
Hillbilly Élégie, de James-David Vanee
J.-D. Vance ne veut pas écrire une énième histoire du rêve américain, de sa propre réussite. Il veut comprendre la déchéance et le désespoir de ces hillbillies au milieu desquels il a grandi, et dont il se sent encore faire partie.
Le livre de J.-D. Vance a été publié aux États-Unis en juin 2016, au moment où Donald J. Trump était investi candidat du Parti républicain à l’élection présidentielle. Son succès doit beaucoup à ce moment de publication et ne s’est pas démenti depuis ; l’ouvrage est devenu une sorte de guide pour comprendre ces « pauvres blancs » de l’Amérique industrielle qui ont voté pour Donald Trump – sans que jamais, ou presque, soient mentionnées les questions raciales. J.-D. Vance est né dans le Kentucky, son enfance et son adolescence ont été marquées par la toxicomanie de sa mère, les difficultés financières de sa grand-mère et de son grand-père, qui l’ont élevé, ses propres incertitudes et finalement son succès, lorsqu’après quelques années passées dans le corps des Marines, il intègre la prestigieuse école de droit de Yale. Mais J.-D. Vance ne veut pas écrire une énième histoire du rêve américain, de sa propre réussite. Il veut comprendre la déchéance et le désespoir de ces hillbillies au milieu desquels il a grandi, et dont il se sent encore faire partie. Le livre, écrit dans un style très simple qui mêle sentiment et réflexion, récit d’expérience et constats sociologiques, veut faire ressentir au lecteur le déclassement des ouvriers blancs de la rustbelt, sans pour autant les dédouaner de leurs responsabilités. J.-D. Vance le dit, il est un « conservateur moderne » et ne croit pas que l’État soit la seule solution au problème des inégalités. Il décrit même à plusieurs reprises les effets pervers des aides sociales, qui sapent la « valeur travail » et le code d’honneur des hillbillies sans leur permettre d’améliorer leur situation. J.-D. Vance n’est pas un extrémiste, il n’est pas l’un de ces représentants de l’alt-right populiste aujourd’hui au pouvoir aux États-Unis. Reçu sur tous les médias, pressenti pour une candidature sénatoriale dans l’Ohio qu’il a déclinée, le jeune homme propose en réalité un discours politique classiquement républicain, qu’il incarne dans le sang, la sueur et les larmes de son expérience personnelle : celui de la responsabilité individuelle, de l’importance de la famille et de la défiance envers le gouvernement (sauf en ce qui concerne le domaine militaire – en l’espèce, la guerre en Irak). Comme il l’écrit dans son introduction, il n’a « rien accompli d’extraordinaire » ; il a bénéficié du soutien de Mawmaw et Pawpaw, ses grands-parents attachants et hauts en couleurs, a été sauvé par la discipline des Marines, puis par sa propre capacité de travail. Si J.-D. Vance analyse son rapport à son identité – en ethnicisant au passage les « petits Blancs » – il ne s’agit pas pour lui de procéder à une auto-analyse, à une description des effets du passage d’une classe à l’autre. Il veut donner à voir la profonde crise culturelle que traversent ces populations, en habillant ses positions politiques du chaud manteau du témoignage.
Alice Béja