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Notes de lecture

Dans le même numéro

Utopies made in monde. Le sage et l’économiste de Jean-Joseph Boillot

décembre 2021

On ne sait pas si Jean-Joseph Boillot, économiste de formation et globe-trotteur par passion, aurait fait sienne la phrase de John Maynard Keynes : « Les économistes sont présentement au volant de notre société, alors qu’ils devraient être sur la banquette arrière. » Plutôt que de les reléguer à l’arrière, il suggère qu’ils asseyent à leurs côtés d’autres spécialistes des sciences sociales. L’homo œconomicus ne résume pas à lui seul l’homme. Tout n’est pas calcul, maximisation des profits, recherche d’efficacité et de bénéfice. Jean-Joseph Boillot estime que l’économie doit se réinventer en puisant son inspiration à la source de l’utopie. Telle est la conviction qui anime ce livre foisonnant. Elle s’appuie sur sa riche expérience de conseiller économique auprès du ministère des Finances, qui l’a conduit à parcourir l’Europe centrale et orientale, mais aussi la Chine, l’Inde et l’ensemble du continent africain. À l’heure actuelle, quatre menaces planent sur le monde : la pandémie, le changement climatique, la montée des inégalités et un affrontement militaire d’envergure. Certes, ce dernier semble peu probable, mais depuis la chute de l’URSS, les dépenses militaires mondiales, avec 2 000 milliards de dollars, n’ont jamais été aussi élevées. Ainsi, confrontés à une crise de civilisation industrielle et à une mondialisation devenue chaotique, il nous faut examiner avec sérieux les champs du possible en s’inspirant d’Oscar Wilde, pour qui « le progrès n’est que l’accomplissement des utopies » (L’âme humaine et le socialisme, 1891). Jean-Joseph Boillot est à la recherche d’une « bonne économie pour l’après-crise ». Les solutions passent par un mélange d’« utopies réelles et de sagesse renouvelée ». Au terme de ses « voyages intellectuels et géographiques », il présente six économistes, de John Maynard Keynes à Raghuram Rajan. L’opuscule du premier, Perspectives économiques pour nos petits-enfants (1930), requiert quatre conditions qui sont loin d’être acquises : pas d’expansion démographique, pas de guerre, pas d’instrumentalisation du progrès scientifique pour des finalités autres que scientifiques et une stabilisation du taux d’accumulation par la consommation… Que nous sommes loin des temps où la sagesse remplacerait la cupidité ! Mais c’est aux travaux de l’ancien gouverneur de la banque centrale indienne, Raghuram Rajan, que Jean-Joseph Boillot porte le plus grand intérêt, notamment dans sa volonté de lutter contre « le capitalisme de connivence » (crony capitalism). L’économiste indien estime que la bonne régulation de l’économie passe par une combinaison optimale de l’État, des marchés et des communautés (la société civile, mais aussi les « communs »). Mais comment trouver l’équilibre ? Pour Jean-Joseph Boillot, qui refuse « l’utopie communautaire » comme la « relocalisation » à tout prix, la solution repose sur l’éducation, dans laquelle il faudrait investir plus massivement.

Odile Jacob, 2021
416 p. 25 €

Eugène Berg

Eugène Berg, né le 23 septembre 1945, est un essayiste et diplomate français. Spécialiste de la Russie et du Pacifique, il a notamment publié Non-alignement et nouvel ordre mondial (1980).

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Un monde en sursis

Le changement climatique a donné un nouveau visage à l’idée de fin du monde, qui verrait s’effondrer notre civilisation et s’abolir le temps. Alors que les approches traditionnellement rédemptrices de la fin du monde permettaient d’apprivoiser cette fin en la ritualisant, la perspective contemporaine de l’effondrement nous met en difficulté sur deux plans, intimement liés : celui de notre expérience du temps, et celui de la possibilité de l’action dans ce temps. Ce dossier, coordonné par Nicolas Léger et Anne Dujin, a voulu se pencher sur cet état de « sursis » dans lequel nous paraissons nous être, paradoxalement, installés. À lire aussi dans ce numéro : le califat des réformistes, la question woke, un hommage à Jean-Luc Nancy, la Colombie fragmentée, la condition cubaine selon Leonardo Padura, et penser en Chine.