
L’histoire splendide de Guillaume Basquin
Ce livre se voudrait labyrinthe et creusement, à contre-courant de la dérive des sociétés capitalistes et leurs nouveaux moyens d’asservissement.
« La parole comme saut quantique » serait une bonne formule pour qualifier ce nouveau livre déroutant et brillant de Guillaume Basquin. Cinq parties et un épilogue le composent, où tout vient au langage, verbe de feu destructeur, de luttes, de folies et de frasques d’écriture. La pensée ne s’y soucie plus des cohérences routinières, des logiques supposées ou dominantes : celles du monde présent livré aux vitesses entropiques des échanges électroniques et leurs réseaux sociaux hurlants, aux crises patentes du politique, à une récente pandémie, aux manipulations du vivant et aux atteintes à la liberté. Ce livre se voudrait labyrinthe et creusement, à contre-courant de la dérive des sociétés capitalistes et leurs nouveaux moyens d’asservissement. Cette fois, des échanges authentiques, au lieu du spectacle accessible des étoiles, dont l’auteur est professionnellement familier. S’offriraient partout le flux vertigineux des pixels médiatiques, l’illettrisme et un réel dénaturé. Dans une partie rédigée comme un journal, l’auteur fustige la gestion politique et sociale de la crise sanitaire, autant que les discours auxquels elle donna lieu, entre paranoïa, panurgisme et médiatisation délirante. Semblable parfois à la composition d’un Gai Savoir nietzschéen, voilà une « écriture par montage » critique des discours, avec effets de tourbillons, danses et appels prophétiques – toutes figures zarathoustriennes, un peu narcissiques mais parfois abouties. La littérature, chez Basquin, se voudrait de radicalité, politique et religieuse, brouillant les pistes, les idées et les langues à la manière d’un Joyce. Sur près de deux cents pages, on lira de courts essais, des sentences, des partis pris, où semble être comme barattée la mer de lait de l’histoire, à la manière du mythe hindou. On sait que les démons du Bien y tirent la corde en sens inverse de ceux du Mal, créant des prestiges, des catastrophes, des hasards, des fatalités – le réel innombrable. Triompheraient ici le dieu Shiva, mais aussi celui d’une Bible souvent citée : nostalgie du religieux ou idiosyncrasie rebelle ? Une lecture psychanalytique y verrait aussi un projet de désintrication des pulsions. Éros et Thanatos seraient renvoyés dos à dos dans l’exercice scripturaire, thérapeutique et libérateur. Un livre peut-il faire pièce à la mort ? Oui, si en lui vient une totalité possible, en contrepoint du vide. Alors tu te sais infini à la longe de l’esprit, si son voyage t’emporte à sa vitesse, vers des lointains, une terre promise que revendique et atteindrait une écriture nouvelle. À un livre original, proche d’une certaine génialité littéraire, le critique pourrait objecter le privilège accordé à la pandémie affolante et affolée. Elle n’épuise en effet pas l’avenir. Le projet d’une « œuvre d’art total » refermerait la boucle parfaite d’un infini, figure indomptable.