
Le désirer toujours, ne l'aimer jamais
Si l’argent est désirable parce qu’il pacifie les rapports sociaux, il devient tragique dès lors qu’il réclame d’être aimé pour lui-même. La soif de l’or oublie le sang des pauvres et, dans le capitalisme financier, prend la figure d’une passion du calcul.
L’argent figure au premier rang de ces choses que l’on désire sans parvenir tout à fait à les aimer. À la honte qui se lit sur le visage du quémandeur de rue répond la mauvaise conscience de celui qui refuse de lui donner une pièce. Il serait tellement plus agréable d’être indifférent à la monnaie. Le « grand prince » a les poches trouées, il ne mégote jamais sur les pourboires. Feinte ou réelle, son indépendance à l’égard de l’argent le place dans la situation enviable de pouvoir se consacrer à des sentiments plus nobles. L’avantage symbolique va toujours à celui qui dépense sans compter. Au point que l’on oublie souvent que la condition pour jeter l’agent par les fenêtres est d’en avoir accumulé suffisamment.
Les efforts menés depuis plusieurs décennies pour nous réconcilier sentimentalement avec l’argent n’ont pas manqué. La promotion télévisuelle du « Capital », les rêves de millionnaires relayés par les plus hautes instances de l’État, l’idolâtrie de la réussite sociale ont normalisé le désir de s’enrichir au point de le rendre naturel. Ils n’ont pourtant pas suffi à effacer complètement le soupçon moral qui pèse sur ceux qui rendent un culte à l’argent.
En ce sens, le problème posé par Max Weber dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme reste entier : le désir capitaliste d’accumulation est injustifiable par lui-même