Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Dans le même numéro

Position – La papauté ramenée sur terre

mars/avril 2013

Six cents ans qu’un pape n’avait pas donné sa démission : les six cents ans pendant lesquels ont été construites une culture et une pratique « surnaturelles », ou sacrales, de la papauté. Aujourd’hui, le pape catholique redevient un homme, on peut espérer que demain les tâches seront diffractées, partagées, humanisées. C’est bien sous cet angle que le 11 février 2013 les commentateurs, en tout lieu, ont compris la renonciation de Benoît XVI à la charge d’évêque de Rome, surtout en ce qu’elle crée un précédent, une liberté pour d’autres successeurs. Le meilleur geste de Benoît XVI est le dernier, un acte de liberté.

Penser à la papauté, c’est à l’évidence s’obliger à penser à long terme. On lui reconnaît une extraordinaire tradition de continuité. La continuité impressionne aussi les incroyants, qui savent à quel point les institutions humaines sont fragiles. Parfois, mieux vaut considérer l’institution papale que les personnalités particulières qui l’incarnent, si remarquables soient-elles. La papauté est une culture qui oblige, qui trace pour vous un chemin, quelles que soient vos intentions et vos idées. C’est bien la tradition d’antijudaïsme et de diplomatie de la papauté, et pas seulement le caractère de Pie XII, qui le conduisit pendant la guerre au silence sur la Shoah. C’est aussi la fidélité à la tradition qui contraignit Paul VI en 1968 à prendre une décision controversée sur la contraception (la retirant au concile et allant contre la majorité de la commission qu’il avait nommée). La Curie le persuada qu’il lui était impossible de sembler désavouer la position de Pie XI en 1931. L’idée d’une continuité sans faille de la papauté survécut même aux grands changements du concile Vatican II et à la collégialité épiscopale votée en 1965.

Cette continuité heurte en particulier les protestants. André Dumas, ami et collaborateur d’Esprit, me dit un jour : « Les catholiques ne savent qu’ajouter, ils ne peuvent assumer la soustraction. Ils ne peuvent remettre en cause une vérité. Il leur faut toujours en ajouter. » Cette continuité de la papauté constitue une culture extraordinairement résistante, car elle engage une idée de vérité. Ainsi fallut-il pousser la papauté jusqu’à l’infaillibilité et, de nos jours, jusqu’à la sainteté officielle (tous les papes récents sont en voie de canonisation) ! L’évêque de Rome est une force sur laquelle non seulement des chrétiens, mais d’autres aussi, peuvent prendre appui. Aujourd’hui, la papauté est cette figure symbolique d’unité, plus forte que jamais. Le dénier, pour un catholique, serait encourir le ridicule et le reproche de contradiction.

Cette papauté, qui tient la clé des réformes, peut-elle moduler sa culture hiérarchique et prendre quelque chose de la culture démocratique ? C’est une ouverture en ce sens qu’a faite Benoît XVI par ce geste de renonciation qui interrompt la tradition. En réalité, c’est une autre conception de l’autorité et une autre pratique qui devraient se mettre en place.

Il n’est pas impertinent de se demander, écrit le théologien Ghislain Lafont, ce qui pourrait se produire si l’on envisageait une modification de la théologie de l’autorité dans l’Église, c’est-à-dire si l’on considérait les éléments révélés avec l’aide d’un autre instrument que celui du christianisme néoplatonisant : dans ce cas, il y aurait aussi à revoir la pensée et la pratique de la réforme, liées à une nouvelle perspective tant sur le pape que sur les prêtres1.

Devrait se mettre en place une conception de l’autorité qui corresponde aux orientations votées au concile Vatican II, et qui n’a pu voir le jour. Les idées du concile sont fortes et belles (peuple de Dieu, sacerdoce commun, conciliarité, collégialité, Églises locales, décentralisation), mais aucune n’a pu se concrétiser, se mettre en place, car la distorsion avec un système d’autorité installé depuis le Moyen Âge (réforme grégorienne), dans l’ambiance néoplatonicienne de l’Un en effet, n’a fait que se renforcer depuis, et se fait sentir à chaque instant. Surtout, depuis le xixe siècle, la papauté apparaît comme un pouvoir absolu.

Le nouveau pape sera-t-il l’homme de cette révision ? Il aborde cette tâche en meilleure position que ses prédécesseurs, il est plus libre. Les deux derniers pontificats, depuis trente-cinq ans, ont abouti paradoxalement à une papauté grande, auto-affirmée, mais à une Église peau de chagrin en Europe. Ces dernières années – sans penser que les solutions soient simples –, malgré le vide des paroisses rurales, le manque de prêtres, les initiatives des évêques et des laïcs, les initiatives des synodes sont bloquées ; on ne peut, ni on n’ose en débattre.

La culture sacrale qui prévaut au Vatican ne fait pas bon ménage avec la culture du débat. Une sorte de respect servile ou affectif empêche la plupart des évêques de dire ce qu’ils pensent. Il ne faut pas « faire de la peine au pape » ! Pourtant ce ne sont pas des fonctionnaires, mais les successeurs des apôtres ! Mais le mode de nomination des évêques, qui depuis longtemps ne fait intervenir ni le peuple ni les corps intermédiaires, produit une homogénéité excessive. Une culture du débat, à égalité, instaurée au plus haut niveau, permettrait une désacralisation qui n’a rien d’antichrétien et l’émergence des formes juridiques, canoniques, sans lesquelles aucune réforme de l’Église catholique ne peut trouver de stabilité.

  • 1.

    Ghislain Lafont, Histoire théologique de l’Église catholique. Itinéraire et formes de la théologie, Paris, Cerf, 1994, p. 272-273.

Jean-Claude Eslin

Philosophe, lecteur et commentateur, entre autres, d'Hannah Arendt et de Max Weber, il s'intéresse aux interrogations politiques contemporaines, notamment la place faite à la religion dans la société moderne. Il intervient régulièrement dans la revue sur la situtaion, notamment institutionnelle, de l'Eglise catholique en France. Il travaille aussi sur la question européenne, la relation à…

Dans le même numéro

Tous périurbains !

Le vote protestataire, la maison individuelle et la voiture

Pourquoi devenir périurbain ? Toulouse, Lyon, Strasbourg…

La banlieue, entre rêve américain et mythe politique français

Réorganiser le territoire : le défi de la démocratie urbaine