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 Jarosław Kaczyński, 2018 | Wikimédia
Jarosław Kaczyński, 2018 | Wikimédia
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Une petite tristesse de Kaczyński…

décembre 2019

Dans la suite des élections européennes, il avait pensé rassembler une majorité écrasante de voix et ce n’était pas le cas. Publiés le lendemain, les résultats officiels ont donné huit millions de voix au PiS (et à deux petits partis alliés), neuf millions à trois partis de l’opposition républicaine et un million trois cent mille à l’extrême droite. Le PiS n’est donc pas majoritaire.

Le soir des élections législatives en Pologne, le dimanche 13 octobre, la plupart des observateurs ont détecté ce que l’un d’eux a nommé «  une petite tristesse de Kaczyński  ». Le leader du Parti Droit et justice (PiS), pourtant grand vainqueur, se réjouissait d’avoir acquis une majorité de députés à la Diète et remerciait ses électeurs sous les hourras de ses partisans, mais il concluait sur ce regret : «  Nous avons reçu beaucoup, mais nous méritions mieux.  » Il va falloir réfléchir, ajoutait-il, sur «  ce qui a conduit une partie de la société à penser que nous ne devions pas être soutenus  ». Il se montrait déçu. Dans la suite des élections européennes, il avait pensé rassembler une majorité écrasante de voix et ce n’était pas le cas. Publiés le lendemain, les résultats officiels ont donné huit millions de voix au PiS (et à deux petits partis alliés), neuf millions à trois partis de l’opposition républicaine et un million trois cent mille à l’extrême droite. Le PiS n’est donc pas majoritaire. Pire, il perd une douzaine de sénateurs (sur cent) et donc la majorité à la chambre haute (49/51).

Un succès mitigé

Cette «  tristesse  » trahit à elle seule l’enjeu de ce résultat. Elle nous interroge sur la solidité du projet «  national populiste  » ou «  illibéral  », sur le «  bon changement  » engagé par le PiS. Tout au long de la campagne, ses chefs de file ont présenté ces élections comme «  les plus importantes depuis trente ans  », la «  bataille finale contre le post­communisme  ». Ils espéraient une majorité constitutionnelle (aux deux tiers), or malgré un taux de participation exceptionnel (62 %), leur majorité à la Diète s’annonce moins confortable. Avec un nombre inchangé d’élus (235), le PiS se heurtera à une opposition pluraliste et renforcée, avec les libéraux de la Coalition civique (134 députés), le parti paysan (30 députés), la gauche (49 députés) et l’extrême droite (11 députés). Dès lors, la perspective de l’élection présidentielle début 2020 devient hasardeuse.

Ce succès mitigé interroge effectivement les raisons qui ont poussé une partie de son électorat à ne pas soutenir le PiS. Selon les enquêtes sociologiques, cela viendrait du côté des classes moyennes qui l’avaient massivement soutenu en 2015, et de la jeunesse captée par l’extrême droite (dont la moitié des électeurs ont moins de 30 ans !). Le profil sociodémo­graphique de l’électorat du PiS est «  plus marqué qu’il y a quatre ans  », précise un politologue : «  Il est dominé par des classes de transfert, des personnes qui vivent principalement de la redistribution, en dehors du marché du travail et qui ont besoin d’aides. Pas tous, mais cette particularité de l’électorat est beaucoup plus prononcée qu’auparavant[1].  » Un repli qui indique une certaine fragilité. Il ne met pas encore en péril les points fort du pouvoir en place : sa capacité à construire un roman national rassurant, ses initiatives sociales (allocations familiales, retraites, etc.), une promesse de sécurité individuelle et collective, un repli sur les valeurs morales tradi­tionnelles et son alliance avec l’aile la plus conservatrice de l’Église[2]. Il suggère seulement son incapacité à satisfaire une partie de la population, surtout des grandes villes, sensible aux «  trois S  », expression qui désigne les trois conflits les plus importants cette dernière année : les réformes de l’enseignement (Szkoła), du système de santé (Szpital) et de la Cour consti­tutionnelle (Sąd). Ils ont donné lieu à des grèves longues et massives, et à de grandes manifestations en défense de la Constitution et de l’État de droit. Le soutien massif à des élus locaux indépendants, lors des élections municipales de 2018, indiquait le même phénomène.

Une nouvelle génération

Que peut espérer l’opposition dans ce contexte ? Elle ne manque pas de moyens. Elle est à la tête du Sénat, des grandes villes et de la plupart des villes moyennes. Encore faudrait-il qu’elle s’en serve efficacement. Elle est divisée. Entre le PSL (parti paysan) qui s’est allié avec un transfuge de l’ancienne majorité conservatrice (le rockeur Kukiz), sur une base qu’il annonce «  centriste  », et la gauche qui s’est reconstituée sur une base nouvelle, la distance est grande. La gauche revient à la Diète, dont elle avait été exclue en 2015, avec une jeune génération de responsables. Ses élus sont en complète rupture avec la filiation communiste d’avant 1989. Elle ­comprend trois partis, dont deux liés aux mouvements sociaux de ces dernières années. Elle s’est présentée sur une plateforme unitaire, une alternative programmatique cohérente, sociale, écologique et sociétale. Elle prévoit de s’unifier en un seul parti (ou du moins un groupe parlementaire), ce n’est pas encore fait.

Surtout, l’opposition est représentée par la grande perdante de ce scrutin, la Coalition civique, autour du parti libéral de Donald Tusk (PO, Plateforme civique). Celle-ci a perdu une trentaine de sièges et n’a pas su mener une campagne convaincante. Elle souffre d’au moins deux handicaps. Elle se montre incapable de renouveler ses cadres et sa direction, les processus de nomination sont engloutis dans les conflits de personnes, alors que quelques quadras de qualité sont sur les rangs. Le second handicap tient à la vacuité de son programme. Rien de nouveau ni d’enthousiasmant n’a été avancé ces dernières années par PO, alors qu’elle a gouverné les huit années qui ont précédé le PiS. Les «  hommes providentiels  » potentiels, tel Donald Tusk, demeurent vagues, et n’emportent plus les convictions. Or chacun sait que les belles années de l’économie polonaise sont passées, que les difficultés arrivent (notamment en cas de récession allemande) et que, très probablement, des mouvements sociaux vont secouer le pays à l’avenir.

La force du PiS tient donc aussi de ces faiblesses de l’opposition. Des voix en Pologne appellent à «  un pacte présidentiel  » contre le président sortant, Andrzej Duda, déjà parti en campagne pour l’élection de 2020. Pas sûr qu’elles soient entendues. Conscient de son affaiblissement et habile politicien, Jarosław Kaczyński durcit ses positions. Il exige la rapide «  repolonisation  » des médias, la mise au pas des juges, des universitaires, des historiens et des artistes. Les délires nationaux catholiques redoublent d’inventivité. Il fait des mouvements Lgbt et de l’éducation sexuelle à l’école les nouvelles menaces.

Aussi la Pologne est-elle encore dans l’incertitude. Ces élections n’ont été ni le coup de grâce attendu par les uns ni le sauvetage de la démocratie. Elles ne prendront leur signification réelle qu’à partir de la présidentielle, ce printemps : soit l’opposition unie gagne, ce qui provoquerait une crise institutionnelle et un recul du PiS, soit le président actuel est reconduit et l’autoritarisme se renforcera. Ces deux options sont également possibles, à moins que…

[1] - Entretien avec Radosław Markowski, Gazeta Wyborcza, 16 octobre 2019.

[2] - Voir le dossier «  Un nouvel autoritarisme en Pologne  », Esprit, mars 2019.

Jean-Yves Potel

Historien et politologue, spécialiste de l’Europe centrale (IEE – université de Paris 8), sur laquelle il a publié une quinzaine d'ouvrages dont Les Disparitions d’Anna Langfus (Noir sur blanc, 2014) et L’Europe nue (à paraître à l’automne 2002).

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