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Nouvelle Histoire de la Révolution française, d'Annie Jourdan et Robespierre. La fabrication d'un monstre, de Jean-Clément Martin

La Révolution française, politiquement et historiquement, n’est pas un sujet clos. Presque deux cent trente ans après son début, elle inspire encore débats et polémiques, sur sa violence, son radicalisme idéologique, la figure de Robespierre ou la guerre de Vendée. Deux livres d’historiens proposent de nouveaux regards sur cette période : cette Révolution se serait au fond apparentée à une guerre civile.

Annie Jourdan expose cette thèse dès son introduction. Nous pourrions analyser 1789 et ses conséquences comme l’affrontement entre les patriotes et leurs adversaires. La montée des tensions, les accusations de complots et la poursuite des affrontements politiques auraient expliqué la lutte des factions et l’élimination progressive des « dissidents ». Ce que la biographie de Jean-Clément Martin montre parfaitement : le tribun se retrouva victime de rivaux politiques, tout comme le Comité de salut public avait cru bon d’éliminer Danton et ses partisans, puis les hébertistes. ­Robespierre lui-même avait évité l’exécution à soixante-treize députés girondins. En prenant en compte la guerre extérieure et les menaces ­d’insurrection à l’intérieur, nous en venons à comprendre le contexte politique que devaient affronter les figures de l’Europe, qui explique, sans les justifier, leurs actions.

De cette thèse de la guerre civile provient le réexamen par Annie Jourdan de la Terreur, en tant que terme et politique. Et d’abord, qui a écrit « Notre sécurité future résultera de leur inhabilité à nous faire du tort par la distance où ils seront repoussés et par la terreur que leur inspirera la sévérité du châtiment que nous leur infligerons » ? George Washington, en 1779, à propos des futurs massacres d’Iroquois. L’historienne montre, en effet, que loin d’être une révolution « violente » par essence ou volonté, la Révolution française s’inscrit dans un héritage d’événements politiques aussi sanglants : la naissance des États-Unis et la première révolution anglaise (1642-1651). Deux actes historiques que le public anglophone désigne depuis longtemps sous l’expression de civil war pour souligner la division nationale que ces périodes créèrent. Et les guerres révolutionnaires, ­d’extension, causèrent moins de pertes que les conflits napoléoniens, alors que la figure de Bonaparte est la source de bien moins de controverses de nos jours.

La biographie de Jean-Clément Martin propose justement de dépasser les controverses sur Robespierre qui, si elles durent depuis plusieurs années dans le débat public, étaient déjà relevées par Marc Bloch. Ici, le tribun d’Arras apparaît comme un homme au milieu des factions, tentant de contenir les différentes tendances de la Révolution, sans la pousser vers le maximalisme des hébertistes et le prétendu conservatisme des girondins. Son élimination, en même temps que celle de ses partisans, signifierait, pour Jean-Clément Martin, la fin de la phase « citoyenne », démocratique, de la Révolution, avant reprise du pouvoir et du discours par les thermidoriens. Un Robespierre d’extrême gauche avant l’heure, comme certains aiment encore le défendre ? Pas totalement : s’il prôna la fraternité et la limite de la propriété, il refusa de soutenir le gel des prix des denrées de première nécessité ou la nouvelle loi agraire. Le défenseur d’un « génocide » contre les Vendéens ? En réalité, son discours précis exposait : « Il faut non seulement exterminer tous les rebelles de la Vendée, mais encore tout ce que la France renferme de rebelles contre l’humanité et contre le peuple. »

Si de telles paroles peuvent choquer en 2018, en 1793, elles s’inscrivent dans un contexte de crainte, de luttes politiques et de menace militaire. Et Robespierre prôna davantage la lutte idéologique à l’intérieur que l’action armée à l’extérieur. Enfin, il défendit les droits politiques des Noirs et une liberté totale de la presse, allant jusqu’à une vente sans censure des images « obscènes » !

Si l’ouvrage de Jean-Clément Martin propose une très bonne relecture de la période 1789-1794 à travers la personne de Robespierre, l’étude d’Annie Jourdan parcourt la décennie 1789-1799 en dépassant les frontières de la France. Nous découvrons ainsi des récits historiques méconnus, comme la République batave (1795-1806) ou la République helvétique (1798-1803), ces fameuses « républiques sœurs », expression en réalité inventée par le futur président des États-Unis James Monroe. La thèse de la guerre civile entre partisans de la révolution et défenseurs des anciens régimes tient encore à l’étranger, même dans l’apaisée Genève, qui connut elle aussi déchirements partisans, bannissements et condamnations à mort. Annie Jourdan propose enfin que Bonaparte, loin du génie diplomatique que nous lui supposons souvent, fut surtout à l’origine de dérèglements majeurs dans la relation entre la France et les régimes monarchiques, en envahissant et en ravageant les territoires clés du nord de l’Italie.

En parlant de l’Europe, mais aussi des États-Unis ou d’Haïti, l’historienne s’inscrit dans l’héritage de l’historiographie dite de la « révolution atlantique », qui met à jour des traits communs et transfrontaliers entre les bouleversements politiques du dernier quart du xviiie siècle. Ainsi, les textes des révolutionnaires américains parurent librement à Paris en 1783, ­l’esclavage à Saint-Domingue fit l’objet de très longs débats à la Convention et le modèle parlementaire britannique était connu de beaucoup de députés des états généraux. Son travail contribue donc à un nouveau discours historique plus « global » sur une révolution qui, dans les faits, ne fut pas uniquement française.

Enfin, un trait ressort dans les deux ouvrages : l’étendue de l’œuvre accomplie par Robespierre et les autres révolutionnaires en si peu de temps. L’ouverture de l’École polytechnique, du Louvre comme musée national, de musées des beaux-arts en province, la réorganisation des archives publiques, la création de 6 800 écoles primaires gratuites, la citoyenneté accordée aux juifs et aux protestants et même de nouvelles normes d’organisation des funérailles ! Le tout alors qu’une guerre civile multiple menaçait le territoire et avec la perspective d’armées coalisées aux frontières. Des accomplissements qui méritaient une nouvelle mise en avant dans l’histoire de nos institutions, trop souvent concentrée sur les piliers napoléoniens. Bonaparte qui, à sa prise de pouvoir en 1799, déclarait fameusement : « La Révolution est finie. » En histoire, du moins, elle ne s’achève toujours pas.

Louis Andrieu

Louis Andrieu

Cinéphile, il écrit sur le cinéma, les contenus audiovisuel et les images dans la Revue Esprit depuis 2013.

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