Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

 1ère session de l’Assemblée nationale populaire entre le 5 et 20 mars 2018. Domaine public via Wikimédia VOA
1ère session de l'Assemblée nationale populaire entre le 5 et 20 mars 2018. Domaine public via Wikimédia VOA
Dans le même numéro

Une Inquisition rouge

Le Parti communiste chinois, malade du contrôle

En augmentant le nombre de ses membres, ainsi que son influence sur la société chinoise comme à l’étranger, le Parti communiste chinois semble au faîte de sa puissance. À l’intérieur, cependant, l’appareil disciplinaire rend tout débat impossible et coupe la direction de sa base, favorisant ainsi l’immobilisme.

Avec le XXe Congrès national du Parti communiste chinois (PCC) d’octobre 2022 s’ouvre une séquence politique importante, marquant la fin du second mandat de Xi Jinping en tant que secrétaire général du Parti et président de la République populaire de Chine. Cette période de transition se clôturera avec le rendez-vous annuel de l’Assemblée nationale populaire, prévu au printemps 2023.

Le Congrès national du PCC se réunit tous les cinq ans. Plus de deux mille délégués se retrouvent à Pékin, représentant les quelque quatre-vingt-seize millions de membres du Parti. Sa fonction principale est d’élire le nouveau comité central du Parti, composé d’environ trois cent cinquante membres, titulaires et suppléants, issus de postes clés au sein de l’administration centrale et locale, des entreprises d’État et de l’armée. Le comité central sélectionne alors, en son sein, une vingtaine de dirigeants qui forment un bureau politique ainsi que le comité permanent du bureau politique : les cadres les plus puissants du pays. Quelques mois plus tard, l’Assemblée nationale populaire nomme les hauts dirigeants de l’État, dont le président de la République, issus dans leur grande majorité de l’équipe dirigeante du PCC récemment nommée.

Bien qu’elle suive des procédures réglées, la séquence actuelle est caractérisée par l’immobilisme. Au lieu de laisser la place à une nouvelle génération de dirigeants après dix ans de règne, Xi Jinping est prêt à rester au pouvoir pour un troisième mandat. Il remet ainsi en question les principes de succession à la tête du PCC, mis en place depuis la fin des années 1980. Si ces principes n’étaient que partiellement institutionnalisés, ils permettaient une passation de pouvoir relativement pacifique au sommet de l’État-Parti. Cette absence de passation de pouvoir au sommet de l’organisation est aussi symptomatique des évolutions à l’œuvre au sein du Parti sous Xi Jinping, à la fois d’une concentration croissante du pouvoir entre ses mains que d’une réaffirmation de la primauté du PCC.

Ces dernières années, la suprématie du PCC n’a cessé de s’affirmer. Cela se manifeste dans la croissance de l’organisation et dans sa pénétration de la société, de l’économie, mais aussi de l’État chinois. Comme le note la charte du PCC depuis son amendement en 2017 : « Parti, gouvernement, armée, société et éducation – à l’est, à l’ouest, au sud et au nord, le Parti dirige sur tous les fronts. » Cela prend aussi la forme d’un tournant disciplinaire au sein du PCC. Ses membres sont appelés à ne pas oublier la « mission fondatrice » de l’organisation et à obéir de manière inconditionnelle à son « noyau », Xi Jinping. Si « l’arme organisationnelle » est un des piliers de la stabilité du régime, on peut se demander ce que cet expansionnisme sans limite du Parti augure pour son avenir. Quelle place reste-t-il en son sein pour le débat et la discussion quand Xi Jinping concentre tous les pouvoirs et pourchasse les cadres dont il doute de la loyauté ?

Un parti expansionniste

Le PCC ne cesse de recruter de nouveaux membres. Il en compte désormais autour de quatre-vingt-seize millions, soit plus de 6 % de la population du pays. Il a aussi montré, en particulier depuis les années 1990, sa capacité de se transformer de l’intérieur, en cooptant les membres de l’élite émergeant des réformes de libéralisation économique engagées à la fin des années 1970. Après le mouvement étudiant de 1989 et sa répression, le PCC a mis l’accent sur le recrutement d’étudiants et de jeunes diplômés. Au début des années 2000, Jiang Zemin a levé l’interdiction de recruter des capitalistes, considérés jusqu’alors comme des ennemis de classe, afin que le PCC ne représente plus uniquement les classes « révolutionnaires » (ouvriers, paysans et militaires) mais aussi « les forces productrices avancées » du pays. Le Parti s’adapte ainsi à une société en transformation en cooptant des hommes et femmes d’affaires. Le résultat est que le PCC est rapidement devenu de plus en plus élitiste. Déjà en 2010, les diplômés du supérieur égalaient le nombre de paysans et ouvriers dans ses rangs. Dix ans plus tard, le Parti compte 50 % de membres diplômés du supérieur pour moins de 35 % d’ouvriers et paysans1.

L’élargissement du recrutement s’accompagne d’une plus grande pénétration de la société par la structure organisationnelle du PCC. Plus de cinq millions de cellules du Parti tapissent la société chinoise : elles sont présentes dans toutes les localités, administrations, ainsi que dans la plupart des entités du secteur public, entreprises ou structures associatives. Ces cellules du Parti permettent de coordonner les activités de l’organisation et de faire remonter les informations provenant de la base. Dans un système léniniste comme la Chine, ces cellules ne rendent des comptes qu’aux organes supérieurs du Parti et sont rarement tenues légalement responsables par les tribunaux, et agissent ainsi largement en dehors des règles de droit.

Le nombre de cellules du Parti a augmenté rapidement depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, notamment au sein du secteur associatif et des entreprises privées, afin de surveiller et parfois d’influencer ces entités. Il est désormais obligatoire, pour toute entreprise cotée sur le marché chinois, d’établir une cellule du PCC. La pénétration du secteur privé par le PCC est particulièrement nette au sein des grands groupes : plus de 90 % des cinq cents plus grandes entreprises chinoises hébergent une cellule du Parti. L’objectif du Département de l’organisation du Parti, qui a pour mission de gérer ses ressources humaines, est de « couvrir de manière exhaustive » le secteur privé2.

Mais, au-delà de leur nombre, ces cellules du PCC voient aussi leur rôle changer. Dans les entreprises privées par exemple, elles ne jouaient jusqu’à récemment qu’un rôle secondaire, principalement lié au recrutement et à la formation de nouveaux membres, ainsi qu’à l’organisation d’activités sociales et culturelles pour ces derniers. Or des directives du Parti datant de 2020 et visant à développer un « système d’entreprises modernes aux caractéristiques chinoises » demandent aux entreprises privées « d’adhérer au principe selon lequel le Parti possède un pouvoir de décision en matière de ressources humaines3 ». Selon Ye Qing, vice-président de la Fédération chinoise de l’industrie et du commerce, cela implique la subjugation de la gestion du personnel à l’autorité du Parti4. L’objectif est que recrutements et licenciements soient soumis à l’accord préalable des cellules du Parti. Ye Qing recommande également aux entreprises de mettre en place une structure de surveillance et d’audit sous l’autorité du PCC, visant à garantir le respect de la loi par l’entreprise, mais aussi à gérer les manquements à la discipline et autres « comportements anormaux » des employés. L’appareil disciplinaire du Parti s’étend alors également aux employés de l’entreprise qui ne sont pas membres du PCC.

Illustration de cet expansionnisme du Parti, la suggestion d’internautes que les trois astronautes de la station spatiale chinoise Tianhe, tous trois membres du PCC, puissent créer la première cellule du Parti dans l’espace a été récemment relayée par la presse étatique (il suffit d’un minimum de trois membres pour créer une cellule). Au-delà de ce coup symbolique, le PCC exporte en effet ses structures au-delà des frontières chinoises. Alors que, jusque dans les années 2000, la surveillance et l’administration des citoyens chinois à l’étranger passaient principalement par les ambassades et consulats, le nombre croissant de membres du Parti établis à l’étranger – des officiels de l’État-Parti, mais aussi des employés d’entreprises ou des étudiants – donne un rôle croissant au PCC hors de la Chine5. Ces structures jouent, semble-t-il, principalement un rôle de surveillance et de mobilisation des Chinois à l’étranger. Elles doivent notamment s’assurer que ceux-ci ne soient pas corrompus par les « forces internationales hostiles », mais aussi qu’ils n’entachent pas la réputation de la Chine à l’étranger. On sait toutefois peu de choses de ces enclaves de contrôle politique car, allant à l’encontre des pratiques, voire des lois des pays où elles sont implantées, elles doivent souvent fonctionner clandestinement6.

Les velléités hégémoniques du PCC ne sont cependant pas uniquement tournées vers la société chinoise, mais aussi vers l’État-Parti chinois lui-même. Comme le souligne le PCC, il faut « diriger la lame du couteau vers l’intérieur7  », ce qui se traduit par un renforcement de la primauté du Parti aux dépens des structures étatiques. Cela prend la forme d’une multiplication de commissions et autres groupes de coordination qui conduisent les politiques économiques, étrangères, de sécurité, ou encore la discipline interne au Parti. Ces structures rassemblent les dirigeants des principales administrations, du Parti et de l’État, concernées. On retrouve par exemple, à la tête de la commission centrale des affaires étrangères, le ministre des Affaires étrangères, mais surtout les dirigeants du Parti qui ont le dernier mot en matière de politique extérieure : le membre du bureau politique du PCC Yang Jiechi, ainsi que Xi Jinping lui-même. Reléguant l’appareil étatique au second plan, ces structures entérinent le poids prépondérant des hauts dirigeants du PCC dans la prise de décision, et en particulier le rôle de Xi Jinping, qui en dirige personnellement un grand nombre.

Allant à contre-courant de la volonté de séparer l’État du Parti, constamment mise en avant par les dirigeants chinois depuis le lancement des réformes économiques bien que jamais véritablement mise en œuvre, la tendance est désormais à la fusion des deux, sous l’égide du PCC. Avec le « Plan pour l’approfondissement de la réforme des institutions étatiques et partisanes » de 2018, le PCC a annoncé l’absorption de nombreuses structures étatiques, touchant aux questions de propagande, aux affaires ethniques et religieuses, ou encore à la gestion des fonctionnaires qui se retrouvent alors soumis à l’appareil disciplinaire du Parti.

Une Inquisition rouge

Ces dernières années ont été marquées par un renforcement de l’appareil disciplinaire du PCC. En arrivant au pouvoir, Xi Jinping a lancé une campagne anti-corruption sans précédent. Ces dix dernières années, plus de onze millions de membres du PCC ont fait l’objet de mesures disciplinaires8. En plus de son envergure, la campagne anti-corruption de Xi Jinping se distingue des précédentes en visant des officiels de très haut rang au sein de l’État-Parti, des « tigres ». C’est la première fois qu’une campagne de ce type cible, par exemple, un ancien membre du comité permanent du bureau politique du PCC : Zhou Yongkang, ancien secrétaire de la commission des affaires politiques et judiciaires du PCC. Dans un système où la corruption est endémique, Xi Jinping a su utiliser cette campagne comme une arme politique afin de démanteler les réseaux concurrents.

L’originalité de cette campagne tient aussi à son installation dans la durée. La lutte intensive contre la corruption et l’hétérodoxie politique est la nouvelle norme de la politique chinoise sous Xi. Elle a été institutionnalisée par l’adoption, en 2018, de la loi nationale de supervision et la création d’un système de commissions de supervision chargées de surveiller tous les employés du secteur public, avec à son sommet la commission nationale de supervision. Si, en apparence, ce système renforce les outils disciplinaires extérieurs au Parti, il est en fait sous le contrôle effectif de la commission de discipline et d’inspection du PCC. Via les commissions de supervision, le PCC étend alors son emprise disciplinaire au-delà de ses frontières organisationnelles : il peut désormais cibler des employés du secteur public qui ne sont pas membres du Parti.

Ce tournant disciplinaire va bien au-delà des questions de corruption et prend une tournure inquisitoriale. Les dirigeants actuels utilisent l’appareil disciplinaire du Parti afin de punir, en marge du système judiciaire, tout membre du PCC dont ils doutent de la loyauté. L’historien Timothy Cheek fait un parallèle entre l’Inquisition comme bras armé de l’Église catholique lors de la Contre-Réforme et l’appareil disciplinaire du Parti chapeauté par la commission de discipline et d’inspection9. Cette Inquisition rouge n’a toutefois d’autre dogme que la discipline organisationnelle et l’obéissance aveugle au chef.

Dans ce cadre, des pratiques maoïstes traditionnelles sont recyclées, pour s’assurer non plus de la pureté idéologique des cadres et membres du Parti, mais de leur allégeance à l’organisation et à son chef. Depuis 2013, tous les membres et cadres du PCC sont appelés à prendre part à des « réunions de vie démocratique ». Avec ces réunions, le PCC remet de fait au goût du jour les sessions de critique et autocritique qui avaient marqué l’ère maoïste. Les participants doivent faire pénitence de leurs comportements, perçus comme déviants, et dénoncer leurs collègues10. Les membres du Parti doivent aussi régulièrement participer à des séances de formation sur l’histoire et la ligne politique du PCC. Alors que le Parti fait la chasse au « nihilisme historique » dans les médias, les écoles, ou encore sur Internet avec la création d’un site permettant aux citoyens de dénoncer des cas de nihilisme, ces formations propagent une « vision correcte de l’histoire », en particulier des cent ans d’histoire du PCC11. Elles sont aussi l’occasion pour les membres du Parti de rectifier leur pratique politique et de renforcer leur « esprit de Parti ».

Le retour en force de la notion d’esprit de Parti, initialement développée dans le contexte des campagnes de rectification des années 1930-194012, incarne la vision englobante de la loyauté politique qui se dessine sous Xi Jinping, touchant aussi bien à la discipline professionnelle qu’à l’éthique personnelle et la vie privée. Le PCC appelle désormais à « renforcer la surveillance [du comportement des cadres] en dehors du lieu de travail, enquêtant sur leur moralité, leur éthique professionnelle, leur éthique familiale, leur intégrité personnelle, etc. ». De plus, les relations personnelles qu’entretiennent les cadres est un facteur de plus en plus important dans l’évaluation de leur loyauté. Les récurrentes attaques officielles dirigées vers les « officiels nus » illustrent ce phénomène. Ces officiels, dont les enfants ou conjoints vivent à l’étranger, sont présentés comme facilement corrompus, voire prêts à faire défection. Plus généralement, les cadres et membres du Parti peuvent aisément être taxés de « fausse loyauté », un terme qui peut englober des comportements très variés, comme l’illustre cette définition fournie par une école provinciale du Parti : « Premièrement, ceux qui ne s’intéressent au marxisme qu’en surface, croyant en réalité à leurs maîtres de Fengshui et n’ayant que leur richesse et intérêt personnel à cœur. Deuxièmement, ceux qui sont travailleurs en apparence mais mangent, boivent et s’amusent en privé. Troisièmement, ceux qui prétendent s’impliquer dans le développement économique du pays et qui, dans le dos du Parti, abusent de leur pouvoir pour leur gain personnel. […] Quatrièmement, ceux qui se comportent comme s’ils étaient dévoués au service public mais qui, sous la table, mélangent administration et affaires. […] Cinquièmement, ils sont membres et dirigeants du Parti en surface, mais […] ils voient les pays étrangers comme des échappatoires et sont toujours prêts à déserter le navire13. »

Cette quête de loyauté absolue est présentée par l’administration actuelle comme une condition sine qua non pour la survie du Parti. Comme l’a répété Xi Jinping, si pas un seul homme ne s’est avéré suffisamment courageux pour agir lorsque l’Union soviétique a éclaté, c’est parce que « la majorité des membres du Parti étaient des faux communistes […] et notre Parti serait en phase terminale si nous ne les purgions pas14 ». De récentes directives disciplinaires du Parti notent ainsi que ses membres ne peuvent être « hésitants quant à leurs idéaux » ou avoir des « positions molles sur les questions importantes impliquant la direction du Parti », car ils ne pourraient faire face aux moments difficiles15.

Une organisation malade de contrôle

La discipline organisationnelle n’est évidemment pas un phénomène nouveau. Les prédécesseurs de Xi Jinping usaient aussi de campagnes de rectification des cadres pour purger leurs potentiels opposants et imposer leur ligne politique. S’ils devaient suivre les ordres et formellement signifier leur loyauté, une certaine diversité d’opinion était toutefois tolérée parmi les officiels depuis les années 1980. J’ai pu apprécier cette diversité lors d’entretiens avec de jeunes cadres du PCC au milieu des années 201016. L’homogénéité de leur manière de se présenter, alors qu’ils apprenaient à parler et à se comporter comme des dirigeants en devenir, cachait des opinions politiques très variées. Si aucun n’était démocrate, certains pouvaient défendre les politiques économiques les plus libérales, alors que d’autres se réclamaient du néo-maoïsme. Cette approche formaliste de l’appartenance politique permettait au PCC de maintenir un subtil équilibre entre cohésion et pluralisme en son sein, et d’exiger de ses cadres d’être à la fois obéissants et innovants. Cet équilibre fragile est remis en question par l’activisme et la dévotion au chef sous Xi Jinping.

Toute opinion dissidente est désormais réduite au silence à l’intérieur de l’organisation.

Toute opinion dissidente est désormais réduite au silence à l’intérieur de l’organisation. Comme le note, à propos de la campagne anti-corruption, Cai Xia, ancienne professeure à l’École centrale du PCC désormais réfugiée aux États-Unis après avoir critiqué Xi Jinping, « Xi a utilisé cette tactique pour purger les opinions divergentes au sein du Parti17 ». L’administration actuelle est revenue sur les réformes engagées dans les années 2000, qui visaient à développer la « démocratie interne au Parti » en aménageant une place, bien que limitée, pour le débat et en injectant une esquisse de compétition interne à l’organisation. Les officiels de l’État-Parti, y compris ceux déjà en retraite, ont ainsi désormais pour interdiction d’exprimer ouvertement des opinions contraires à la ligne politique du moment.

En limitant les discussions en interne, le pouvoir court le risque de se déconnecter de sa base et de s’enfermer dans une caisse de résonance sans que personne n’ose remettre en cause la politique menée. Les quelques voix, même très officielles, qui questionnent la politique « zéro Covid » du gouvernement sont par exemple rapidement censurées, limitant les retours de terrain et donc la capacité des autorités à affiner leur approche. Cet étouffement des discussions internes est d’ailleurs largement contreproductif car, en l’absence de canaux de communication, les rumeurs qui circulent prennent une ampleur démesurée malgré l’absence de preuves tangibles, comme la rumeur de coup d’État qui a émergé fin septembre18.

La mise sous pression des cadres de l’État-Parti mène par ailleurs à l’immobilisme, ceux-ci refusant de prendre la moindre initiative par crainte d’être sanctionnés. Le terme tangping ou « rester allongé » incarne cet état d’esprit, qui se retrouve aussi bien chez des cadres de l’État-Parti que chez des jeunes désabusés par une société ultra-compétitive. Dans ces conditions, nous pouvons d’ailleurs nous poser la question de la capacité de l’État-Parti à demeurer attractif pour les jeunes Chinois. Si la demande n’a jamais été aussi élevée pour entrer dans l’administration, cela semble largement le résultat du manque d’opportunités qui sont offertes à ces derniers et du chômage massif, lié à la pandémie de Covid-19, qui les touche, plutôt que d’un véritable engouement pour l’État-Parti, posant la question de son maintien sur la durée.

La séquence politique actuelle qui voit Xi Jinping reconduit à la tête de l’État-Parti illustre l’ossification du régime. Il ne s’agit toutefois que de la partie la plus visible des évolutions à l’œuvre au sein du Parti, la quête d’une discipline absolue et d’un dévouement sans faille à Xi Jinping transformant l’organisation en profondeur. Le PCC est un des plus grands partis politiques du monde et ne fait que s’étendre davantage, que ce soit en nombre de membres, en influence sur la société chinoise ou même à l’étranger. Malgré ses tendances expansionnistes, le PCC se replie de plus en plus sur lui-même. L’organisation devient moins pluraliste, en tout cas en surface, les pratiques inquisitoriales de l’appareil disciplinaire rendant le débat impossible. Le résultat est une équipe dirigeante de plus en plus déconnectée de sa base et un immobilisme croissant de la part d’une administration étouffée par la peur du châtiment. « L’auto-révolution » du Parti, voulue par Xi, remet alors en question la capacité d’adaptation de l’organisation et ainsi, in fine, sa survie de long terme.

  • 1. Voir Nis Grünberg, “Who is the CCP? China’s Communist Party in infographics” [en ligne], Mercator Institute for China Studies, 16 mars 2021.
  • 2. Voir Jude Blanchette, “Against atrophy: Party organisations in private firms”, Made in China, vol. 4, no 1, janvier-mars 2019.
  • 3. « Opinion sur le renforcement du travail de front uni au sein de l’économie privée de la nouvelle ère », Bureau général du Parti communiste chinois, 15 septembre 2020.
  • 4. Ye Qing, « Promouvoir la fusion du système de direction du Parti et du système de gestion des entreprises privées », China Business Times, 17 septembre 2020.
  • 5. Voir Bethany Allen-Ebrahimian, “The Chinese Communist Party is setting up cells at universities across America”, Foreign Policy, 18 avril 2018.
  • 6. Voir Frank N. Pieke, “The CCP as a global force”, dans Jérôme Doyon et Chloé Froissart (sous la dir. de), The CCP at 100 years, Camberra, Australian National University Press, à paraître.
  • 7. Voir Wu Guoguang, “Killing the different dreams, keeping the same regime: Xi Jinping’s ten-year struggle to remake CCP elite politics” [en ligne], China Leadership Monitor, 1er septembre 2022.
  • 8. Ibid.
  • 9. Voir “Timothy Cheek on ideology in China under Xi Jinping” [en ligne], Center for Advanced China Research, 17 juin 2022.
  • 10. « Directives sur la vie interne au parti dans un nouveau contexte », Bureau général du Parti communiste chinois, 27 octobre 2016.
  • 11. Voir Simon Denyer, “China criminalizes the slander of its ‘heroes and martyrs, ’ as it seeks to control history”, The Washington Post, 27 avril 2018.
  • 12. Voir Frank N. Pieke, “Party spirit: Producing a communist civil religion in contemporary China”, Journal of the Royal Anthropological Institute, vol. 24, no 4, décembre 2018, p. 709-729.
  • 13. École du Parti de la province du Hubei, « S’opposer fermement et clairement à la “fausse loyauté” », Qiushi, 25 janvier 2018.
  • 14. Voir Lance Gore, “Xi Jinping’s misguided return to ideology” [en ligne], ThinkChina, 8 juillet 2022.
  • 15. « Régulations pour promouvoir et rétrograder des cadres dirigeants », Bureau général du Parti communiste chinois, 19 septembre 2022.
  • 16. Jérôme Doyon, Rejuvenating Communism: Youth Organizations and Elite Renewal in Post-Mao China, Ann Arbor, University of Michigan Press, à paraître en 2023.
  • 17. Entretien avec Cai Xia, “China’s Xi faces no ‘power to constrain him’” [en ligne], Radio Free Asia, 5 octobre 2020.
  • 18. Voir James Palmer, “What a false coup rumour reveals about Chinese politics”, Foreign Policy, 28 septembre 2022.

Jérôme Doyon

Maître de conférence en relations internationales à l’Université d’Édinbourg, il est notamment l’auteur de Rejuvenating Communism: Youth Organizations and Elite Renewal in Post-Mao China (University of Michigan Press, à paraître en 2023).

Dans le même numéro

Chine : la crispation totalitaire

Le xxe Congrès du PCC,  qui s'est tenu en octobre 2022, a confirmé le caractère totalitaire de la Chine de Xi Jinping. Donnant à voir le pouvoir sans partage de son dictateur, l’omniprésence et l'omnipotence d'un parti désormais unifié et la persistance de ses ambitions globales, il marque l’entrée dans une période d'hubris et de crispation où les ressorts de l'adaptation du régime, jusque-là garants de sa pérennité, sont remis en cause. On observe un décalage croissant entre l’ambition de toute-puissance, les concepts-clés du régime et le pays réel, en proie au ralentissement économique. Le dossier de novembre, coordonné par la politologue Chloé Froissart, pointe ces contradictions : en apparence, le Parti n’a jamais été aussi puissant et sûr de lui-même, mais en coulisse, il se trouve menacé d’atrophie par le manque de remontée de l’information, la demande de loyauté inconditionnelle des cadres, et par l’obsession de Xi d’éradiquer plutôt que de fédérer les différents courants en son sein. Des failles qui risquent de le rendre d'autant plus belliqueux à l'égard de Taiwan. À lire aussi dans ce numéro : Le droit comme œuvre d’art ; Iran : Femme, vie, liberté ; Entre naissance et mort, la vie en passage ; En traduisant Biagio Marin ; et Esprit au Portugal.