
La matière noire de la démocratie de Luc Rouban
Le sociologue Luc Rouban part du constat que le mouvement des Gilets jaunes reste encore aujourd’hui difficile à analyser finement, tant il diffère des autres mouvements sociaux d’ampleur. Au-delà des questions d’équité territoriale ou fiscale, son ouvrage s’intéresse à ce qu’il qualifie de « matière noire de la démocratie » : une marchandisation de la sphère politique, dans laquelle les oubliés de la mondialisation obéissent avant tout à une logique utilitaire dans leur rapport au politique. De nombreux témoignages de maires étayent cette thèse : les citoyens pensent à la politique en termes de rapport coût-bénéfice, certains se plaignant de ne pas « en avoir pour leur argent ». Luc Rouban s’inscrit ainsi dans la lignée de Raymond Aron et de Dominique Schnapper, pour qui l’État a perdu toute sacralité et s’est transformé en une vaste machine à produire des services aux citoyens. L’auteur met ainsi en lumière deux anthropologies du pouvoir qui ne peuvent se comprendre. D’un côté, une anthropologie du pouvoir, complexe et intellectualisée, avec une temporalité longue, des bénéfices diffus et une confiance en les élus pour œuvrer pour l’intérêt général. De l’autre, une anthropologie du pouvoir simple, immédiate et ancrée dans une temporalité plus courte, plus concrète. Cette analyse permet un éclairage original du mouvement des Gilets jaunes, au-delà du simple populisme.