
Anti-occidentalismes et déchirures européennes
Les guerres contre l'Europe menées par la Turquie d'Erdogan et la Russie de Poutine trouvent leurs origines intellectuelles dans la guerre franco-allemande de 1871, qui fragmente l'universel européen sur une base nationale.
Dans le sillage des études postcoloniales, nous avons pris l’habitude de poser la question de l’universel en termes dichotomiques, opposant un « Ouest » compact à un « reste » pluriel, regroupant le genre humain dans sa grande diversité. Le débat sur cette notion est cependant bien plus ancien et voit le jour d’abord en Europe, continent qui eut certes sa République des lettres, mais aussi ses déchirures internes. De nos jours encore, le rejet de l’universel assimilé à la domination occidentale ne constitue pas l’apanage du monde postcolonial. Selon Alexandre Bovdunov, ce sociologue de l’université de Moscou qui figure parmi les idéologues du poutinisme, la Russie et l’« Occident » constituent des civilisations non seulement ontologiquement distinctes, mais aussi mortellement ennemies : « La solution finale d’un conflit civilisationnel ne peut être que l’anéantissement de l’une des parties. […] Notre but est donc d’anéantir l’Occident sous sa forme civilisationnelle actuelle[1]. » Les « intellectuels » erdoganistes martèlent de leur côté la nécessité de préparer la revanche de la Grande Guerre non pas sur la France, la Grande-Bretagne ou encore la Russie, ennemis de « 14-18 », mais sur l’« Occident ».
Or la Russie et la Turquie, qui n’ont jamais été colonisées, ont en réalité pleinement fait partie de l’histoire occidentale des derniers siècles. Contrai