
La catastrophe ou la vie. Pensées par temps de pandémie de Jean-Pierre Dupuy
La pandémie a suscité, chez des « gens intelligents et cultivés », intellectuels et philosophes, des propos que Jean-Pierre Dupuy, lui-même membre de la confrérie des intellectuels, mais aussi de formation scientifique, n’a pas appréciés. D’autant moins qu’ils « se soucient de ne pas contaminer les autres comme de leur première chemise », et que, plus d’une fois, leurs réflexions pouvaient sembler rejoindre celles de « forces politiques nauséabondes ». Son livre n’est pas un pamphlet, mais une argumentation ferme et parfois vive pour réfuter les réactions délétères, selon lui, de ces « covidosceptiques ». Ce qu’il dénonce, ce sont leurs paralogismes – des conclusions fausses à partir de prémisses vraies, incertaines, de mauvaise foi, ou fausses. Il stigmatise par exemple leurs allégations sur le manque de gravité de la Covid-19 (Bruno Latour : « un minuscule petit problème », rejoignant le président brésilien, Jair Bolsonaro, qui parlait d’une « grippette ») ; la priorité donnée aux jeunes qui ont la vie devant eux, contrairement aux vieux dont le seul mérite possible serait de se sacrifier pour eux (André Comte-Sponville, cible privilégiée du livre) ; le tri indécent pour désigner ceux qui seraient plus dignes de vivre, sans tenir compte de la subjectivité et de la liberté donnée à chacun d’évaluer la valeur de sa propre vie ; l’État accusé de barbarie et de tentations autoritaires, voire totalitaires (Giorgio Agamben) avec ses mesures de confinement qui réduiraient l’existence à la « vie nue » (Olivier Rey) ; la signification de la mort, qui n’est jamais « rien », contrairement à ce que dit une longue lignée de philosophes… Pour une part, c’est le sens de la « vie biologique » qui est le véritable questionnement de l’essai, un essai à la première personne, dont les chapitres et les réflexions, toujours à la croisée de la logique scientifique et du raisonnement philosophique, représentent aussi une sorte de journal par temps de pandémie. Ce qui amène l’auteur, à la fin, à s’expliquer sur le sens de son propre « catastrophisme éclairé », dont les prédictions de malheur sont, pour faire court, précisément destinées à éviter activement l’apocalypse, et non pas faites pour s’auto-réaliser. Dans le post-scriptum (décembre 2020), il redit ce qui l’anime dans cette discussion : « Il fallait comprendre que ce virus est fait de telle sorte que pour s’en protéger il fallait d’abord que les autres vous protègent. » Manifestement, fin mars 2021, beaucoup ne l’ont toujours pas compris, ou n’ont plus la force de l’admettre.