
La réforme du Bac et la vie des lycées
Troisième réforme des programmes du lycée en dix ans, la réforme Blanquer sera appliquée dans des conditions quasi-normales pour la première fois cette année. Outre qu’elle n’a pas réussi à supprimer la prime aux matières scientifiques, entretenue par Parcoursup, elle a eu des effets en cascade sur l’organisation et la vie des lycées, tant pour les enseignants que pour les élèves.
L’idée est ancienne de réformer le bac, et donc le lycée, afin de coller aux évolutions et aux besoins de la société. Sans remonter bien loin, disons depuis 2007, les professeurs d’histoire- géographie dont je suis ont été confrontés à plusieurs réformes nommées d’après le ministre qui en fut l’instigateur : Darcos, Peillon, Blanquer. Celles-ci ont pris des chemins contradictoires : spécialiser ou « déspécialiser » les filières pour atteindre un même but : permettre aux élèves d’apprendre et d’être mieux armés pour leurs études supérieures.
Une succession de réformes contradictoires
La réforme Darcos rendait l’enseignement de l’histoire-géographie obligatoire en section S jusqu’en première, celui-ci devenant optionnel en terminale, alors que pour les autres sections cette matière perdurait lors de la dernière année du lycée. Ensuite, la réforme Peillon est revenue à la situation antérieure, avec l’histoire-géographie dans toutes les filières en terminale. Enfin, la réforme Blanquer est venue rebattre les cartes dans le but de mettre fin à la suprématie des matières scientifiques ou, plus élégamment dit, restaurer un équilibre qui avait disparu entre les différentes filières du bac général. Elle propose aux lycéens, dès la première, de suivre des enseignements de spécialité choisis par eux, en l’occurrence en histoire- géographie la spécialité HGGSP ou Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques qui permet une approche différente et liée au monde contemporain de différentes problématiques.
Cette introduction appliquée à l’histoire- géographie est transposable aux autres matières enseignées au lycée. Entre les réformes Darcos et Blanquer, une dizaine d’années, trois réformes essentielles successives. En se plaçant du point de vue de l’enseignant, une réforme nécessite une remise à niveau scientifique, la réécriture des cours, puis des ajustements nécessaires les premières années pour parvenir à un cours « idéal ». Revenir sur tout ou partie du programme tous les trois ans dans le cas présent ne contribue pas à enseigner de manière sereine.
Nous entrons dans la phase d’application « normale » de la réforme Blanquer. Une année sans cours en distanciel, catastrophique pour les élèves en termes d’assiduité (comment s’assurer que, de l’autre côté de l’écran, l’élève qui n’a pas allumé le son voire l’image suit vraiment ?) ou de conditions de travail (y a-t-il assez d’ordinateurs dans le foyer pour que tous les enfants puissent suivre et travailler correctement ?), mais avec des vagues d’absences dues à la Covid nécessitant des rattrapages. C’est dans ce cadre que nous pouvons tenter un premier bilan de la réforme Blanquer après cette année de fonctionnement quasi normal du lycée, du point de vue de l’enseignant et de l’élève.
Du point de vue de l’institution – les établissements et les enseignants – la réforme produit de grands changements. Au niveau du lycée tout d’abord, la réforme oblige à revoir l’organisation des matières avec l’apparition des spécialités qui s’ajoutent au tronc commun. Les matières du tronc commun font l’objet d’une évaluation en contrôle continu pour le bac (40 %), alors que les spécialités et le grand oral font l’objet d’un contrôle final au même titre que le français et la philosophie (60 %).
Pour les spécialités qui relèvent du contrôle final, d’autres difficultés sont apparues. Les épreuves se déroulent – normalement – en mars. Premier défi, avoir assez de matière pour le moment de l’épreuve, d’où la course pour avancer au risque de difficultés de maîtrise de ces notions nouvelles par les élèves. Deuxième épine, la survenance de ces épreuves aussi tôt dans l’année, expliquée par la nécessité de renseigner Parcoursup, sésame d’accès au supérieur avant mai. Mais, dès lors que l’épreuve est passée, la motivation, voire la présence des élèves, s’étiole bien qu’il reste une part importante du programme (trois mois environ) à réaliser. Le troisième trimestre est alors en partie sacrifié au lieu d’être « reconquis ». Cet effet a été ressenti cette année alors que ces épreuves avaient été repoussées en mai.
Pour le contrôle continu, les notes de l’année sont remontées dans Parcoursup. Les enseignants et les établissements sont libres d’élaborer les modalités de ce contrôle. Il est souvent mis en place des chartes (par établissement ou par matière) spécifiant les modalités du contrôle, sous la pression des parents inquiets du futur de leur enfant. Mais la pratique a révélé des stratégies de la part des élèves qui se rendent ou pas à ces évaluations au regard de leur moyenne du moment. Cela revient à « truquer » Parcoursup. Des outils permettant de déterminer si une moyenne est représentative sont élaborés et, dans le cas contraire, une évaluation en fin de période (trimestre ou semestre) viendra se substituer à ladite moyenne. Cette situation peut entraîner des disparités d’un établissement à un autre et donc des inégalités (outre des tâches supplémentaires pour les enseignants et l’établissement). En conséquence, dans le projet d’établissement, les lycées mettent en place des stratégies (présence ou absence de certaines spécialités, possible « harmonisation » des notations) qui sont des facteurs d’inégalité entre établissements et entre élèves. Désormais, le bac cesse d’être un moment d’égalité pour une cohorte d’élèves, où tous étaient amenés à travailler sur un même sujet et étaient évalués par des correcteurs extérieurs selon les mêmes critères.
Des effets en cascade
La réforme produit aussi des effets sur l’organisation de la vie du lycée. La construction de l’emploi du temps se complexifie, autant que la gestion des personnels, puisque les mêmes enseignants se partagent ces heures supplémentaires (dont une partie est issue des heures de tronc commun). Par exemple, les professeurs de français cumulent bac de première plus spé, ce qui est ingérable. Cela conduit à des aberrations : la suppression totale des mathématiques en tronc commun, par exemple. Même si le ministère a pris en compte cette situation et a rétabli cette matière sous forme d’option pour l’année scolaire 2022-2023, cette correction est intervenue si tard dans l’année qu’il a souvent été impossible aux élèves de seconde de la considérer dans leurs choix pour leur année de première. Ainsi, la carence constatée cette année va perdurer l’an prochain.
Du point de vue des élèves, la réforme produit aussi plusieurs effets. La classe est désormais composée d’un groupe ayant un minimum de cours en commun ; les élèves sont regroupés pour les cours de tronc commun, mais sont dispersés pour les spécialités. Un groupe de spécialité peut être composé d’élèves de huit classes différentes ! Cela produit un effet secondaire sur les conseils de classe, auxquels les enseignants ont du mal à se rendre puisque ceux où ils ont des élèves sont démultipliés ! Ensuite, les choix faits par l’élève en fin de seconde en fonction de ses goûts peuvent avoir des effets négatifs au moment des choix sur Parcoursup. C’est le retour à la primauté des matières scientifiques : sans maths, pas moyen d’entrer dans certaines filières. Un choix délibéré de l’élève mêlant humanités et sciences peut sur le long terme être négatif. Enfin, l’institution du grand oral est un acquis de la réforme, sensibilisant les élèves trop peu formés (ou sensibles) à l’oral. Mais cette pratique nouvelle pour une épreuve d’importance nécessite du temps. Faire passer des oraux blancs à une classe de plus de trente-cinq élèves se fait souvent au détriment des heures de cours. La personnalisation est difficile et certains élèves ont recours à des sites sur lesquels ils se procurent des plans tout faits.
Un choix délibéré de l’élève mêlant humanités et sciences peut sur le long terme être négatif.
Enfin, le découpage en spécialités renforce parfois l’individualisme, voire l’isolement, de certains élèves, mais entraîne aussi pour les enseignants des stratégies pour attirer suffisamment d’élèves pour conserver un certain nombre de groupes de spécialité, dans l’optique d’éviter de perdre des heures et/ou des postes.
Comment faire évoluer cette réforme afin que le lycée soit armé face aux problématiques de demain ? Tant qu’il n’y aura pas de consensus autour de moyens pour un lycée fédérateur et formateur, tant que la parole des enseignants ne sera pas entendue, les réformes successives sont vouées à l’échec. Le nouveau quinquennat et la nouvelle Assemblée nationale permettront-ils une approche plus consensuelle de la question ?