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Comment s'opposer au président Sarkozy ?

août/sept. 2007

Qu’il paraît loin, le temps des anti-sarkozystes, cette époque de grand brassage républicain où se côtoyaient les chiraquiens des hautes sphères de l’État et les villepinistes des basses œuvres, les rappeurs énervés et les juges offusqués, les socialistes dont Éric Besson tenait la plume, les témoins anonymes convoqués par Marianne pour dire l’instabilité psychologique du candidat, enfin tout le monde … sauf Le Monde ! Mais aussi, où est passé leur épouvantail ? L’atlantiste invite à Paris tous les partis libanais, Hezbollah compris ; le communautariste confie la politique de la ville à la présidente de « Ni putes ni soumises » ; le libéral s’acharne à rayer du traité européen la concurrence libre et non faussée ; le sectaire, surtout, ouvre à tout va.

Du « tout sauf Sarkozy » au « rien hors Sarkozy », le changement est si brutal qu’on ne peut le réduire à l’état de grâce, ce moment civique nécessaire aux démocraties où les perdants rendent au suffrage universel l’hommage momentané d’un bémol mis à leurs critiques. On y décèle bien sûr la rationalisation de la décision populaire en admiration de l’intelligence du vainqueur, mais ici amplifiée à un degré inconnu par une sorte d’effet de rattrapage, voire de repentance, par rapport à la diabolisation précédente. On y trouve aussi l’habituelle curiosité pour le nouveau casting, comme on avait découvert en 1981 que des leaders de gauche pouvaient devenir ministres, comme on s’était intéressé en 1995 aux jupettes ou, en 1997, aux couples orageux formés par Dsk et Martine Aubry ou Chevènement et Voynet. La distribution actuelle pourrait concourir pour la palme du gouvernement le plus inattendu, mais le plus surprenant est encore que, passé justement l’effet de surprise, l’attention reste rivée sur le président comme si les ministres n’étaient que ses émanations … À ce point d’amplification, l’état de grâce devient un état de pulvérisation des rôles et des repères et la recherche du « néo-antisarkozysme » un travail de prospective.

Les divisions à droite

Le premier fil du nouvel antisarkozysme est sans doute l’amertume créée par l’application presque systématique du principe antichiraquien, antimitterrandien, mais un peu gaullien et sûrement chrétien « les premiers seront les derniers ». Patrick Devedjian a eu un mot qui fait époque en prônant, la veille de la constitution du gouvernement, « l’ouverture la plus large possible, même jusqu’aux sarkozystes ». Les élus de la droite alsacienne, qui avait réalisé le meilleur score aux présidentielles, n’ont pas été en reste quand ils ont appris que le représentant de la région au gouvernement serait Jean-Marie Bockel. Au-delà des frustrations, la confortable majorité parlementaire sera travaillée par deux tendances centrifuges. La première, légitimiste, plaide pour la tenue intégrale (et un peu au-delà, comme pour le passage de 20 % à 30 % de l’abattement sur l’Isf) des promesses de campagne, sécuritaires et surtout fiscales. Renaud Dutreil et Jean-François Copé la représentent assez bien et paraissent dès à présent assez déterminés à viser un changement d’équipe ministérielle à mi-mandat, sur un retour à la cohérence après la priorité donnée à la communication. La seconde, qu’on pourrait qualifier de réaliste, prend des distances avec le programme du candidat. On l’a vue à l’œuvre lors de la tentative de soustraction de la Csg et de la Crds du bouclier fiscal. Elle tente, en vain jusqu’à présent, d’en limiter les outrances en partant du constat que hors le « moral des Français » les clignotants sont à l’orange, que la croissance a peu de chance de dépasser les 2 %, que dans ces conditions la dette ne diminuera pas en 2010, que l’impatience des Européens grandit. Cette « école » se retrouve plutôt chez les centristes de la majorité, nouveaux (de Courson) et anciens (Méhaignerie) ou chez un Philippe Séguin transformé par la Cour des comptes. Cette division fait présager un moment critique comparable à la folle semaine de 1983 qui vit s’opposer les « politiques » anti-européens (Fabius déjà …) à Jacques Delors.

C’est à ce moment que François Bayrou pourra recommencer à exercer une influence à droite en rappelant son choix de rigueur économique. Mais une seconde dimension de contestation s’ouvrira à lui : celle de la défense des corps intermédiaires, de leur déontologie et de leur expérience professionnelle, malmenées et ghettoïsées par le plébiscite quotidien et organisé des mesures sarkozystes dans l’opinion. L’audience qu’il a rencontrée chez les enseignants pourrait servir de modèle. Tout d’ailleurs dans le style de Sarkozy – la réactivité, la familiarité, le primat de l’instant – fait de Bayrou l’anti-Sarkozy idéal au cas où se manifesterait un rejet de la personnalité du président.

La gauche tétanisée

La résistance la moins lisible à Sarkozy est donc celle du PS, depuis la fin des législatives. Ces élections n’ont pourtant pas été désastreuses : avant le premier tour Ségolène Royal avait mis en cause l’amputation en catimini de la promesse de détaxation des emprunts immobiliers, provoquant le désaveu instantané du ministre Woerth par le président ; avant le second, les arguments de Hollande sur la nécessité d’un rééquilibrage et de Fabius sur la Tva sociale avaient fait mouche. Mais, depuis, l’activisme sarkozyste paraît réduire à néant ces quelques acquis et chaque geste présidentiel sonne comme le signal d’un sauve-qui-peut massif ou agit comme le révélateur de rivalités personnelles. La hantise du sectarisme a changé de camp et l’on se détermine presque exclusivement par son degré de tolérance à l’ouverture, Hollande contre, Delanoé moins et, chez les jeunes, Hamon contre, Valls moins …

Les explications de fond sur la faiblesse du PS sont nombreuses et presque trop connues : un refus de voir la mondialisation et l’individualisation, une offre politique archaïque, qui éloigne l’électorat populaire, réduit l’assise dans le salariat non public et empêche l’alliance devenue nécessaire au centre. Mais elles sont insuffisantes à expliquer le désarroi et la comédie auxquels on assiste. Que Dsk puisse vouloir diriger le Fmi est naturel, qu’il soit soutenu par un président d’un bord opposé n’est qu’une modernisation bien venue de nos mœurs politiques, mais qu’il fasse ce mouvement quelques semaines après avoir juré sa détermination à rénover de toute urgence son parti est gênant, puisqu’il se plie, sans démenti, à la mise en scène d’un président qui se targue de le « présenter » au socialiste portugais Socrates, est assez dégradant. Que Jack Lang soit socialiste et professeur de droit est incontestable, qu’il prétende couvrir d’une caution socialiste l’appui personnel qu’il apportera à l’hyperprésidentialisme sarkozyen l’est beaucoup moins. Tout se passe comme si l’ivresse présidentielle des leaders de la gauche conduisait les uns à la fascination pour le vainqueur et au rejet de la discipline collective, les autres à la paralysie devant cette « cible mobile », selon le mot de Manuel Valls, et ce pouvoir nouveau qui abolit toutes les limites. Voilà pourquoi le PS, ce qu’il en reste, est déchiré entre deux options. La première est rationnelle, procédurale, conforme à ce que font les partis comparables après la défaite : choisir un nouveau leader, définir le nouveau programme qu’il défendra. Mais elle suppose un régime parlementaire et impliquerait, dès maintenant, une opposition à la réforme institutionnelle, à la pratique concentrant la souveraineté du peuple dans le président, une critique renouvelée du « coup d’État permanent » dans sa forme juvénile et tutoyeuse. La seconde paraît plus réaliste car elle part de l’engouement des Français pour leur élection présidentielle et de l’évolution américaine des partis vers des machines à désigner et soutenir un candidat libre de son programme. Mais alors mieux vaut oublier les procédures et l’élaboration collective, plutôt lire Machiavel et Napoléon, et surtout imiter Sarkozy, c’est-à-dire prendre le parti d’assaut, à l’heure dictée par les circonstances.

Michel Marian

Philosophe de formation, il travaille dans le domaine des politiques scientifiques et de recherche. Michel Marian publie régulièrement notes et articles sur la politique française dans Esprit. Il s’intéresse également à l’histoire et à la culture arméniennes, tout comme aux questions de reconnaissance du génocide arménien.…

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