
Féminisme en Corée
Selon le Forum économique mondial, la Corée du Sud est classée au 115e rang sur 149 pays en termes de parité[1]. De même, The Economist rapporte le grand écart de salaires entre femmes et hommes (36, 7 %), ainsi que le faible taux de participation des femmes aux conseils d’administration des grandes entreprises (2, 1 % en 2017)[2]. Ces chiffres révèlent la vulnérabilité de la condition des femmes en Corée et l’épaisseur du plafond de verre dans les entreprises. S’y ajoute un recrutement discriminatoire, dans les secteurs public et privé, qui témoigne de la réalité d’un système de domination masculine en Corée du Sud.
Deux facteurs se conjuguent pour expliquer une telle situation de précarité. Premièrement, le confucianisme exige le sacrifice des femmes et leur asservissement à la vertu de la famille. Toutes les institutions sociales (la famille, l’école, l’entreprise) sont marquées par la hiérarchie entre hommes et femmes, alors même que les femmes sont plus scolarisées que les hommes dans le supérieur. L’idéologie de la virginité féminine est fortement ancrée dans l’inconscient collectif. La loi condamne toujours l’avortement et le droit de disposer librement de son corps n’est pas encore acquis pour les femmes. Au lieu de promouvoir la parité, la société coréenne préconise aux femmes la douceur, la beauté et la soumission, les réduisant ainsi au corps désirable, sexuellement disponible pour les hommes, ou bien au corps fécond qui perpétue la lignée patronymique. En d’autres termes, la valeur des femmes réside dans leur corps docile et exploitable par les hommes.
Deuxièmement, le progrès technologique est mis au service de la culture misogyne. Ainsi, par le moyen des smartphones et des objets connectés, tous les recoins de la vie quotidienne sont transformés en lieux d’espionnage sexuel. Les caméras espionnes investissent les toilettes publiques et les vestiaires, les piscines et les rues, mais aussi l’école, l’hôpital et la maison. Les images du corps des femmes s’échangent en ligne entre hommes à un certain prix. Cette violence sexuelle vise à assurer la suprématie masculine et à faire peur aux femmes.
Dans un tel contexte d’hostilité à l’égard des femmes, le féminisme coréen a pris un essor certain depuis 2015. De tout âge, des femmes se proclament féministes pour résister aux conservatismes et aux stigmatisations sociales, au-delà du monde universitaire ou militant spécialisé dans lequel le féminisme était jusqu’alors cantonné. Elles luttent contre le sexisme et les violences contre les femmes. Face à une réalité cruelle, elles décident de ne plus avoir peur des hommes et de prendre leur destin en main, notamment à l’aide de forums sur Internet et dans le cadre de séminaires qui réunissent de nombreuses participantes.
Pour la première fois de leur histoire, les Coréennes descendent dans la rue et manifestent pour le droit à l’interruption volontaire de grossesse, alors qu’en avril prochain, la Cour constitutionnelle devra se prononcer sur la conformité à la Constitution de la loi pénalisant l’avortement. En outre, dénonçant les caméras espionnes, elles ont organisé la plus grande manifestation de femmes, avec plus de 300 000 femmes au cours de six manifestations consécutives, pour demander le démantèlement des réseaux de violences sexuelles en ligne. Elles osent sortir dans la rue pour former un corps collectif et socio-politique qui refuse le régime patriarcal.
Cependant, dans ces manifestations pour les droits des femmes, les participantes doivent porter un masque qui leur couvre le visage pour ne pas être filmées par les caméras espionnes des lieux publics. Une telle situation démontre à la fois l’ampleur de ce fléau social et le courage des femmes qui tentent de briser cette réalité sexiste.
[1] - The Global Gender Gap Report 2018, World Economic Forum, 2018.
[2] - “Glass-Ceiling Index”, The Economist, 17 février 2018.