
RIP contre RIC
Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) et le référendum d’initiative partagée (RIP) sont deux procédures distinctes. Seul le RIP existe aujourd’hui dans le droit français mais parce qu’il reste largement du ressort du Parlement, ce référendum peut difficilement répondre aux attentes de participation citoyenne.
Par le biais du mouvement des Gilets jaunes, on a vu le référendum d’initiative citoyenne (Ric) s’exhiber sur des autocollants, des pancartes et prendre place dans le débat politique. En avril 2019, coup de théâtre : alors qu’on le croyait étouffé dans l’œuf, le référendum d’initiative partagée (Rip) resurgit au milieu d’une situation politique confuse. Il ne s’agit pas là d’un scénario de cartoon dans lequel deux personnages fantasques se poursuivent, mais bien d’une question constitutionnelle majeure.
Ric et Rip sont deux procédures référendaires distinctes : le premier, qui n’existe pas en droit français, permettrait aux citoyens de proposer un référendum directement ; le second existe bel et bien et se déclenche à « l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs », selon l’article 11 de la Constitution. Aujourd’hui, en France, le Ric est à l’état de revendication. Lors du grand débat national engagé en 2019, le président Macron a répondu à cette demande par le projet d’une refonte de la procédure du Rip. Mais à y regarder de plus près, les logiques sont différentes. Ainsi, comparer ces deux procédures revient à se demander dans quelle mesure il est possible d’étendre l’initiative d’un référendum aux citoyens. Tout y est question de dosage entre la souveraineté populaire directe et la souveraineté nationale exercée par les élus.
Tout y est question de dosage entre la souveraineté populaire directe et la souveraineté nationale exercée par les élus.
Les nuances de l’initiative
Avant 2008, les assemblées peuvent certes proposer d’organiser un référendum, mais seul le président peut y donner suite. De plus, la pratique montre que les Chambres ne s’en saisissent pas1. Dans un objectif de modernisation des institutions, le Rip permet la conciliation entre la souveraineté parlementaire et la souveraineté populaire pour vivifier la démocratie, tout en conservant la maîtrise de l’agenda politique par les pouvoirs institués. C’est en cela que l’initiative est présentée comme « partagée ». Mais les étapes sont largement déséquilibrées au profit du Parlement et, par extension, dans un contexte de fait majoritaire, de l’exécutif. L’initiative ne peut être que d’origine parlementaire : initiative soutenue mais pas lancée par les citoyens.
Aussi la revendication d’un Ric n’est-elle pas éclipsée. Elle a été formulée de différentes manières et notamment au sein des Gilets jaunes. Une liste de quarante-deux mesures issues d’une consultation en ligne, rendue publique le 29 novembre 2018, propose un Ric soutenu par 700 000 signatures, ouvrant ensuite discussion et amendements à l’Assemblée nationale. Il s’agit en quelque sorte d’un Rip inversé au profit de l’initiative citoyenne, sans pour autant ignorer la souveraineté parlementaire. Une coordination de Gilets jaunes propose une version plus large, ouvrant la possibilité de révoquer les élus, de modifier la Constitution ou encore d’abroger les lois, sans mentionner le nombre de signatures nécessaires2.
Le Ric fait peur aux représentants car il peut être un moyen de court-circuiter la souveraineté parlementaire au profit de groupes de pression. En Californie et en Oregon, de nombreux cas de fraude ont entaché la pratique3. Ainsi, l’initiative combinée des élus et du peuple permet d’éviter le contournement néfaste du Parlement tout en dotant la démocratie d’un nouvel instrument. Toutefois, il semblerait que le constituant n’ait pas tout à fait joué le jeu puisque la procédure du Rip, bien trop complexe et déséquilibrée, s’effectue au détriment du peuple.
L’application incertaine
La dernière étape du Rip avant l’organisation du référendum est encore une fois parlementaire. Il y a là un détournement du partage de l’initiative. En imaginant que la pétition atteigne le nombre de soutiens nécessaire, la proposition de loi doit être ensuite examinée « au moins une fois par chacune des deux assemblées parlementaires dans un délai de six mois à compter de la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu’elle a obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs4 ». Si elle n’est pas examinée, le président la soumet au référendum.
En cas d’inscription à l’ordre du jour, une simple lecture de la proposition par l’une des Chambres est un moyen d’empêcher le référendum. Le gouvernement étant prioritaire pour déterminer l’ordre du jour d’une assemblée, il y a donc peu de chances qu’il l’omette. Une option demeure : le renvoi en commission du texte par la majorité des députés ou des sénateurs a pour effet de suspendre le débat et permet de considérer la proposition comme non examinée, obligeant le président à organiser le référendum. Cette possibilité avait d’ailleurs été supprimée en 2014 au sein du règlement de l’Assemblée nationale, puis censurée par le Conseil constitutionnel. Les Chambres conservent ainsi la faculté d’obtenir, à la majorité, le référendum en refusant d’examiner le texte. Mais cette possibilité est mince dans un contexte de fait majoritaire.
Ainsi, l’adjectif « partagé » ne semble pas adapté. Il sous-entend un équilibre dans le partage, alors que la procédure donne le premier et le dernier mot aux parlementaires, et non aux électeurs. Et dans un contexte de fait majoritaire, c’est le gouvernement qui conserve une pleine maîtrise de la procédure. Face à ces contradictions, tant dans sa procédure que dans sa sémantique, le Rip n’effacera certainement pas la revendication d’un Ric.
Pour une rationalisation des procédures
Le Rip n’aboutira pas, échouant à recueillir les signatures des citoyens ou relégué au rang de souvenir par une des Chambres. Cependant, il serait déplorable de se contenter de son seul effet symbolique. La comparaison avec le Ric permet de mieux cerner les avantages et les inconvénients de chacun pour aboutir à un référendum dont l’initiative serait réellement partagée entre élus et citoyens. Le Rip actuel donne moins de valeur à la mobilisation de plus de quatre millions de personnes qu’à un simple examen en Chambre. Il enraye la voix du peuple dans un processus pernicieux, présentant le risque d’un discrédit populaire sur le Parlement, dont les pouvoirs sont largement minimisés depuis 1958.
Dans ce contexte, un Rip organisant harmonieusement un partage de l’initiative entre peuple et législatif pourrait être un moyen de dynamiser le contre-pouvoir du Parlement, stimulant la démocratie directe et la démocratie représentative. Il paraît ainsi indispensable de revoir les modalités d’examen par le Parlement. On pourrait imaginer une inversion de l’initiative, la pétition citoyenne servant alors à interpeller les parlementaires, ensuite obligés au débat de fond, sous couvert du respect de la Constitution.
Rationalisé, le Rip pourrait être un instrument d’infléchissement d’une ligne politique majoritaire, un moyen dévolu aux parlementaires pour incarner un contre-pouvoir efficace, tout en renforçant leur lien avec les citoyens. Les élus seraient alors les relais des électeurs pour porter des débats devant les Chambres. La rationalisation du parlementarisme, objectif du constituant de 1958, a atteint ses objectifs, aujourd’hui outrepassés. Une rationalisation du présidentialisme paraît nécessaire et pour cela, un Rip revu serait un instrument utile.
Du mouvement des Gilets jaunes, on peut retenir l’intérêt populaire pour la chose constitutionnelle, aussi polymorphe soit-elle, mais aussi les lacunes du droit positif pour permettre, élaborer et construire à partir de cet intérêt.
- 1. Tous les référendums organisés sur le fondement de l’art. 11 de la Constitution furent d’initiative présidentielle.
- 2. Voir le site giletsjaunes-coordination.fr
- 3. Loïc Blondiaux et al., Le Référendum d’initiative citoyenne délibératif, Terra Nova, 2019 ; Vincent Michelot, « Le processus référendaire en Californie : un travestissement démocratique ? », Pouvoirs, no 133, 2010/2. Depuis 2000, plus de deux milliards de dollars ont été dépensés par des organismes privés pour infléchir les votations populaires.
- 4. Loi organique no 2013-1114 du 6 décembre 2013.