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Notes de lecture

Dans le même numéro

Économie utile pour des temps difficiles d'Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo

septembre 2020

Les économistes Abhijit Banerjee et Esther Duflo, spécialistes de politiques du développement, partent du constat d’un débat politique de plus en plus polarisé et d’une forte défiance à l’encontre de leur profession de la part du grand public. Dans un contexte de « temps difficiles » (guerres commerciales, Trump, fake news, nouveaux autoritaires, explosion des inégalités, défi climatique…), quel rôle peuvent jouer les économistes ?

L’objectif de l’ouvrage est de proposer une synthèse des principaux points de débat et de consensus entre économistes sur les questions sociales qui animent les débats politiques actuels. Sont ainsi passés en revue les recherches sur l’effet de l’immigration et du commerce international sur l’emploi, les origines et conséquences des inégalités, le devenir de la croissance, le caractère soutenable de l’économie, les effets de l’automation ou encore les formes de protection sociale adaptées au xxie siècle.

Les auteurs présentent chaque thème sans occulter les arguments contradictoires et concluent en prenant position, par exemple en prônant une taxation plus importante des ultra-riches ou une meilleure compensation pour les travailleurs victimes des effets économiques du commerce international. Leurs préconisations s’inscrivent plus globalement dans le courant de pensée des économistes français qui, de Thomas Piketty à Emmanuel Saez, s’accordent sur le besoin d’une fiscalité plus progressive pour lutter contre les inégalités, de services publics plus développés et d’une protection sociale plus ambitieuse.

Abhijit Banerjee et Esther Duflo n’hésitent pas également à critiquer les limites de l’approche économique actuelle. Une explication du désamour pour les économistes provient selon eux d’une trop grande foi de ces derniers dans la flexibilité de l’économie. Or cette dernière est en réalité bien plus rigide. Ainsi, les théories sur les apports du libre-échange ou la « destruction créatrice » demeurent en décalage avec la réalité subie par les populations victimes de ces changements. Les auteurs préconisent par conséquent des modèles économiques plus réalistes et davantage ouverts aux apports des autres disciplines sociales.

Une « économie utile » doit servir mieux les citoyens, notamment les plus pauvres, en s’intéressant aux moyens d’améliorer leur vie de manière concrète. Cette position ne surprend pas, dans la mesure où les deux Prix Nobel ont passé leur carrière d’économistes à expérimenter, sur le terrain, les meilleurs moyens de mettre en œuvre des politiques de développement et de lutte contre la pauvreté. Le produit intérieur brut, en particulier, est critiqué en ce qu’il est devenu une fin en soi, là où la croissance ne doit être qu’un moyen d’améliorer la vie des citoyens.

Enfin, l’ambition de ce livre est de mettre en avant la « bonne science économique ». L’objectif est de peser dans le débat public, afin d’orienter les politiques économiques actuelles. Comme le disait John Maynard Keynes : « Les hommes d’action qui se croient libres de toute influence intellectuelle sont souvent les esclaves d’un économiste défunt. Les fous au pouvoir, qui entendent des voix, distillent leur frénésie en s’inspirant de quelques plumitifs d’université d’il y a quelques années. » Partant du principe que les idées sont le moteur du changement, les auteurs visent ainsi à rendre davantage publiques les théories économiques compatibles avec un meilleur progressisme politique. Dès lors, le public visé se veut le plus large possible : « L’économie a trop d’importance pour être laissée aux seuls économistes. »

Seuil, 2020
544 p. 25 €

Charles Jeanpierre

Agrégé d'économie, il collabore avec la revue Esprit depuis 2020.

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La culture au tournant

Selon ce dossier coordonné par Carole Desbarats et Emmanuel Laurentin, les institutions culturelles sont confrontées depuis quelques temps à des enjeux que l’épidémie de coronavirus a rendus plus aigus encore. Alors même que le confinement a suscité une forte demande de culture, beaucoup de ces institutions sont aujourd’hui face à un tournant. À lire aussi dans ce numéro : Trump contre l’Amérique, des élections par temps de pandémie et des jeunes sans bercail.