvoir de « géolocaliser » les sortants de prison qu’elle veut par ailleurs réinsérer ? Une fois examinée par le Sénat et votée, cette loi demandera donc à être tenue d’une main ferme lors de son application. Il faudra des personnels supplémentaires suffisamment formés et une politique pénale innovante pour que sa crédibilité ne s’épuise pas.
- *.
Voir son dernier livre, le Courage de juger, entretien avec Frédéric Niel, Montrouge, Bayard, 2014.
- 1.
Il est significatif que le projet de loi « relatif à la prévention de la récidive et l’individualisation des peines » devienne après son passage en commission des lois « projet tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales ».
- 2.
Voir l’objection de Martine Herzog-Evans, Le Figaro, 4 juin 2014.
- 3.
Jean-René Lecerf, « Qualifier cette réforme de laxiste, c’est de la folie », interview dans Libération, 11 mai 2014.
- 4.
« L’exécution de la peine » doit « permettre au condamné de mener une vie responsable et de prévenir de nouvelles infractions » (article 1 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009).