
Les médecins d’Auschwitz de Bruno Halioua
Préface de Claude Quétel
Les Médecins d’Auschwitz de Bruno Halioua est une monographie sur l’enfer des camps d’Auschwitz qui contribue à l’enrichissement de la connaissance historique sur la Seconde Guerre mondiale. Le livre documente la dérive idéologique inhumaine qui a pu saisir des médecins dans un contexte historique particulier.
Le dermatologue Bruno Halioua consacre un livre aux médecins allemands qui ont embrassé volontairement le nazisme, mais aussi aux médecins (juifs) déportés dans les camps d’Auschwitz. Au moyen d’analyses historiques et de biographies de médecins nazis et de médecins déportés, l’ouvrage livre une monographie dense, glaçante et solidement documentée du rôle et des actions du corps médical allemand dans les années 1930 et 1940 et de leur implication dans l’extermination des Juifs en Europe.
Pourvue d’un niveau d’excellence reconnu sur le plan mondial, la médecine allemande est alors la profession la plus nazifiée du Reich. L’adhésion du corps médical au Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) est sept fois celle des autres catégories de la société allemande. En 1942, la Ligue nationale- socialiste des médecins allemands compte 46 000 membres, contre 11 000 en 1933, année de sa création ; 45 % des médecins rejoignent le NSDAP et 26 % les SA (Sturmabteilung, « sections d’assaut »), formation paramilitaire du parti, contre 24 % et 11 % des enseignants respectivement. Des médecins deviennent aussi membres des SS (Shutzstaffel, « échelons de protection »), une organisation policière et paramilitaire créée en 1925 pour assurer la protection personnelle d’Adolf Hitler.
Trentenaires ou quadragénaires, les médecins nazis et SS affectés dans les camps d’Auschwitz sont allemands ou autrichiens, ou encore originaires d’Europe centrale, ce qui pousse parfois ceux-ci à un excès de zèle. Ils sont à l’abri des zones de combat, que certains d’entre eux ont connues, comme Josef Mengele sur le front russe et Eduard Wirths en Norvège. Nettement marqués par un fort antisémitisme dans une profession qui compte beaucoup de médecins juifs, ils se convainquent d’œuvrer aux avancées de la science en profitant du vivier de cobayes pour mener des expériences en dehors de tout cadre médical. Leur adhésion au national- socialisme l’emporte clairement sur leur identité professionnelle et son éthique. Ils font ainsi main basse sur les biens des déportés (bijoux, montres, dents en or…). Ils montrent une absence totale de scrupule et de compassion envers les déportés.
Directement impliqués dans le meurtre de 1, 1 million de personnes, majoritairement des Juifs acheminés depuis toute l’Europe, arborant le caducée, les médecins SS jouent un rôle essentiel dans le massacre des hommes, des femmes et des enfants qui a eu lieu à Auschwitz- Birkenau entre 1940 et 1944. Faibles en effectifs (sept ou huit par camp ou sous-camp), d’abord chargés d’assurer la surveillance sanitaire et hygiénique, ils interviennent ensuite à chacune des étapes du processus d’extermination, depuis la sortie des wagons jusqu’à l’entrée dans les chambres à gaz. Ils participent à faire d’Auschwitz une entreprise d’industrialisation de la mort. Ils assurent cette extermination selon un rythme infernal autant qu’ils opèrent une sélection efficace des individus en mesure de travailler pour l’industrie de guerre, en lien avec les intérêts catégoriels des milieux économiques. Ils appuient, impulsent et cautionnent les pratiques médicales qui cherchent à sauvegarder et à développer la race aryenne et l’extermination des Juifs décidée par le Führer. Ils mènent des expériences inhumaines sur les enfants tsiganes, les nains et les jumeaux (centre d’intérêt du généraliste Josef Mengele), qui se terminent le plus souvent par l’assassinat. Ils connaissent leur rôle à la perfection, améliorent le gazage, sélectionnent les plus faibles, envoient à la mort les « dégénérés ». Ils falsifient des rapports pour masquer les véritables causes des décès, notamment quand le rapport de force militaire avec les Alliés commence à changer.
Quant aux médecins juifs et non juifs déportés dans les camps d’Auschwitz, leur salut passe par leurs connaissances médicales, leur obéissance aux médecins SS et la maîtrise de la langue allemande qui permet d’éviter les tâches harassantes des autres prisonniers et de travailler dans un Revier (« quartier des malades » dans le langage des camps), microcosme auquel l’auteur consacre une analyse factuelle et puissante. Les médecins juifs y sont confrontés à l’anti sémitisme des collègues polonais. Ces médecins déportés brimés par les médecins SS sont contraints de collaborer aux agissements criminels de médecins délivrés du serment d’Hippocrate et d’œuvrer à la « solution finale de la question juive », actée à partir de 1942. Soumis à l’arbitraire des SS, dépourvus de médicaments, ils essaient de – et parviennent à – sauver des Juifs, en mentant sur l’état de santé des déportés qui leur sont confiés.
Les Médecins d’Auschwitz de Bruno Halioua est une monographie sur l’enfer des camps d’Auschwitz qui contribue à l’enrichissement de la connaissance historique sur la Seconde Guerre mondiale. Le livre documente la dérive idéologique inhumaine qui a pu saisir des médecins dans un contexte historique particulier.