
Les déraisons modernes de Perrine Simon-Nahum
À l’inverse de la modernité, qui se caractérise par le « choix de l’histoire », la post-modernité se caractérise, pour l’autrice, par la « sortie de l’histoire ». Autrement dit, nous sommes passés d’une ère où l’individu est sujet de l’histoire à une ère où il est devenu objet de ses déterminismes.
« Qu’est-ce qui fait qu’un jour, à un moment donné de son existence, un individu décide de dire “non”, de se rebeller, de faire un pas de côté, de changer la société de son temps ? » Telle est la question qui traverse cet ouvrage, paru au temps fort de la pandémie. L’autrice s’attaque ainsi à la « sidération » dans laquelle nous a plongés la pandémie, mais qui trouve ses racines bien antérieurement à celle-ci. Spécialiste de la pensée juive et de la philosophie de l’histoire, elle déplore en effet l’irresponsabilité dans le monde que prônent certains courants de la philosophie moderne. Ces « déraisons modernes » sont l’« effondrisme » et les « théories essentialistes ». Celles-ci, en valorisant les déterminismes environnementaux ou ceux de l’origine, déresponsabilisent l’individu, le sortent de la voie de la raison et, partant, de l’histoire. À l’inverse de la modernité, qui se caractérise par le « choix de l’histoire », la post-modernité se caractérise, pour l’autrice, par la « sortie de l’histoire ». Autrement dit, nous sommes passés d’une ère où l’individu est sujet de l’histoire à une ère où il est devenu objet de ses déterminismes.
Face au tableau peu reluisant de ces deux types de pensées modernes, la philosophe plaide pour une « philosophie de la relation », qui donne toute sa place à l’empathie, au soin, au souci de l’autre – et à l’asymétrie. Si cette proposition est fort séduisante, on voit mal comment elle peut résoudre la question initiale de la responsabilité qu’a l’individu du monde. Au contraire, elle nous semble s’apparenter à un repli sur l’individu, dont témoignent ses appels à « adopter le point de vue du sujet historique », à « faire passer l’homme avant l’humanité », qui font signe vers un refus d’une lecture politique de l’histoire. D’autre part, s’il s’agit de remettre l’empathie au fondement de l’action, et l’engagement dans le monde à son horizon, on comprend difficilement les reproches qui sont faits aux luttes pour l’égalité et au mouvement en faveur du climat, âprement critiqués. Tous deux placent en effet l’empathie au cœur et à l’horizon de leur action – certes, en dépassant le seul individu, mais en visant l’humanité.
Surtout, on regrette que l’autrice amalgame le mouvement en faveur du climat dans sa diversité (Greta Thunberg, Extinction Rebellion, etc.) avec les collapsologues, ignorant les preuves et prévisions scientifiques sur le climat et l’environnement, tendant à les faire passer, au même titre que les théories de l’effondrement, pour des mythes.
Alors que les jeunes – et moins jeunes – engagés pour le climat et pour l’égalité sont ceux qui, pour nous, répondent le mieux à cette double exigence d’empathie et d’engagement, en disant justement « non à la société de leur temps » tout en s’attachant à inventer d’autres voies (à « bifurquer »), l’appel de l’autrice à faire confiance dans la raison sonne comme un grand renoncement à l’engagement. En effet, l’autrice semble faire rimer la raison et l’action avec le seul progrès technologique quand elle interroge, à propos du refus d’une partie de la jeunesse de poursuivre dans la voie du progrès : « Pourquoi renoncerions-nous à agir ? »