
Justice digitale. Révolution graphique et rupture anthropologique, d'Antoine Garapon et Jean Lassègue
L’ouvrage d’Antoine Garapon et Jean Lassègue suscite une réflexion de fond – et critique – sur l’intrusion du phénomène numérique dans le domaine du droit. Plutôt qu’une approche empirique, les auteurs ont fait le choix ambitieux d’opérer un « détour théorique plus exigeant, plus hasardeux aussi, mais plus éclairant à long terme ». Les auteurs montrent que le phénomène numérique constitue une révolution graphique : l’informatique a découplé l’écriture des signes matériels et l’attribution de la signification – l’ordinateur réalise un travail d’itération de signes, des 0 et des 1, puis des programmes leur attribuent une sémantique compréhensible par l’humain. Ce découplage, parce qu’il diffère du langage usuel et de l’ordre spatio-temporel vécu, provoquerait un « désordre perceptif » et « une révolution symbolique [qui] modifie l’ensemble des normes produisant du sens en renouvelant les usages des signes institués par une collectivité humaine ». La « normativité digitale » entre ainsi en conflit avec la normativité juridique dans la mesure où elle est « libérée de l’assemblage de la parole et du rituel qui faisait le noyau symbolique du droit » et auquel tient son « efficacité symbolique »