
Comment sont morts les politiques ? d’Arnaud Benedetti
Le grand malaise du pouvoir
Charles Péguy déplorait, il y a plus d’un siècle, que toute mystique se dégradait en politique. C’est au tour de celle-ci de s’effacer au profit du marketing, où les chiffres remplacent les sentiments et les passions. François Mitterrand ne disait-il pas qu’il serait le dernier président, remplacé par des financiers et des comptables ? De fait, comme l’écrit Arnaud Benedetti, l’opinion, objet sécularisé parce qu’objet de science souvent approximative, se substitue à la figure aussi mystérieuse que démiurgique du peuple. Si l’opinion est la figure dédramatisée du peuple, sans doute est-ce parce qu’elle est saisissable par des études. Aussi, faute de sacré, de hauteur et de distance, la politique est désormais impuissante et déclassée. Pourquoi assistons-nous à son dépérissement ? C’est en mémorialiste et en observateur qu’Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de La Revue politique et parlementaire et professeur associé en histoire de la communication à la Sorbonne, éclaire l’étrange défaite des politiques et s’interroge sur la fragilité de la démocratie.
Par « mort » du politique, l’auteur entend d’abord la lente agonie des États-nations dans leur acception démocratique et libérale, plus particulièrement en France. Déploration et nostalgie ? L’auteur s’en défend. La souveraineté s’est étiolée, notamment depuis le traité de Lisbonne, qui a trahi la volonté des Français telle qu’elle s’est exprimée par référendum en 2005. Plusieurs autres paramètres expliquent cette situation : la mondialisation, qui réduit les marges de manœuvre des États-nations ; l’émergence de forces transnationales, au premier rang desquelles les Gafam, porteuses d’un pouvoir économique et d’une vélocité technologique se jouant des frontières et des régulations ; enfin, la technocratisation des classes dirigeantes.
Nous assistons ainsi à un affranchissement progressif d’une grande partie des élites politiques, économiques et intellectuelles à l’égard des conditions d’exercice d’une démocratie souveraine et libérale. Dans cette perspective, le populisme n’est pas tant une remise en cause du libéralisme politique qu’une inquiétude quant au détournement de celui-ci par ceux qui s’en réclament de plus en plus abusivement. Ainsi, la globalisation, qui vise à homogénéiser les sociétés et à créer des individus interchangeables et essentiellement mus par des motivations économiques, induit une perte de contrôle politique. Le politique est devenu un « bateau ivre » sans prise sur la marche du monde : « Le marketing a supplanté le symbolique, la peopolisation s’est substituée à la transcendance, le storytelling a remplacé l’histoire. » Les trois derniers quinquennats (Nicolas Sarkozy, l’hyperprésident, François Hollande, le président normal et Emmanuel Macron, le start-up président) illustrent cette impuissance.