
Rentrée littéraire d'Éric Neuhoff
Très critique vis-à-vis de la production actuelle et des conventions narratives, ce roman dépeint le milieu éditorial français à l’heure de son extrême-onction. Il est aussi empli de nostalgie : regret d’un temps révolu, tristesse de voir l’édition se soucier davantage de la rentabilité que de la qualité d’un texte, ou encore spleen du retour du même dans l’entre-soi littéraro-bourgeois.
Aux antipodes du lecteur valérien, qui se « plonge dans la vie imaginaire » et est « absorbé par ce qu’il dévore » (Propos sur la poésie), le lecteur d’Éric Neuhoff est invité à s’émanciper de la passivité. Comme le rappelait Antoine Compagnon, « la passion du livre est aussi action de le lire1 ». Et c’est à cette action qu’Éric Neuhoff souhaite confronter son lecteur en dressant le portrait du paysage littéraire contemporain. Très critique vis-à-vis de la production actuelle et des conventions narratives, il dépeint le milieu éditorial français à l’heure de son extrême-onction. Ses protagonistes, un couple d’éditeurs parisiens, apparaissent comme des figures résistantes, qui refusent l’édition en ligne, les services de presse à destination des blogueurs ou encore la publication d’autofictions. Ils s’illustrent par un refus des convenances et des systèmes de pensée, tout en admettant en faire partie et y jouer un rôle, eux aussi. Ils semblent toutefois en retrait, plus pieux, sincères et honnêtes que la plupart des personnages dépeints.
Si Rentrée littéraire est un texte critique, il est aussi empli de nostalgie : regret d’un temps révolu, tristesse de voir l’édition se soucier davantage de la rentabilité que de la qualité d’un texte, ou encore spleen du retour du même dans l’entre-soi littéraro-bourgeois. Nous retrouvons la bourgeoisie en train de dîner du côté du boulevard Saint-Germain, à la Foire du livre de Brive ou encore en rendez-vous d’affaires à Barcelone. Le ressassement, loin de toute mise en scène stéréotypée, s’inscrit dans une tentative de matérialisation littéraire de l’essoufflement du mode de vie bourgeois. Il n’est à ce titre pas anodin de retrouver de nombreux motifs liés au vieillissement ou à la mort : des décès successifs d’amis de longue date aux crânes clairsemés par les années, tout en passant par les silhouettes affaiblies.
Le septième art occupe une place essentielle dans le travail littéraire d’Éric Neuhoff. Ses descriptions, très visuelles et attentives, rappellent des mouvements de caméra. Le regard du narrateur, si peu intéressé par les soirées auxquelles il participe qu’il en devient un spectateur, se pose sur les scènes avec précision et les dynamise. En un sens, il rejoint presque l’idéal flaubertien en faisant d’un « rien » un objet d’art. Car si l’on se réfère aux pensées du narrateur autodiégétique, il se dégage de ces événements auxquels il est contraint de participer un profond vide intellectuel. Cette prise de distance lui permet de porter un regard critique et lucide sur les situations qu’il vit.
Le dernier roman d’Éric Neuhoff séduit par ses qualités de construction et son écriture à la fois fluide, précise et érudite. Il nous plonge dans le milieu littéraire parisien et loue sa féerie, sans manquer pour autant de lui restituer son lot de maux et d’artificialité.
- 1. Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Seuil, 1998.