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Notes de lecture

Dans le même numéro

La catastrophe ou la vie. Pensées par temps de pandémie de Jean-Pierre Dupuy

juin 2021

La pandémie a suscité, chez des « gens intelligents et cultivés », intellectuels et philosophes, des propos que Jean-Pierre Dupuy, lui-même membre de la confrérie des intellectuels, mais aussi de formation scientifique, n’a pas appréciés. D’autant moins qu’ils « se soucient de ne pas contaminer les autres comme de leur première chemise », et que, plus d’une fois, leurs réflexions pouvaient sembler rejoindre celles de « forces politiques nauséabondes ». Son livre n’est pas un pamphlet, mais une argumentation ferme et parfois vive pour réfuter les réactions délétères, selon lui, de ces « covidosceptiques ». Ce qu’il dénonce, ce sont leurs paralogismes – des conclusions fausses à partir de prémisses vraies, incertaines, de mauvaise foi, ou fausses. Il stigmatise par exemple leurs allégations sur le manque de gravité de la Covid-19 (Bruno Latour : « un minuscule petit problème », rejoignant le président brésilien, Jair Bolsonaro, qui parlait d’une « grippette ») ; la priorité donnée aux jeunes qui ont la vie devant eux, contrairement aux vieux dont le seul mérite possible serait de se sacrifier pour eux (André Comte-Sponville, cible privilégiée du livre) ; le tri indécent pour désigner ceux qui seraient plus dignes de vivre, sans tenir compte de la subjectivité et de la liberté donnée à chacun d’évaluer la valeur de sa propre vie ; l’État accusé de barbarie et de tentations autoritaires, voire totalitaires (Giorgio Agamben) avec ses mesures de confinement qui réduiraient l’existence à la « vie nue » (Olivier Rey) ; la signification de la mort, qui n’est jamais « rien », contrairement à ce que dit une longue lignée de philosophes… Pour une part, c’est le sens de la « vie biologique » qui est le véritable questionnement de l’essai, un essai à la première personne, dont les chapitres et les réflexions, toujours à la croisée de la logique scientifique et du raisonnement philosophique, représentent aussi une sorte de journal par temps de pandémie. Ce qui amène l’auteur, à la fin, à s’expliquer sur le sens de son propre « catastrophisme éclairé », dont les prédictions de malheur sont, pour faire court, précisément destinées à éviter activement l’apocalypse, et non pas faites pour s’auto-réaliser. Dans le post-scriptum (décembre 2020), il redit ce qui l’anime dans cette discussion : « Il fallait comprendre que ce virus est fait de telle sorte que pour s’en protéger il fallait d’abord que les autres vous protègent. » Manifestement, fin mars 2021, beaucoup ne l’ont toujours pas compris, ou n’ont plus la force de l’admettre.

Seuil, 2021
276 p. 20 €

Jean-Louis Schlegel

Philosophe, éditeur, sociologue des religions et traducteur, Jean-Louis Schlegel est particulièrement intéressé par les recompositions du religieux, et singulièrement de l'Eglise catholique, dans la société contemporaine. Cet intérêt concerne tous les niveaux d’intelligibilité : évolution des pratiques, de la culture, des institutions, des pouvoirs et des « puissances », du rôle et de la place du…

Dans le même numéro

Une épidémie de fatigue

Les enquêtes de santé publique font état d’une épidémie de fatigue dans le contexte de la crise sanitaire. La santé mentale constitue-t-elle une « troisième vague  » ou bien est-elle une nouvelle donne sociale ? L’hypothèse suivie dans ce dossier, coordonné par Jonathan Chalier et Alain Ehrenberg, est que la santé mentale est notre attitude collective à l’égard de la contingence, dans des sociétés où l’autonomie est devenue la condition commune. L’épidémie ne provoque pas tant notre fatigue qu’elle l’accentue. Cette dernière vient en retour révéler la société dans laquelle nous vivons – et celle dans laquelle nous souhaiterions vivre. À lire aussi dans ce numéro : archives et politique du secret, la laïcité vue de Londres, l’impossible décentralisation, Michel Leiris ou la bifurcation et Marc Ferro, un historien libre.