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Notes de lecture

Dans le même numéro

Lettre à une enseignante. L’école de Barbiana Trad. par Susanna Spero

Avant-propos de Pier Paolo Pasolini et préface de Laurence de Cock

décembre 2022

Les élèves de Barbiana, comme Pasolini, sont moins des révolutionnaires que des enragés. À la différence du révolutionnaire (Lénine), en attente d’un nouveau conformisme, l’enragé (Socrate) souffre de tous les conformismes possibles.

Livre culte de la génération 1968, cri des recalés de l’école publique italienne, Lettre à une enseignante (1967) est un manifeste pour autre école. À l’origine, on trouve l’engagement de Don Lorenzo Milani (1923-1967) qui ouvre, en 1947, à San Donato di Calenzano, une école populaire pour jeunes ouvriers. Ne supportant plus son action et encore moins son intransigeance et son franc-parler, estimant le prêtre rebelle trop proche des marginalisés, la curie de Florence le mute en 1954 dans un hameau perdu dans les montagnes toscanes. Le prêtre fait immédiatement le tour des familles et démarche ses futurs élèves, qui ont le travail à la ferme et dans les champs pour seul horizon. Il leur propose de conquérir la parole, la culture et de retrouver leur dignité. Pour les recalés de l’école publique, tous enfants de montagnards ou de paysans, il fonde une école qui, bien que de taille modeste (entre six et trente enfants) et éphémère (1954-1967), entrera dans l’histoire.

Une pédagogie critique exigeant la justice sociale voit le jour : classe multi-niveaux ouverte à tous, apprentissage par soi-même (mais en groupe), responsabilisation (qui sait plus enseigne à qui sait moins), ateliers, projets (notamment d’écriture collective), conférences et séjours linguistiques. Ces principes pédagogiques ont non seulement inspiré des projets alternatifs, mais également trouvé leur place dans les programmes officiels, même si c’est trop souvent à la marge. De rares institutions, souvent privées, comme le collège et lycée Kaetsu Ariake à Tokyo, les ont adoptés. Le succès de l’école de Barbiana repose essentiellement sur la co-responsabilité et non sur l’obéissance. Une telle pratique présuppose l’abolition des rapports de domination et donc l’établissement de relations de confiance réciproques1. Pour Don Milani, les enseignants « ne devraient pas se préoccuper de comment faire l’école, mais plutôt de comment être pour pouvoir faire l’école ». Il s’agit d’« être avec », et donc « faire avec » plutôt que « faire pour ».

Dans l’avant-propos, Pier Paolo Pasolini évoque sa rencontre avec un texte « merveilleusement terroriste » selon lequel « la poésie serait une haine qui, une fois examinée en profondeur et clarifiée, devient de l’amour ». Les élèves de Barbiana, comme Pasolini, sont moins des révolutionnaires que des enragés. À la différence du révolutionnaire (Lénine), en attente d’un nouveau conformisme, l’enragé (Socrate) souffre de tous les conformismes possibles. Mais, à suivre Pasolini, les protagonistes de l’école de Barbiana dépendent encore du « monde paysan », devenu petit-bourgeois, de la société italienne de l’époque.

Depuis l’épopée de Barbiana, nous avons accès à de nombreux témoignages d’anciens élèves de cette école, notamment celui de Paolo Landi, syndicaliste et fondateur de la coopérative pour une consommation durable, qui rapporte les dernières paroles de Don Milani : « Faites l’école selon les circonstances, comme l’environnement le suggère et l’âge dans lequel vous vivrez. Être fidèle à un mort est la pire des infidélités2. »

  • 1. Voir aussi Paulo Freire, La Pédagogie des opprimés [1968], trad. par Élodie Dupau et Melenn Kerhoas, préface d’Irène Pereira, Marseille, Agone, 2021.
  • 2. Paolo Landi, La Repubblica di Barbiana. La mia esperienza alla scuola di Don Lorenzo Milani, Florence, Libreria Editrice Fiorentina, 2018.
Agone, 2022
208 p. 19 €

Christophe Solioz

Philosophe et politologue, anime le séminaire nomade MAP consacré à l’espace urbain. Son travail dans le domaine des relations internationales porte sur l’analyse des processus de transition et de démocratisation, ainsi que la coopération régionale dans les Balkans. Il est l’auteur de Viva la Transición. The Balkans from the Post-Wall Era to Post-Crisis Future (Nomos, 2020) et de Passages à

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