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Notes de lecture

Dans le même numéro

Comment sont morts les politiques ? d’Arnaud Benedetti

Le grand malaise du pouvoir

janv./févr. 2022

Charles Péguy déplorait, il y a plus d’un siècle, que toute mystique se dégradait en politique. C’est au tour de celle-ci de s’effacer au profit du marketing, où les chiffres remplacent les sentiments et les passions. François Mitterrand ne disait-il pas qu’il serait le dernier président, remplacé par des financiers et des comptables ? De fait, comme l’écrit Arnaud Benedetti, l’opinion, objet sécularisé parce qu’objet de science souvent approximative, se substitue à la figure aussi mystérieuse que démiurgique du peuple. Si l’opinion est la figure dédramatisée du peuple, sans doute est-ce parce qu’elle est saisissable par des études. Aussi, faute de sacré, de hauteur et de distance, la politique est désormais impuissante et déclassée. Pourquoi assistons-nous à son dépérissement ? C’est en mémorialiste et en observateur qu’Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de La Revue politique et parlementaire et professeur associé en histoire de la communication à la Sorbonne, éclaire l’étrange défaite des politiques et s’interroge sur la fragilité de la démocratie.

Par « mort » du politique, l’auteur entend d’abord la lente agonie des États-nations dans leur acception démocratique et libérale, plus particulièrement en France. Déploration et nostalgie ? L’auteur s’en défend. La souveraineté s’est étiolée, notamment depuis le traité de Lisbonne, qui a trahi la volonté des Français telle qu’elle s’est exprimée par référendum en 2005. Plusieurs autres paramètres expliquent cette situation : la mondialisation, qui réduit les marges de manœuvre des États-nations ; l’émergence de forces transnationales, au premier rang desquelles les Gafam, porteuses d’un pouvoir économique et d’une vélocité technologique se jouant des frontières et des régulations ; enfin, la technocratisation des classes dirigeantes.

Nous assistons ainsi à un affranchissement progressif d’une grande partie des élites politiques, économiques et intellectuelles à l’égard des conditions d’exercice d’une démocratie souveraine et libérale. Dans cette perspective, le populisme n’est pas tant une remise en cause du libéralisme politique qu’une inquiétude quant au détournement de celui-ci par ceux qui s’en réclament de plus en plus abusivement. Ainsi, la globalisation, qui vise à homogénéiser les sociétés et à créer des individus interchangeables et essentiellement mus par des motivations économiques, induit une perte de contrôle politique. Le politique est devenu un « bateau ivre » sans prise sur la marche du monde : « Le marketing a supplanté le symbolique, la peopolisation s’est substituée à la transcendance, le storytelling a remplacé l’histoire. » Les trois derniers quinquennats (Nicolas Sarkozy, l’hyperprésident, François Hollande, le président normal et Emmanuel Macron, le start-up président) illustrent cette impuissance.

Éditions du Cerf, 2021
182 p. 18 €

Eugène Berg

Eugène Berg, né le 23 septembre 1945, est un essayiste et diplomate français. Spécialiste de la Russie et du Pacifique, il a notamment publié Non-alignement et nouvel ordre mondial (1980).

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L’amour des marges. Autour de Michel de Certeau

Comment écrire l’histoire des marges ? Cette question traverse l’œuvre de Michel de Certeau, dans sa dimension théorique, mais aussi pratique : Certeau ne s’installe en effet dans aucune discipline, et aborde chaque domaine en transfuge, tandis que son principal objet d’étude est la façon dont un désir fait face à l’institution. À un moment où, tant historiquement que politiquement, la politique des marges semble avoir été effacée par le capitalisme mondialisé, l’essor des géants du numérique et toutes les formes de contrôle qui en résultent, il est particulièrement intéressant de se demander où sont passées les marges, comment les penser, et en quel sens leur expérience est encore possible. Ce dossier, coordonné par Guillaume Le Blanc, propose d’aborder ces questions en parcourant l’œuvre de Michel de Certeau, afin de faire voir les vertus créatrices et critiques que recèlent les marges. À lire aussi dans ce numéro : La société française s’est-elle droitisée ?, les partis-mouvements, le populisme chrétien, l’internement des Ouïghours, le pacte de Glasgow, et un tombeau pour Proust.