
La fabrique du consommateur d’Anthony Galluzzo
Une histoire de la société marchande
Galluzzo fait de la culture matérielle bourgeoise, fondée sur l’accumulation d’objets-signes […], l’origine d’une culture de consommation généralisée.
Notre culture de la consommation est le produit récent d’« une marchandisation fulgurante, qui a imprimé dans nos vies ses gestes, ses symboles et ses normes », du xixe au xxe siècle, tant en Europe qu’aux États-Unis. L’auteur observe l’évolution des mentalités marchandes, le développement des échanges et la complexification des chaînes de production. Par exemple, à la suite de l’éparpillement des différentes tâches liées à la production de viande, cette dernière devient une « chose en soi », c’est-à-dire un objet autonome dont on ignore les composants exacts et à propos desquels on ne s’interroge pas. L’essor de la grande industrie a pour effet d’augmenter le choix des consommateurs tout en créant une distance vis-à-vis du producteur. Se pose alors la question de la confiance, avec pour réponse le développement des « marques ». L’émergence du marché moderne permet alors d’instiller des croyances, de développer un usage et de bâtir un imaginaire auprès des nouveaux produits. Le développement des grands magasins permet également de créer de nouvelles normes sociales, notamment vis-à-vis de leur clientèle féminine. Ils deviennent un vecteur incontournable de diffusion des normes bourgeoises et d’homogénéisation sociale. Émerge ainsi une « technocratie de la sensualité » pour influencer les comportements d’achat, que l’on retrouve dans des magasins plus contemporains. Galluzzo fait de la culture matérielle bourgeoise, fondée sur l’accumulation d’objets-signes, notamment les vêtements ou la décoration d’intérieur, l’origine d’une culture de consommation généralisée. L’ouvrage s’intéresse également à l’évolution des représentations collectives, dans un contexte d’essor de nouveaux médias : « Là se trouve le plus grand accomplissement des marchands : avoir progressivement recomposé les ensembles humains selon leurs produits ; avoir donné forme, par leurs productions et émissions non coordonnées, à la communauté imaginée des consommateurs. » Le cinéma offre par exemple la représentation d’une « vaste middle class unique » sans tensions sociales. Anthony Galluzzo s’intéresse également aux fractures générationnelles induites par l’évolution des modes de consommation. Ainsi, la nouvelle « culture jeune » des années 1960 rassemble des jeunes de nombreux pays dans la recherche de l’autonomie et de l’anticonformisme. Mais cette contre-culture demeure marchande, véhiculant simplement des codes différents. L’auteur arrête son étude sur cette période, puisque les décennies suivantes ne représentent pour lui qu’une accélération du même processus. Les justifications de ce choix peinent à convaincre, malgré un ouvrage étayé et pertinent.