
Qui a fait le tour de quoi ? L'affaire Magellan de Romain Bertrand
Ce récit, érudit et accessible, cherche à défaire « l’idée arrogante que l’Europe s’est longtemps faite d’elle-même, de son excellence, de sa précellence », et dont Magellan est le symbole. Il y parvient grâce à une écriture alerte et convaincante, une documentation précise qui permet de restituer les motivations du navigateur et le contexte historique du voyage, et l’adoption du point de vue des peuples bafoués au passage. On découvre en effet, à rebours des imaginations de Zweig qui portent avant tout « une certaine idée de l’Europe », un Magellan mercenaire et une expédition marquée par la rivalité de la Couronne espagnole avec la portugaise, par la maladie, le froid et la mort, ainsi que par l’incapacité d’apprécier les coutumes des peuples croisés, dont la profusion – comme celle de la jungle – désarçonne les Espagnols. Et l’auteur de faire revivre l’Insulinde, l’archipel malais, au centre d’un négoce déjà mondial, où « les épices et le Coran voisinent dans l’entrepont des boutres ». Romain Bertrand rappelle que, comme le note la chronique de l’expédition, « Magellan a presque fait le tour du monde » et s’attarde sur le destin des compagnons de voyage, en particulier d’Enrique, l’esclave malais, le premier à avoir véritablement fait un tour complet. En effet, « il faut quantité de vies infimes pour faire une vie majuscule ».